DORANTE. C'était nécessité dans cette occasion, CLITON. Cette métamorphose est de vos coups de maître; Un coupable honnête homme, un portrait, une dame, Par adresse d'amour, et par nécessité. DORANTE. Tu fais bien le sévère. CLITON. Non, non, à l'avenir je fais vœu de m'en taire; J'aurais trop à compter. DORANTE. Conserver un secret, Ce n'est pas tant mentir qu'être amoureux discret; CLITON. Ce n'est qu'autre prétexte, et non pas autre chose. Cette digne oraison que naguère j'ai faite : DORANTE. Pour de pareils sujets peut-on s'en garantir? Et pour servir un autre on ment sans qu'on y pense. CLITON. Si vous m'y surprenez, étrillez-y-moi bien. DORANTE. Allons trouver Philiste, et ne jurons de rien. ACTE QUATRIÈME. SCÈNE PREMIÈRE. MÉLISSE, LYSE. MÉLISSE. J'en tremble encor de peur, et n'en suis pas remise. LYSE. Aussi bien comme vous je pensais être prise. MÉLISSE. Non, Philiste n'est fait que pour m'incommoder. LYSE. Un ami véritable à toute heure s'acquitte; MÉLISSE. Quel désordre eût-ce été, Lyse, s'il m'eût connue ! LYSE. Il vous aurait donné fort avant dans la vue. MÉLISSE. Quel bruit et quel éclat n'eût point fait son courroux ! LYSE. Пl eût été peut-être aussi honteux que vous. Un homme un peu content et qui s'en fait accroire, Quand il a de l'esprit, il sait rendre le change; Tant qu'il peut, il témoigne une âme indifférente. MÉLISSE. Et fort adroitement tu m'as fait voir son feu. LYSE. Eh bien! mais que vous semble encor du personnage ? MÉLISSE. J'en ai vu davantage. LYSE. Avez-vous du regret d'avoir trop hasardé? MÉLISSE. Je n'ai qu'un déplaisir, d'avoir si peu tardé. LYSE. Vous l'aimez? MÉLISSE. Je l'adore. LYSE. Et croyez qu'il vous aime? Qu'il m'aime, et d'une amour, comme la mienne, extrême. LYSE. Une première vue, un moment d'entretien, Vous fait ainsi tout croire, et ne douter de rien ! MÉLISSE. Quand les ordres du ciel nous ont fait l'un pour l'autre1, Sa main entre les cœurs, par un secret pouvoir, Il prépare si bien l'amant et la maîtresse, Que leur âme au seul nom s'émeut et s'intéresse. 1 Si la Suite du Monteur est tombée, ces vers ne le sont pas ; presque tous les connaisseurs les savent par cœur: c'est la même pensée qu'on voit dans Rodogune; et cela prouve que les mêmes choses conviennent quelquefois à la comédie et à la tragédie; mais la comédie a sans doute plus de droit à ces petits morceaux naïfs et galants. Celui-ci a toujours passé pour achevé. Il n'y a que ce vers, Et, sans s'inquiéter de mille peurs frivoles, qui dépare un peu ce joli couplet. Nous avons déjà remarqué combien la rime entraîne de mauvais vers, et avec quel soin il faut empêcher que de deux vers il y en ait un pour le sens, et l'autre pour la rime. (V.) On s'estime, on se cherche, on s'aime en un moment; La langue en peu de mots en explique beaucoup; LYSE. Si, comme dit Sylvandre, une âme en se formant', Quoi! tu lis les romans? MÉLISSE. LYSE. Je puis bien lire Astrée; Je suis de son village, et j'ai de bons garants Quelle preuve en as-tu ? MÉLISSE. LYSE. Ce vieux saule, madame, Où chacun d'eux cachait ses lettres et sa flamme, MÉLISSE. De vrai, c'est un grand point. LYSE. Aurais-je tant d'esprit, si cela n'était point ? Tout ce qui suit est une allusion au roman de l'Astrée du marquis d'Urfé, roman qui eut en France beaucoup de réputation et de cours sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII, et qu'on lisait encore même dans les beaux jours de Louis XIV, sur la foi de sa réputation. Toutes ces allusions sont toujours froides au théâtre, parce qu'elles ne sont point liées au nœud de la pièce; ce n'est que de la conversation, ce n'est que de l'esprit, et toute beauté étrangère est un défaut. (V.) Que d'un sang amoureux que j'ai d'eux hérité ? MÉLISSE. Tu le disais tantôt, chacun a sa folie; Les uns l'ont importune, et la tienne est jolie. SCÈNE II. 'CLÉANDRE, MÉLISSE, LYSE. CLÉANDRE. Je viens d'avoir querelle avec ce prisonnier, Ma sœur. MÉLISSE. Avec Dorante? avec ce cavalier Dont vous tenez l'honneur, dont vous tenez la vie? CLÉANDRE. Un coup dont tu seras ravie. MÉLISSE. Qu'à cette lâcheté je puisse consentir! CLÉANDRE. Bien plus, tu m'aideras à le faire mentir. MÉLISSE. Ne le présumez pas, quelque espoir qui vous flatte; Tu sembles t'en fâcher! CLÉANDRE. MÉLISSE. Je m'en fâche pour vous. D'un mot il peut vous perdre, et je crains son courroux. CLÉANDRE. Il est trop généreux; et d'ailleurs la querelle, Dans les termes qu'elle est, n'est pas si criminelle. Elles sont assez mal en son opinion: Il confesse de vrai qu'il a peu vu la ville, |