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tures parmi lesquelles il en mêla beaucoup d'autres, & enchâßà les vers dont j'ai parlé, qui tout méchans qu'ils étoient, ne laiẞérent pas d'être foufferts, paffer à la faveur de Part avec lequel il les mit en œuvre. Car il foutint tout cela d'une narration également vive & fleurie, de fictions très-ingénieuses, & de caracteres auffi finement imaginés qu'agréablement variés bien fuivis. Il compoja ainfi un Roman, qui lui acquit beaucoup de réputation, & qui fut fort eftimé, même des gens du goût le plus exquis; bien que la Morale en fût fort vicieuse, ne prêchant que t'amour & la molleffe, & allant quelquefois jusqu'à bleffer un peu la pudeur. (1) Il en fit quatre volames, qu'il intitula ASTRE'E (2) du nom de la plus belle de fes Bergeres: & fur ces entrefaites étant mort, Baro fon ami, & (3) felon quelques-uns, fon domestique, en compofa fur fes Mémoires, un cinquiéme Tome, qui en formoit la conclufion, & qui ne fut gueres moins bien reçû que les quatre autres volumes. Le grand fuccès de ce Roman échauffa fi bien les beaux efprits d'alors, qu'ils en firent à son imitation quantité de femblables, dont il y en avoit même de dix & de

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(1) Il en fit quatre volumes.] Le premier parut en 1610. Le fecond fut publié dix ans après le troifiéme, quatre ou cinq ans après le fecond. La quatrième partie étoit achevée lorsque l'Auteur mourut en 1623.

d'Urfé, & enfuite à lui-même. Voyez les Eclairciflemens de M. Patru fur l'Hiftoire de l'Aftrée, & la XII. Dissertation de M. Huet, ancien Evêque d'Avranches.

(3) Selon quelques-uns, fon domeftique. 1 Baltazar Baro avoit été fon Secretaire, felon

(2) Du nom de la plus belle de fes Bergeres.] C'étoit Dia-l'Auteur de l'Académie Franne de Chateau-Morand, qui çoife. Il publia la cinquième fur mariée au frere aîné de M. partie de l'Aftrée en 1627.

douze

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douze volumes: & ce fut quelque tems comme une efpéce de débordement fur le Parnaße. On vantoit furtout ceux de Gomberville, de la Calprenéde, de Def marais, de Scuderi. Mais ces Imitateurs, s'efforfant mal-à-propos d'enchérir fur l'original, & prétendant annoblir fes caracteres, tombérent, à mon avis, dans une très-grande puérilité. Car au lieu de prendre comme lui pour leurs Héros des Bergers occupés du feul foin de gagner le cœur de leurs maitreßes, ils prirent, pour leur donner cette étrange occupation, now feulement des Princes & des Rois, mais les plus fameux Capitaines de l'Antiquité, qu'ils peignirent pleins du même efprit que ces Bergers; ayant à leur exemple fait comme une espéce de vœu de ne parler jamais de n'entendre jamais parler que d'amour. De forte qu'au lieu que d'Urfé dans fon Aftrée, de Bergers très-frivoles, avoit fait des Héros de Roman confidérables, ces Auteurs au contraire, des Héros les plus confidérables de l'Hiftoire firent des Bergers très-frivo les, & quelquefois même des Bourgeois encore plus frivoles que ces Bergers. Leurs Ouvrages néanmoins ne laifférent pas de trouver un nombre infini d'Admirateurs,

eurent long-tems une fort grande vogue. Mais ceux qui s'attirérent le plus d'applaudissemens, ce furent le Cy-rus la Clélie de Mademoiselle de Scuderi, fœur de PAuteur du même nom. Cependant, non feulement elle tomba dans la même puérilité, mais elle la pouffa encore à un plus grand excès. Si bien qu'au lieu de repréfenter, comme elle devoit dans la perfonne de Cyrus, un Roi promis par les Prophétes, tel qu'il eft Tome II,

