페이지 이미지
PDF
ePub

leurs jours dans les travaux rustiques avaient le loisir de murmurer, ils s'élèveraient contre les exactions qui leur enlèvent une partie de leur substance. Ils détesteraient la nécessité de payer des taxes qu'ils ne se sont point imposées, et de porter le fardeau de l'État sans participer aux avantages des autres citoyens. Il n'est pas du ressort de l'histoire d'examiner comment le peuple doit contribuer sans être foulé, et de marquer le point précis, si difficile à trouver, entre l'exécution des lois et l'abus des lois, entre les impôts et les rapines; mais l'histoire doit faire voir qu'il est impossible qu'une ville soit florissante sans que les campagnes d'alentour soient dans l'abondance; car certainement. ce sont ces campagnes qui la nourrissent. On entend, à des jours réglés, dans toutes les villes de France, des reproches de ceux à qui leur profession permet de déclamer en public contre toutes les différentes branches de consommation auxquelles on donne le nom de luxe. Il est évident que les aliments de ce luxe ne sont fournis que par le travail industrieux des cultivateurs, travail toujours chèrement payé.

[graphic]

On a planté plus de vignes, et on les a mieux travaillées; on a fait de nouveaux vins qu'on

[ocr errors]
[ocr errors]

L'HOMME DE VILLAGE OU PAYSAN NÉ POUR LA PEINE: << IL EST
MÉPRISÉ ET NÉCESSAIRE »; SON BUT: « TAILLE PAYÉE ».
(D'après une estampe satirique de Guérard.)

ne connaissait pas auparavant, tels que ceux de Champagne, auxquels on a su donner la couleur, la sève et la force de ceux de Bourgogne, et qu'on débite chez l'étranger avec un grand avantage : cette augmentation des vins a produit celle des eaux-de-vie. La culture des jardins, des légumes, des fruits, a reçu de prodigieux accroissements, et le commerce des comestibles avec les colonies de l'Amérique en a été augmenté : les plaintes qu'on a de tout temps fait éclater sur la misère de la campagne ont cessé alors d'être fondées. D'ailleurs dans ces plaintes vagues on ne distingue pas les cultivateurs, les

fermiers, d'avec les manoeuvres. Ceux-ci ne vivent que du travail de leurs mains; et cela est ainsi dans tous les pays du monde, où le grand nombre doit vivre de sa peine. Mais il n'y a guère de royaume dans l'univers où le cultivateur, le fermier, soit plus à son aise que dans quelques provinces de France; et l'Angleterre seule peut lui disputer cet avantage. La taille proportionnelle, substituée à l'arbitraire dans quelques provinces, a contribué encore à rendre plus solides les fortunes des cultivateurs qui possèdent des charrues, des

[blocks in formation]

vignobles, des jardins. Le ma-
noeuvre, l'ouvrier, doit être réduit
au nécessaire pour travailler :
telle est la nature de l'homme.
Il faut que ce grand nombre
d'hommes soit pauvre, mais il ne
faut pas qu'il soit misérable.::

Le moyen ordre s'est enrichi
par l'industrie. Les ministres et
les courtisans ont été moins opu-
lents, parce que l'argent ayant
augmenté numériquement de près
de moitié, les appointements et
les pensions sont restés les mê-
mes, et le prix des denrées est
monté à plus du double: c'est ce
qui est arrivé dans tous les pays

de l'Europe. Les droits, les ho-
noraires, sont partout restés sur
l'ancien pied. Un Électeur, qui
reçoit l'investiture de ses États,
ne paie que ce que ses prédéces-

[graphic]

seurs payaient du temps de l'empereur Charles IV, au xive siècle; et il n'est dû qu'un écu au secrétaire de l'Empereur dans cette cérémonie.

