de fi grandes choses, fût privé de l'utilité de vos leçons, ni inftruit en d'autre Ecole qu'en la vôtre. Et en cela vous avez bien fait voir, que lorfqu'il s'agit de votre augufte Protecteur, quelque autre confideration qui vous pût retenir d'ailleurs, votre zéle ne vous laiffe plus voir que le feul interêt de la gloire. Permettez pourtant que je vous défabuse, fi vous vous êtes persuadés que ce grand Prince en m'accordant cette grace, ait crû rencontrer en moi un Ecrivain capable de foutenir en quelque forte par la beauté du ftile, & par la magnificence des paroles, la grandeur de fes exploits. C'est à vous, MESSIEURS, c'est à des plumes comme les vôtres, qu'il appartient de faire de tels chefs-d'oeuvres, & il n'a jamais conçû de moi une fi avantageufe penfée. Mais comme tout ce qui s'eft fait fous fon regne tient beaucoup, du miracle & du prodige, il n'a pas trouvé mauvais, qu'au milieu de tant d'Ecrivains célébres, qui s'apprêtent à l'envi à peindre fes actions dans tout leur éclat, & avec tous les ornemens de l'éloquence la plus fublime, un Homme fans fard, & accufé plûtôt de trop de fincerité que de flaterie, contribuât de fon travail & de fes confeils à bien mettre en jour & dans toute la naïveté du ftile le plus fimple, la vérité de fes actions, qui étant fi peu vraisemblables d'elles-mêmes, ont bien plus befoin d'être fidélement écrites que fortement exprimées. En effet MESSIEURS, lorfque des Orateurs & des Poëtes, ou des Hiftoriens même auffi entréprenans quelquefois que les Poëtes & les Orateurs viendront à déployer fur une matiére heureuse toutes les hardieffes de leur Art, toute la force de leurs expreffions: Quand ils diront de LOUIS LE GRAND, à meilleur titre qu'on ne l'a dit d'un fameux Capitaine de l'Antiquité, qu'il a fait feul plus d'exploits, que les autres n'en ont lu; qu'il a pris plus de Villes que les autres Rois n'ont fouhaité d'en prendre: Quand ils affureront, qu'il n'y a point de Potentat fur la terre, quelque ambitieux qu'il puiffe être, qui dans les Voeux fecrets qu'il fait au Ciel, ose lui demander autant de profperités & de gloire, que le Ciel en a accordé liberalement à ce Prince: Quand ils écriront, que fa conduite eft maîtreffe des évenemens, que la Fortune n'oferoit contredire fes deffeins : Quand ils le peindront à la tête de fes armées, marchant à pas de Géant au travers des fleuves & des montagnes, foudroiant les remparts, brifant les rocs, terraffant tout ce qui s'oppose à fa rencontre; ces expreflions paroîtront fans doute grandes, riches, nobles, accommodées au sujet : mais en les admirant, on ne fe croira point obligé d'y ajoûter foi, & la verité fous ces ornemens pompeux, pourra aisément être defavoüée ou mécon nuë. Mais lorfque des Ecrivains fans artifice, fe contentant de rapporter fidellement les chofes, & avec toute la fimplicité de témoins qui déposent, plûtôt même que d'Hiftoriens qui racontent, expoferont bien tout ce qui s'eft paffé en France depuis la fameufe Paix des Pirénées, tout ce que le Roi a fait pour rétablir dans fes Etats l'ordre, les loix, la discipline : quand ils compteront bien toutes les Provinces que dans les guerres fuivantes il a ajoûtées à fon Roïaume, toutes les Villes qu'il a conquifes, tous les avantages qu'il a eûs, toutes les victoires qu'il a remportées fur fes Ennemis l'Espagne, la Hollande, l'Allemagne, l'Europe entiere trop foible contre lui feul, une guerre toujours féconde en profperités, une paix encore plus glorieufe; quand dis-je des plumes fincéres, & plus foigneufes de dire vrai que de fe faire admirer, articuleront bien tous ces faits difpofés dans l'ordre des tems, & accompagnés de leurs veritables, cir : conftances; qui eft- ce qui en pourra difconvenir, je ne dis pas de nos Voifins, je ne dis pas de nós Alliés, je dis de nos Ennemis mêmes ? Et quand ils n'en voudroient pas tomber d'accord, leurs puiffances diminuées, leurs Etats refferrés dans des bornes plus étroites, leurs plaintes, leurs jaloufies, leurs fureurs, leurs invectives mêine ne les en convaincront-ils pas malgré eux ? Pourront-ils nier, que l'Année même où je parle, ce Prince voulant les contraindre d'accepter la Paix qu'il leur offroit pour le bien de la Chrétienté, il a tout à coup, & lors qu'ils le publioient entiérement épuifé d'argent & de forces, il a, dis-je, tout-à-coup fait fortir comme de terre