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Quand l'un veut tout tuer, l'autre rabat les coups;
L'un jure comme un diable, et l'autre file doux.
Les belles, n'en déplaise à tout votre grimoire,
Vous vous entr'entendez comme larrons en foire.
MÉLISSE.

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Je suivrai ton conseil, il m'a rendu la vie.

LYSE.

Avec sa complaisance à flatter votre envie,
Dans le cœur de madame elle croit pénétrer;
Mais son front en rougit, et n'ose se montrer.
MÉLISSE, se découvrant.

Mon front n'en rougit point; et je veux bien qu'il voie
D'où lui vient ce conseil qui lui rend tant de joie.

DORANTE.

Mes yeux, que vois-je? où suis-je? êtes-vous des flatteurs?
Si le portrait dit vrai, les habits sont menteurs.
Madame, c'est ainsi que vous savez surprendre?
MÉLISSE.

C'est ainsi que je tâche à ne me point méprendre,
A voir si vous m'aimez, et savez mériter
Cette parfaite amour que je vous veux porter.

Ce portrait est à vous, vous l'avez su défendre,
Et de plus sur mon cœur vous pouvez tout prétendre;
Mais, par quelque motif que vous l'eussiez rendu,
L'un et l'autre à jamais était pour vous perdu :

Je retirais le cœur en retirant ce gage,
Et vous n'eussiez de moi jamais vu que l'image.
Voilà le vrai sujet de mon déguisement.

Pour ne rien hasarder j'ai pris ce vêtement,

Pour entrer sans soupçons, pour en sortir de même,
Et ne me point montrer qu'ayant vu si l'on m'aime.

DORANTE.

Je demeure immobile; et, pour vous répliquer,

Je perds la liberté même de m'expliquer.
Surpris, charmé, confus d'une telle merveille,
Je ne sais si je dors, je ne sais si je veille,
Je ne sals si je vis; et je sais toutefois

Que ma vie est trop peu pour ce que je vous dois;
Que tous mes jours usés à vous rendre service,
Que tout mon sang pour vous offert en sacrifice,
Que tout mon cœur brûlé d'amour pour vos appas,
Envers votre beauté ne m'acquitteraient pas.

MÉLISSE.

Sachez, pour arrêter ce discours qui me flatte,
Que je n'ai pu moins faire, à moins que d'être ingrate.
Vous avez fait pour moi plus que vous ne savez;
Et je vous dois bien plus que vous ne me devez.
Vous m'entendrez un jour; à présent je vous quitte;
Et, malgré mon amour, je romps cette visite :
Le soin de mon honneur veut que j'en use ainsi;
Je crains à tous moments qu'on me surprenne ici;
Encor que déguisée, on pourrait me connaître.
Je vous puis cette nuit parler par ma fenêtre,
Du moins si le concierge est homme à consentir,
A force de présents, que vous puissiez sortir :
Un peu d'argent fait tout chez les gens de sa sorte.

DORANTE.

Mais, après que les dons m'auront ouvert la porte,
Où dois-je vous chercher ?

MÉLISSE.

Ayant su la maison, Vous pourriez aisément vous informer du nom; Encore un jour ou deux il me faut vous le taire : Mais vous n'êtes pas bomme à me vouloir déplaire. Je loge en Bellecour, environ au milieu,

Dans un grand pavillon. N'y manquez pas. Adicu.

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Si vous m'aimez, monsieur...

(Elles baissent toutes deux leurs coiffes.)

DORANTE.

Je sais bien mon devoir;

Sur ma discrétion prenez toute assurance 1.

SCÈNE IV.

PHILISTE, DORANTE, CLITON.

PHILISTE.

Ami, notre bonheur passe notre espérance.
Vous avez compagnie? Ah! voyons,

DORANTE.

s'il vous plaît.

Laissez-les échapper, je vous dirai qui c'est.
Ce n'est qu'une lingère : allant en Italie,
Je la vis en passant, et la trouvai jolie;
Nous fimes connaissance; et me sachant ici,
Comme vous le voyez, elle en a pris souci.

PHILISTE.

Vous trouvez en tous lieux d'assez bonnes fortunes.

DORANTE.

Celle-ci pour le moins n'est pas des plus communes.

PHILISTE.

