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DORANTE.

C'était nécessité dans cette occasion,
De crainte que Philiste eût quelque vision,
S'en formât quelque idée, et la pût reconnaître.

CLITON.

Cette métamorphose est de vos coups de maître;
Je n'en parlerai plus, monsieur, que cette fois :
Mais en un demi-jour comptez déjà pour trois.

Un coupable honnête homme, un portrait, une dame,
A son premier métier rendent soudain votre âme;
Et vous savez mentir par générosité,

Par adresse d'amour, et par nécessité.
Quelle conversion!

DORANTE.

Tu fais bien le sévère.

CLITON.

Non, non, à l'avenir je fais vœu de m'en taire;

J'aurais trop à compter.

DORANTE.

Conserver un secret,

Ce n'est pas tant mentir qu'être amoureux discret;
L'honneur d'une maîtresse aisément y dispose.

CLITON.

Ce n'est qu'autre prétexte, et non pas autre chose.
Croyez-moi, vous mourrez, monsieur, dans votre peau,
Et vous mériterez cet illustre tombeau,

Cette digne oraison que naguère j'ai faite :
Vous vous en souvenez sans que je la répète.

DORANTE.

Pour de pareils sujets peut-on s'en garantir?
Et toi-même à ton tour ne crois-tu point mentir?
L'occasion convie, aide, engage, dispense;

Et pour servir un autre on ment sans qu'on y pense.

CLITON.

Si vous m'y surprenez, étrillez-y-moi bien.

DORANTE.

Allons trouver Philiste, et ne jurons de rien.

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

MÉLISSE, LYSE.

MÉLISSE.

J'en tremble encor de peur, et n'en suis pas remise.

LYSE.

Aussi bien comme vous je pensais être prise.

MÉLISSE.

Non, Philiste n'est fait que pour m'incommoder.
Voyez ce qu'en ces lieux il venait demander,
S'il est heure si tard de faire une visite.

LYSE.

Un ami véritable à toute heure s'acquitte;
Mais un amant fâcheux, soit de jour, soit de nuit,
Toujours à contre-temps à nos yeux se produit;
Et, depuis qu'une fois il commence à déplaire,
Il ne manque jamais d'occasion contraire.
Tant son mauvais destin semble prendre de soins
A mêler sa présence où l'on la veut le moins!

MÉLISSE.

Quel désordre eût-ce été, Lyse, s'il m'eût connue !

LYSE.

Il vous aurait donné fort avant dans la vue.

MÉLISSE.

Quel bruit et quel éclat n'eût point fait son courroux !

LYSE.

Пl eût été peut-être aussi honteux que vous.

Un homme un peu content et qui s'en fait accroire,
Se voyant méprisé, rabat bien de sa gloire,
Et, surpris qu'il en est en telle occasion,
Toute sa vanité tourne en confusion.

Quand il a de l'esprit, il sait rendre le change;
Loin de s'en émouvoir, en raillant il se venge,
Affecte des mépris, comme pour reprocher
Que la perte qu'il fait ne vaut pas s'en fâcher;

Tant qu'il peut, il témoigne une âme indifférente.
Quoi qu'il en soit enfin, vous avez vu Dorante,
Et fort adroitement je vous ai mise en jeu.

MÉLISSE.

Et fort adroitement tu m'as fait voir son feu.

LYSE.

Eh bien! mais que vous semble encor du personnage ?
Vous en ai-je trop dit?

MÉLISSE.

J'en ai vu davantage.

LYSE.

Avez-vous du regret d'avoir trop hasardé?

MÉLISSE.

Je n'ai qu'un déplaisir, d'avoir si peu tardé.

LYSE.

Vous l'aimez?

MÉLISSE.

Je l'adore.

LYSE.

Et croyez qu'il vous aime?
MÉLISSE.

Qu'il m'aime, et d'une amour, comme la mienne, extrême.

LYSE.

Une première vue, un moment d'entretien,

Vous fait ainsi tout croire, et ne douter de rien !

MÉLISSE.

Quand les ordres du ciel nous ont fait l'un pour l'autre1,
Lyse, c'est un accord bientôt fait que le nôtre :

Sa main entre les cœurs, par un secret pouvoir,
Sème l'intelligence avant que de se voir;

Il prépare si bien l'amant et la maîtresse,

Que leur âme au seul nom s'émeut et s'intéresse.

