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viij DISCOURS PRELIMIN.

Peintre, un Sculteur habile ( s'il a de la probité) comme un homme que je dois cherir, comme un frere que les Arts m'ont donné; les jeunes gens qui voudront s'appliquer aux Lettres, trouvront en moi un ami, plufieurs y ont trouvé un pere. Voilà mes fentimens; quiconque a vêcu avec moi sçait bien que je n'en ai point d'autres.

Je me fuis cru obligé de parler ainsi au Public fur moi-même une fois en ma vie. A l'égard de ma Tragédie, je n'en dirai rien. Réfuter des Critiques eft un vain amour propre; confondre la calomnie eft un devoir.

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A MADA ME

LA MARQUISE DU CHASTELET,

ADAME,

Quel foible hommage pour Vous, qu'un de ces Ouvrages de Poëfie, qui n'ont qu'un tems, qui doivent leur mérite à la faveur paffagere du Public, & à l'illufion du Théâ tre, pour tomber enfuite dans la foule & dans l'obfcurité

Qu'est-ce en effet qu'un Roman mis en action & en Vers, devant celle qui lit les Ouvrages de Géométrie avec la même facilité que les autres lifent les Romans ; devant celle qui n'a trouvé dans Locke, ce fage Pré

cepteur du genre humain, que fes propres fentimens & l'hiftoire de fes pensées ; enfin aux yeux d'une perfonne, qui née, pourles agrémens, leur préfere la vérité ?

Mais, MADAME, le plus grand génie, & fûrement le plus défirable, eft celui qui ne donne l'exclufion à aucun des beaux Arts. Ils font tous la nourriture & le plaifir de l'ame: y en a-t'il dont on doive se priverè Heureux l'efprit que la Philofophie ne peut deflécher, & que les charmes des Belles Lertres ne peuvent amollir, qui fçait se fortifier avec Locke, s'éclairer avec Clarke & Newton s'élever dans la lecture de Ciceron & de Boffuet, s'embellir par les charmes de Virgile &

de Taffe!

Tel est votre génie, MADAME; il faut que je ne craigne point de le dire, quoique vous craigniez de l'entendre. Il faut que votre exemple encourage les perfonnes de votre Sexe & de votre Rang, à croire qu'on s'annoblit encore en perfectionnant fa raison, & que l'efprit donne des graces.

Il a été un tems en France, & même dans toute l'Europe, où les hommes penfoient déroger, & les femmes fortir de leur état, en ofant s'inftruire. Les uns ne fe croyoient nés que pour la guerre, ou pour l'oifiveté; & ;& les autres, que pour la coquéterie.

Le ridicule même que Moliere & Def preaux ont jetté fur les Femmes fçavantes, a femblé, dans un fiécle poli, juftifier les préjugés de la barbarie.

Mais Moliere, ce Législateur dans la morale & dans les bienféances du monde, n'

pas affurément prétendu, en attaquant les Femmes fçavantes, fe mocquer de la science & de l'efprit. Il n'en a joué que l'abus & l'affectation; ainfi que, dans fon Tartuffe, il a diffamé l'hypocrifie, & non pas la vertu.

Si, au lieu de faire une Satyre contre les Femmes, l'exact, le folide, le laborieux, l'élégant Defpreaux avoit confulté les Femmes de la Cour les plus fpirituelles, il eût ajoûté à l'art & au mérite de fes Ouvrages, fi bien travaillés, des graces & des fleurs qui leur euffent encore donné un nouveau charme. En vain, dans fa Satyre des Femmes, il a voulu couvrir de ridicule une Dame qui avoit appris l'Aftronomie ; il eût mieux fait de l'apprendre lui-même.

L'efprit philofophique fait tant de progrès en France depuis quarante ans, que fi Boi. leau vivoit encore, lui qui osoit se lui qui osoit fe mocquer d'une femme de condition, parce qu'elle voyoit en fecret Roberval & Sauveur, feroit obligé de refpecter & d'imiter celles qui profitent publiquement des lumieres des Mau. pertuis, des Réaumur, des Mairan, des Du fay, des Cleraux de tous ces véritables fçavans, qui n'ont pour objet qu'une science utile, & qui en la rendant agréable, la ren dent infenfiblement néceffaire à notre Nation. Nous fommes au tems, j'ofe le dire où il faut qu'un Poëte foit Philofophe, & où une Femme peut l'être hardiment.

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Dans le commencement du dernier fiécle, les Français apprirent à arranger des mots.Le fiécle des idées eft arrivé. Telle qui lifoit autrefois Montagne, l'Aftrée, & les Contes de la Reine de Navarre, étoit une Sçavante. Les la Fayette,les Deshoullieres, les Daciers, illuf tres dans différens genres,font venues depuis. Mais votre Sexe a encore tiré plus de gloire de celles qui ont mérité qu'on fît pour elles le Livre charmant des Mondes, & les Dialogues fur la lumiere qui vont paraître, Ouvrage peut être comparable aux Mondes.

Il eft vrai qu'une Femme-qui abandonneroit les devoirs de fon état pour cultiver les sciences, feroit condamnable, même dans fes fuccès. Mais, MADAME, le même espric qui mène à la connoiffance de la vérité, eft celui qui porte à remplir fes devoirs.

La Reine d'Anglerre, qui a fervi de Médiatrice entre les deux plus grands Métaphyficiens de l'Europe, Clarke & Léibnitz, & qui pouvoit les juger, n'a pas négligé pour cela un moment les foins de Reine, de Femme & de Mere.

Christine, qui abandonna le trône pour les beaux Arts, fut un grand Roi, tant qu'elle régna. La petite-fille du grand Condé, dans laquelle on voit revivre l'efprit de fon Ayeul, n'a-t'elle pas ajouté une nouvelle confidération au fang dont elle eft fortie?

Vous, MADAME, dont on peut ci

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