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petit trait de vrai, & y en mettra quelqu'un de faux, & principalement du faux Merveilleux qui eft le plus agréable, & peut-être qu'après un Siécle ou deux, non feulement il n'y reftera rien du peu de vrai qui y étoit d'abord, mais même il n'y reftera guere de chofe du premier faux.

Croira-t-on ce que je vais dire: I1 y a eu de la Philofophie même dans ces Siécles groffiers, & elle a beaucoup fervi à la naiffance des Fables. Les hommes qui ont un peu plus de de genie que les autres, font naturellement portés à rechercher la caufe de ce qu'ils voyent. D'où peut venir cette riviere qui coule toûjours,a dû dire un Contemplatif de ces Siecles-là; étrange forte de Philofophe; mais qui auroit peut-être été un Def cartes dans ce Siecle - ci? Après une longue méditation, il a trouvé fort heureusement qu'il y avoit quelqu'un qui avoit foin de verfer toûjours cette eau de dedans une cruche. Mais

qui lui fourniffoit toûjours cette eau? le Contemplatifn'alloit pas fi loin.

Il faut prendre garde que ces idées qui peuvent être appellées les Siftêmes de ces temps-là,étoient toûjours copiées d'après les chofes les plus connuës. On avoit vû fouvent verfer de l'eau de dedans une cruche, 'on imaginoit donc fort bien comment un Dieu verfoit celle d'une riviere, & par la facilité même qu'on avoit à l'imaginer, on étoit tout-àfait porté à le croire. Ainfi pour rendre raifon des Tonnerres & des foudres, on fe reprefentoit volontiers un Dieu de figure humaine lançant fur nous des Fléches de feu, idée manifeftement prife fur des objets três-familiers.

Cette Philofophie des premiers Siécles rouloit fur un principe fi naturel, qu'encore aujourd'hui notre Philofophie n'en a point d'autre,c'està-dire, que nous expliquons les chofes inconnues de la Nature par celles

que nous avons devant les yeux, & que nous tranfportons à la Physique les idées que l'experience nous fournit. Nous avons découvert par l'ufage, & non pas non pas deviné, ce que peuvent les poids, les refforts, les leviers; nous nous ne faifons agir la Nature que par des leviers, des poids, & des refforts. Ces pauvres Sauvages qui ont les premiers habité le monde, ou ne connoiffoient point ces choses-là, ou n'y avoient fait aucune attention. Ils n'expliquoient donc les effets de la Nature que par des chofes plus grof fieres & plus palpables qu'ils connoiffoient. Qu'avons-nous fait les uns & les autres ? Nous nous fommes toûjours reprefenté l'inconnu fous la figure de ce qui nous étoit connu ; mais heureusement il y a tous les fujets du monde de croire que l'inconnu ne peut pas ne point reffembler à ce qui nous eft connu prefentement. De cette Philofophie groffiere qui regna neceffairement dans les pre

miers Siécles, font nés les Dieux &

les Déeffes. Il eft affés curieux de voir comment l'imagination humaine a enfanté les fauffes Divinités. Les hommes voyoient bien des chofes qu'ils n'euffent pas pû faire; lancer les foudres, exciter les vents, agiter les flots de la Mer, tout cela étoit beaucoup au-deffus de leur pouvoir : ils imaginerent des Eftres plus puissans qu'eux, & capables de produire ces grands effets. Il falloit bien que ces Eftres-là fuffent faits comme des hommes, quelle autre figure euffent. ils pû avoir ? du moment qu'ils font de figure humaine, l'imagination leur attribue naturellement tout ce qui eft humain ; les voilà hommes en toutes manieres, à cela près qu'ils font toûjours un peu plus puiffans que des hommes..

De-là, vient une chofe à laquelle on n'a peut-être pas encore fait de reflexion; c'eft que dans toutes les Divinités que les Payens ont imagées,

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ils y ont fait dominer l'idée du pouvoir, & n'ont eu prefqu'aucun égard ni à la fageffe, ni à la justice, ni à tous les autres attributs qui fuivent la Nature Divine. Rien ne prouve mieux que ces Divinités font fort anciennes, & ne marque mieux le chemin que l'imagination a tenu en les formant. Les premiers Hommes ne connoiffoient point de plus belle qualité que la force du corps, la Sageffe & la Juftice n'avoient pas feulement de nom dans les Langues anciennes, comme elles n'en ont pas encore aujourd'hui chez les Barbares de l'Amerique ; d'ailleurs la premiere idée que les hommes prirent de quelque Eftre fuperieur, ils la prirent fur des effets extraordinaires, & nullement fur l'Ordre reglé de l'Univers qu'ils n'étoient point capables de reconnoître ni d'admirer. Ainfi ils imaginerent les Dieux dans un tems où ils n'avoient rien de plus beau à leur donner que du pouvoir, Hh

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