1 Si la Suite du Monteur est tombée, ces vers ne le sont pas ; presque tous les connaisseurs les savent par cœur: c'est la même pensée qu'on voit dans Rodogune; et cela prouve que les mêmes choses conviennent quelquefois à la comédie et à la tragédie; mais la comédie a sans doute plus de droit à ces petits morceaux naïfs et galants. Celui-ci a toujours passé pour achevé. Il n'y a que ce vers,

Et, sans s'inquiéter de mille peurs frivoles,

qui dépare un peu ce joli couplet. Nous avons déjà remarqué combien la rime entraîne de mauvais vers, et avec quel soin il faut empêcher que de deux vers il y en ait un pour le sens, et l'autre pour la rime. (V.)

On s'estime, on se cherche, on s'aime en un moment;
Tout ce qu'on s'entredit persuade aisément;
Et, sans s'inquiéter d'aucunes peurs frivoles,
La foi semble courir au-devant des paroles;

La langue en peu de mots en explique beaucoup;
Les yeux, plus éloquents, font tout voir tont d'un coup;
Et, de quoi qu'à l'envi tous les deux nous instruisent,
Le cœur en entend plus que tous les deux n'en disent.

LYSE.

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Si, comme dit Sylvandre, une âme en se formant',
Ou descendant du ciel, prend d'une autre l'ainant,
La sienne a pris le vôtre, et vous a rencontrée.

Quoi! tu lis les romans?

MÉLISSE.

LYSE.

Je puis bien lire Astrée;

Je suis de son village, et j'ai de bons garants
Qu'elle et son Céladon étaient de mes parents.

Quelle preuve en as-tu ?

MÉLISSE.

LYSE.

Ce vieux saule, madame,

Où chacun d'eux cachait ses lettres et sa flamme,
Quand le jaloux Sémire en fit un faux témoin.
Du pré de mon grand-père il fait encor le coin;
Et l'on m'a dit que c'est un infaillible signe
Que d'un si rare hymen je viens en droite ligne.
Vous ne m'en croyez pas?

MÉLISSE.

De vrai, c'est un grand point.

LYSE.

Aurais-je tant d'esprit, si cela n'était point ?
D'où viendrait cette adresse à faire vos messages,
A jouer avec vous de si bons personnages,
Ce trésor de lumière et de vivacité,

Tout ce qui suit est une allusion au roman de l'Astrée du marquis d'Urfé, roman qui eut en France beaucoup de réputation et de cours sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII, et qu'on lisait encore même dans les beaux jours de Louis XIV, sur la foi de sa réputation. Toutes ces allusions sont toujours froides au théâtre, parce qu'elles ne sont point liées au nœud de la pièce; ce n'est que de la conversation, ce n'est que de l'esprit, et toute beauté étrangère est un défaut. (V.)

Que d'un sang amoureux que j'ai d'eux hérité ?

MÉLISSE.

Tu le disais tantôt, chacun a sa folie;

Les uns l'ont importune, et la tienne est jolie.

SCÈNE II.

'CLÉANDRE, MÉLISSE, LYSE.

CLÉANDRE.

Je viens d'avoir querelle avec ce prisonnier,

Ma sœur.

MÉLISSE.

Avec Dorante? avec ce cavalier

Dont vous tenez l'honneur, dont vous tenez la vie?
Qu'avez-vous fait !

CLÉANDRE.

Un coup dont tu seras ravie.

MÉLISSE.

Qu'à cette lâcheté je puisse consentir!

CLÉANDRE.

Bien plus, tu m'aideras à le faire mentir.

MÉLISSE.

Ne le présumez pas, quelque espoir qui vous flatte;
Si vous êtes ingrat, je ne puis être ingrate.

Tu sembles t'en fâcher!

CLÉANDRE.

MÉLISSE.

Je m'en fâche pour vous.

D'un mot il peut vous perdre, et je crains son courroux.

CLÉANDRE.

Il est trop généreux; et d'ailleurs la querelle,

Dans les termes qu'elle est, n'est pas si criminelle.
Écoute. Nous parlions des dames de Lyon ;

Elles sont assez mal en son opinion:

Il confesse de vrai qu'il a peu vu la ville,
Mais il se l'imagine en beautés fort stérile,
Et ne peut se résoudre à croire qu'en ces lieux
La plus belle ait de quoi captiver de bons yeux.
Pour l'honneur du pays j'en nomme trois ou quatre;
Mais, à moins que de voir, il n'en veut rien rabattre :

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