Elle vous semble belle, à ce compte?

DORANTE.

A ravir.

PHILISTE.

Je n'en suis point jaloux.

DORANTE.

M'y voulez-vous servir?

PHILISTE.

Je suis trop maladroit pour un si noble rôle.

DORANTE.

Vous n'avez seulement qu'à dire une parole.

Qu'une ?

PHILISTE.

Cette scène, où Mélisse voilée vient voir si on lui rendra son portrait, devait être d'autant plus agréable que les femmes alors étaient en usage de porter un masque de velours, ou d'abaisser leurs coiffes, quand elles sortaient à pied : cette mode venait d'Espagne, ainsi que plupart de nos comédies. (V.)

la

DORANTE.

Non. Cette nuit j'ai promis de la voir,

Sûr que vous obtiendrez mon congé pour ce soir.

Le concierge est à vous.

PHILISTE.

C'est une affaire faite.

DORANTE.

Quoi! vous me refusez un mot que je souhaite?

PHILISTE.

L'ordre, tout au contraire, en est déjà donné,
Et votre esprit trop prompt n'a pas bien deviné.

Comme je vous quittais avec peine à vous croire,
Quatre de mes amis m'ont conté votre histoire :
Ils marchaient après vous deux ou trois mille pas;
Ils vous ont vu courir, tomber le mort à bas,
L'autre vous démonter, et fuir en diligence:
Ils ont vu tout cela de sur une éminence,
Et n'ont connu personne, étant trop éloignés.
Voilà, quoi qu'il en soit, tous nos procès gagnés,
Et plus tôt de beaucoup que je n'osais prétendre.
Je n'ai point perdu temps, et les ai fait entendre;
Si bien que, sans chercher d'autre éclaircissement,
Vos juges m'ont promis votre élargissement.

Mais, quoiqu'il soit constant qu'on vous prend pour un autre,
Il faudra caution, et je serai la vôtre :

Ce sont formalités que pour vous dégager

Les juges, disent-ils, sont tenus d'exiger;

Mais sans doute ils en font ainsi que bon leur semble.
Tandis, ce soir chez moi nous souperons ensemble:
Dans un moment ou deux vous y pourrez venir;
Nous aurons tout loisir de nous entretenir,
Et vous prendrez le temps de voir votre lingère.
Ils m'ont dit toutefois qu'il serait nécessaire
De coucher pour la forme un moment en prison,
Et m'en ont sur-le-champ rendu quelque raison;
Mais c'est si peu mon jeu que de telles matières,
Que j'en perds aussitôt les plus belles lumières.
Vous sortirez demain, il n'est rien de plus vrai;
C'est tout ce que j'en aime, et tout ce que j'en sai.

DORANTE.

Que ne vous dois-je point pour de si bons offices!

PHILISTE.

Ami, ce ne sont là que de petits services;

Je voudrais pouvoir mieux, tout me serait fort doux.
Je vais chercher du monde à souper avec vous.
Adieu je vous attends au plus tard dans une heure'.

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Et si parfaitement

Que j'en suis même encor dans le ravissement.
Encor dans mon esprit je la vois, et l'admire,
Et je n'ai su depuis trouver le mot à dire.

DORANTE.

Je suis ravi de voir que mon élection
Ait enfin mérité ton approbation.

CLITON.

Ah! plût à Dieu, monsieur, que ce fût la servante!
Vous verriez comme quoi je la trouve charmante,
Et comme pour l'aimer je ferais le mutin.

DORANTE.

Admire en cet amour la force du destin.

CLITON.

J'admire bien plutôt votre adresse ordinaire,
Qui change en un moment cette dame en lingère.

1 On pouvait tirer un plus grand parti de l'aventure de Philiste, qui rencontre sa maîtresse dans la prison de Dorante: ce coup de théâtre, qui pouvait fournir les situations les plus intéressantes, ne produit qu'un mensonge aussi plat qu'inutile; tout se borne à faire passer Mélisse pour une lingère l'intrigue pouvait redoubler, et elle est affaiblie; l'intérêt cesse dès qu'il n'y a plus de danger; le comique cesse aussi dès qu'il n'est plus dans les situations et voilà ce qui perd une pièce que quelques changements pouvaient rendre excellente. (V.)

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