dans les Païs-bas deux armées de quarante mille hommes chacune, & les y a fair fubfifter abondamment malgré la difette des fourrages & la fécherelle de la saison ? Pourront-ils nier, que tandis qu'avec une de fes armées il faifoit affié ger Luxembourg, lui-même avec l'autre, tenant toujours les Villes du Hainaut & du Brabant comme bloquées; par cette conduite toute merveilleufe, ou plûtôt par une efpece d'enchantement, femblable à celui de (1) cette Tête fi célébre dans les Fa bles, dont l'aspect convertilfoit les hommes en rochers, il a rendu les Efpagnols immobiles fpectateurs de la prife de cette place fi importante, ou ils avoient mis leur derniere relfource: que par un effet non moins admirable d'un enchantement fi prodigieux, (2) cet opiniâtre Ennemi de fa gloire, cet induftrieux Artifan de ligues & de querelles, qui travailloit depuis fi long-tems à remuer contre lui toute l'Europe, s'eft trouvé lui-même dans l'impuiflance, pour ainfi dire, de fe mouvoir; lié de tous côtés, & réduit pour toute vengeance, à femer des libelles, à pouffer des cris & des injures ? (1) Cette Tête fi fameuse. ] | fa gloire. ] Le Prince d'Oran La Tête de Médufe. ge, Guillaume de Nafau, depuls Roi d'Angleterre. N (2) Cet opiniâtre ennemi de 280 DISC. A MESSIEURS DE L'ACAD. Nos Ennemis, je le répete, pourront-ils nier toutes ces chofes ? Pourront-ils ne pas avoüer, qu'au même tems que ces merveilles s'exécutoient dans les Païs-bas, notre armée navale fur la Mer Méditerranée, après avoir forcé Alger à demander la paix, faifoit fentir à Genes, par un exemple à jamais terrible, la jufte punition de fes infolences & de fes perfidies; enfeveliffoit fous les ruines de ses Palais & de fes Maifons cette fuperbe Ville, plus aisée à détruire qu'à humilier? Non fans doute, nos Ennemis n'oferoient démentir des verités fi reconnuës; fur tout, lors qu'il les verront écrites avec cet air fimple & naïf, & dans ce caractére de fincerité & de vraisemblance, qu'au défaut des autres choses je ne defefpere pas abfolument de pouvoir, au moins en partie, fournir à l'Histoire. Mais comme cette fimplicité même, toute ennemie qu'elle eft de l'oftentation & du fafte, a pourtant fon art, fa méthode, fes agrémens; où pourrois-je mieux puifer cet art & ces agrémens, que dans la fource même de toutes les délicatelles'; dans cette Académie qui tient depuis fi long-tems en fa poffeffion tous les tréfors, toutes les richeffes de notre langue ? C'eft donc, MESSIEURS, ce que j'efpere aujourd'hui trouver parmi vous ? C'est ce que j'y viens étudier, c'est ce que j'y viens apprendre. Heureux fi par mon affiduité à vous cultiver; par mon adrette à vous faire parler fur ces matieres, je puis vous engager à ne me rien cacher de vos connoiffances & de vos fecrets. Plus heureux encore ! fi par mes refpects, & par mes fincéres foûmiffions, je puis parfaitement vous convaincre de l'extrême reconnoiffance, que j'aurai toute ma vie de l'honneur inefperé que vous m'avez fait. 卷 281 DEEPDREEDEE DISCOURS SUR LE STILE DES INSCRIPTIONS M. Charpentier de PAcadémie Françoife, ayant compofé des Infcriptions pleines d'emphase, qui furent mifes par ordre du Roi au bas des Tableaux des Victoires de ce Prince, peints dans la grande Galerie de Verfailles par M. le Brun; M. de Louvois, qui fuccéda à M. Colbert dans la Charge de Sur-Inten→ dant des Bâtimens, fit entendre à Sa Majesté, que ces Infcriptions déplaifoient fort à tout le monde ; & pour mieux lui montrer que c'étoit avec raifon, me pria de faire fur cela un mot d'écrit qu'il pût montrer au Roi. Ce que je fis auffi-tôt. Sa Majesté lut cet Ecrit avec plaifir, & l'approuva. De forte que la faifon l'appellant à Fontainebleau, il ordonna qu'en fon abfence on ôtât toutes ces pompeufes déclamations de M. Charpentier, & qu'on y mit les Infcriptions fimples, qui y font; que nous compofâmes prefque fur le champ, M. Racine & moi, & qui furent approuvées de tout le monde. C'eft cet Ecrit, fait à la priere de M. de Louvois, que je donne ici an Public. Es Infcriptions doivent être fimples, courtes, paroles n'y valent rien & ne font point propres au ftile grave, qui eft le vrai ftile des Infcriptions. Il eft abfurde de faire une déclamation autour d'une Médaille, ou au bas d'un Tableau; fur tout lorfqu'il s'agit d'actions comme celles du Roi, qui étant d'elles-mêmes toutes grandes & toutes mer |