Ce qui est bien plus étrange, c'est que tout ayant augmenté, valeur numéraire des monnaies, quantité des matières d'or et d'argent, prix des denrées, cependant la paie du soldat est restée au même taux qu'elle était il y a deux cents ans: on donne cinq sous numéraires aux fantassins, comme on les donnait du temps de Henri IV. Aucun de ce grand nombre d'hommes ignorants, qui vendent leur vie à si bon marché, ne sait qu'attendu le surhaus

1

sement des espèces et la cherté des denrées, il reçoit environ deux tiers moins que les soldats de Henri IV. S'il le savait, s'il demandait une paie de deux tiers plus haute, il faudrait bien la lui donner : il arriverait alors que chaque puissance de l'Europe entretiendrait les deux tiers moins de troupes ; les forces se balanceraient de même; la culture de la terre et les manufactures en profiteraient.

[graphic][merged small]

Il faut encore observer que les gains du commerce ayant augmenté, et les appointements de toutes les grandes charges ayant diminué de valeur réelle, il s'est trouvé moins d'opulence qu'autrefois chez les grands, et plus dans le moyen ordre; et cela mème a mis moins de distance entre les hommes. Il n'y avait autrefois de ressource pour les petits que de servir les grands aujourd'hui l'industrie a ouvert mille chemins qu'on ne connaissait pas il y a cent ans. Enfin, de quelque manière que les finances de l'État soient administrées, la France possède dans le travail d'environ vingt millions d'habitants un trésor inestimable.

Cette conclusion de Voltaire prouve, comme le passage qu'il consacre plus haut à l'état des paysans au XVIIe siècle, qu'il n'avait pas grande pitié pour les classes laborieuses. Que ferait la France dans les cas de détresse financière ou de mauvaise administration, si elles ne la soutenaient pas de leur travail? Et travailleraient-elles si elles étaient heureuses? C'est la philosophic sociale d'un homme satisfait.

[graphic]

LA SIMPLICITÉ BOURGEOISE RÉTABLIE DANS LES
INTÉRIEURS PAR LA RACINE DE HOLA! OU LE
BATON DES MARIS.

(Fragment d'un Almanach.)

Ce n'est pas celle de Labruyère quand il écrivait cette page justement célèbre : « L'on voit certains animaux farouches, mâles et femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et, en effet, ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent

de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. »

D'un bout à l'autre du règne, les contemporains signalent et plaignent cette misère des classes pauvres : « On minute de nouveaux impôts, dit Guy Patin en 1660; les pauvres gens meurent par toute la France de misère, d'oppression, de pauvreté et de désespoir. Je pense que les Topinambours sont plus heureux dans leur barbarie que ne le sont les paysans français d'aujourd'hui ».

« Les peuples gémissaient, dit un magistrat du roi dans une harangue officielle, dans toutes les provinces, sous les mains de l'exacteur, et il semblait que toute leur substance et leur propre sang ne pouvaient suffire à la soif ardente des partisans. La misère de ces pauvres gens est presque dans la dernière extrémité, tant par la continuation des maux qu'ils ont soufferts depuis si longtemps que par la cherté et la disette presque inouïe des deux dernières années. >>

Puis c'est, en 1680, Mme de Sévigné qui, prise de compassion, élève la voix

en faveur du peuple des campagnes : « Je ne vois que des gens qui me doivent de l'argent et qui n'ont pas de pain, qui couchent sur la paille et qui pleurent ».

A la fin du règne, et par les misères de la guerre, la situation empira : « Tout ce qui s'appelle bas peuple, note Vauban dans ses Oisivetés, ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlés dont ils n'ostent même pas le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est meslé. Le commun

[graphic][merged small]

(D'après le tableau des frères Le Nain: la Fenaison, Musée du Louvre.)

du peuple ne mange pas trois fois de la viande en un an. Il est encore accablé par les prêts de blé et d'argent que les aisés leur font dans le besoin, au moyen desquels ils exercent une grosse usure sur eux; dans un espace restreint, 511 maisons en ruine et inhabitables, 248 vides dans lesquelles il ne loge personne, le tout faisant 759, qui est environ la septième partie du tout, marque évidente de la diminution du peuple ».

On ne souffre pas seulement, on meurt. Et Saint-Simon le dit à Louis XIV: « Persévérerez-vous, sire, dans la surdité? Jamais roi n'eut des revenus réglés du quart des vôtres, des vôtres, dis-je, puisque cette augmentation signalée est de votre règne; jamais roi ne créa tant de dettes avec si peu d'assurances, sans

« 이전계속 »