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Malgré ma fureur contre Dammartin, je bannis, fans regret, le foupçon injurieux à fon honneur, que j'avois formé trop le

gerement.

Mon Escorte me quitta fur la Frontiere. Je continuai ma route accablé de trifteffe, de honte & de dépit. J'étois à vingt lieuës de Paris, quand je rencontrai le Vicomte de Melun: il me dit naturellement qu'il alloit à Nantes. Ah! Vicomte, m'écriai-je, vous allez à Nantes! Jufte Ciel! vousy allez poury figner ma mort, l'efclavage de la malheureuse Alix, & le bonheur d'un perfide, que le Duc de Bretagne vient de fouftraire à ma vangeance.

Vous connoiffez, mon cher Raoul, l'efprit fouple, infinuant & adroit du Vicomte de Melun, & vous fçavez quelle eft fon éloquence naturelle; elle fçait le

rendre prefque toujours maître des efprits & des cœurs. Tous ces dons heureux de la Nature, furent emploïez pour rappeller ma raifon; mais inutilement. Il me dit, que l'enlèvement de fa Niéce nous feparoit pour jamais; qu'il entraînoit avec lui la dure néceffité pour Alix, d'être la victime de fon honneur,en donnant la main à fon Raviffeur. Ce Raviffeur, me dit-il, doit paroître criminel à la feule Alix ; pour tout autre, il est à plaindre. Je dis plus, il doit être innocent à vos yeux. A-t'il prétendu vous offenfer? Non: il vous enleve, il eft vrai, tout ce qui vous eft cher; mais il ne vous vole rien. Il ignoroit les droits qu'un pere & l'Amour, vous avoient donnez fur le cœur de ma Niece. Ce difcours me révolta ; je m'emportai contre le Vicomte; je lui re

prochai d'être dans les interêts du perfide Raviffeur d'Alix. Que j'étois injufte! Après plusieurs heures d'une converfation, où la raifon du Vicomte & fon amitié pour moi, emploïerent de vains efforts modérer mon pour reffentiment, & pour calmer ma douleur, il me quitta. Je ne vis point l'affliction où il étoit, de me laiffer dans le désespoir où il m'avoit trouvé. Il condamnoit mes transports, il n'alloit à Nantes que pour rendre le Comte de Dammartin Poffeffeur de Mademoifelle de Rofoi, il me parut mon ennemi. Avant de nous féparer, il ne me cacha point la colere où le Roi paroiffoit être contre moi; il me dit que malgré les différentes inquiétudes dont mon pere étoit agité, j'avois tout à craindre de fon jufte couroux, J'étois d'autant plus

fenfible à la colere du Roi & à celle de mon pere, que ma démarche avoit été inutile & infructueufe. Il falloit cependant revenir à Paris ; mais comment ofer me montrer devant le Roi & aux yeux de mon pere? Je pris le parti d'aller chez Enguerrand: il me traita avec prefque autant de dureté, que fi j'avois été fon fils. Attendezmoi ici, me dit-il, je vais trouver Thibault; je vais lui dire qu'il ne lui refte plus qu'à vous pardonner. Un heure après, un Page d'Enguerrand vint me chercher. Je me préfentai en tremblant devant mon pere; & ce tendre pere, en me relevant dans l'inftant que je me jettois à fes genoux, me dit : Je fouhaite mon fils, que le pardon que je vous accorde, puiffe adoucir vos maux. Cette douceur & tant de

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bonté, me firent connoître mon imprudence, bien mieux que ne l'auroit pû faire une dure récep

tion.

Le lendemain, le Roi m'envoïa dire que j'euffe à me rendre dans le moment à la Tour-Neuve (4). Ah! mon cher Raoul, que je fus touché d'un ordre fi rigoureux ! Envifagez par combien d'endroits fenfibles j'étois perfécuté de la Fortune. Mademoiselle de Rofoi enlevée; le Vicomte de Melun en Bretagne, pour conclure le mariage de fa Niéce avec le Comte de Dammartin; mon voïage, qui, en me laiffant le regret de n'avoir pû me vanger, me laiffoit encore celui d'avoir défobéi au Roi. Les marques de bonté

que j'avois reçûës

(a) Hors la Ville, & là même où fut mis le Comte de Flandres après la Bataille de Bouvine, d'où il ne fortit que fous le Régne de Saint Louis en 1227.

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