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L

esprimé dans la Bible, ou comme le peint Herodote, le plus grand Conquérant, que l'on eût encore vu; ou enfin tel qu'il eft figuré dans Xenophon, qui a fait aussi bien qu'elle, un Roman de la vie de ce Prince ; au liex, dis-je, d'en faire un modèle de toute perfection, elle en compofa un Ariaméme plus fou que tous (1) les Céladons & tous les Sylvandres, qui n'est occupé que du feul foin de fa Mandane, qui ne fait du matin au foir que lamenter, gémir, & filer le parfait amour. Ele a encore fait pis dans fon autre Roman, intitulé Célie, où elle représente tous les Héros de la République Romaine naissante, les Horatius Coclès, les Mutius Scévola, tes Clélies, les Lucréces, les Brutus, encore plus amoureux qu'Artaméne; ne s'occupant qu'à tracer (2) des Cartes Géographiques d'Amour, qu'à fe propofer les uns aux autres des questions & des Enigmes galantes; en un mot, qu'à faire tout ce qui paroît le plus oppofé au caractere, & à la gravité héroïque de ces premiers Romains. Comme j'étois fort jeune dans le tems que tous ces Romans, tant ceux de Mademoiselle de Scuderi, que ceux de la Calprenede de tous les aures, faifoient le plus d'éclat, je les lûs, ainfi que les lifoit tout le monde, avec beaucoup d'admiration,

je les regardai comme des chef-d'œuvres de notre la igue. Mais enfin mes années étant accruës, & la raifon m'ayant ouvert les yeux, je reconnus la puérilité de ces Ouvrages. Si bien que refprit fatyrique com

(1) Les Céladons & les Syl-d'amour.] La Carte du Pays vandres Bergers du Roman de Tendre, dans la premiere de l'Aftrée. partie du Roman de Clélie,

(2) Des Cartes Géographiques |

mençant à dominer en moi, je ne me donnai point de repos, que je n'euße fait contre ces Romans un Dialogue à la maniere de Lucien, où j'attaquois non feulement leur peu de folidité, mais leur afféterie précieuse de langage, leurs conversations vagues & frivoles, les portraits avantageux faits à chaque bout de champ de perfonnes de très-médiocre beauté, & quelquefois même laides par excès, & tout ce long verbiage d'Amour qui n'a point de fin. Cependant comme Mademoiselle de Scuderi étoit alors vivante; je me contentai de compofer ce Dialogue dans ma tête, bien loin de le faire imprimer, je gagnai même fur moi de ne point Pécrire, de ne le point laißer voir fur le papier, ne voulant pas donner ce chagrin à une fille, qui après tout avoit beaucoup de mérite, & qui, s'il en faut croire tous ceux qui l'ont connuë, nonobftant la mauvaife Morale enfeignée dans ces Romans avoit en

core plus de probité d'honneur que d'efprit. Mais aujourd'hui qu'enfin la mort (1) l'a rayée du nombre des Humains, Elle, & tous les autres Compofiteurs de Romans, je croi qu'on ne trouvera pas mauvais que je donne au Public mon Dialogue, tel que je l'ai retrouvé dans ma mémoire. Cela me paroît d'autant plus néceffaire, qu'en ma jeunesse l'ayant récité plufieurs fois dans des Compagnies, où il fe trouvoit des gens qui avoient beaucoup de mémoire, ces perfonnes en ont retenu plufieurs lambeaux, dont elles ont enfuite composé

(1) L'a rayée du nombre des Humains. ] Vers 34. de l'Epître VII, de notre Auteur. La Parque l'a rayé du nombre, &c.

Mademoiselle Madelaine de Scuderi mourut à Paris, le 2. de Juin 1701, âgée de 95.

ans.

216 DISCOURS SUR LE DIAL. SUIV.

un Ouvrage qu'on a diftribué fous le nom de Dialogue de M. Despreaux, & qui a été imprimé plusieurs fois dans les pays étrangers. Mais enfin le voici donné de ma main. Je ne fçai s'il s'attirera les mêmes applaudiffemens qu'il s'attiroit autrefois dans les fréquens récits que j'étois obligé d'en faire. Car outre qu'en le récitant, je donnois à tous les personnages que j'y inraduifois, le ton qui leur convenoit, ces Romans étant alors lus de tout le monde, on concevoit aisément la fineße des railleries qui y font. Mais maintenant que les voilà tombés dans l'oubli, & qu'on ne les lit prefque plus, je doute que mon Dialogue fasse le même effet. Ce que je feai pourtant à en point douter, c'eft que tous les gens d'esprit & de véritable vertu me ren‐ dront justice, & reconnoîtront fans peina, que fous le voile d'une fiction en apparence extrêmement badine, folle, outrée, où il n'arrive rien qui foit dans la vérité

dans la vrai-femblance, je leur donne peut-être içi le moins frivole Ouvrage, qui foit encore forti de ma plume.

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