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& ils les imaginerent fur ce qui portoit des marques de pouvoir, & non fur ce qui en portoit de fagesse. Il n'eft donc pas furprenant qu'ils ayent imaginé plufieurs Dieux fouvent oppofés les uns aux autres, cruels, bizarres, injuftes, ignorans, tout cela n'eft point directement contraire à l'idée de force & de pouvoir qui eft la feule qu'ils euffent prife. Il falloit bien que ces Dieux fe fentiffent & du temps où ils avoient été faits, & des occafions qui les avoient fait faire. Et même quelle miferable ef pece de pouvoir leur donnoit - on? Mars le Dieu de la Guerre eft bleffé dans un combat par un Mortel, cela déroge beaucoup à fa dignité; mais en fe retirant il fait un cri tel que dix mille hommes enfemble l'auroient pû faire, c'est par ce vigoureux cri que Mars l'emporte en force fur Diomede, & en voilà affez, felon le judicieux Homere, pour fauver l'honneur du Dieu. De la maniere

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dont l'imagination eft faite, elle fe contente de peu de chofe, & elle reconnoîtra toûjours pour une Divinité ce qui aura un peu plus de pouvoir qu'un homme.

- Ciceron a dit quelque part qu'il auroit mieux aimé qu'Homere eût transporté les qualités des Dieux aux hommes, que de tranfporter comme il a fait les qualités des hommes aux Dieux, mais Ciceron en demandoit trop; ce qu'il appelloit en fon temps les qualités des Dieux n'étoit nullement connu du temps d'Homere. Les Payens ont toûjours copié leurs Divinités d'après eux-mêmes, ainfi à mefure que les Hommes font devenus plus parfaits, les Dieux le font devenus auffi davantage. Les premiers Hommes font fort brutaux, & ils donnent tout à la force, les Dieux feront prefque auffi brutaux, & feulement un peu plus puiffans; voilà les Dieux du temps d'Homere. Les Hommes commencent à avoir

des idées de la Sageffe & de la Juftice, les Dieux y gagnent; ils commencent à être fages & juftes, & le font toûjours de plus en plus à proportion que ces idées fe perfectionnent parmi les Hommes; voilà les Dieux du temps de Ciceron, & ils valoient bien mieux que ceux du temps d'Homere, parce que de bien meilleurs Philofophes y avoient mis la main.

Jufqu'ici les premiers Hommes ont donné naiffance aux Fables, fans qu'il y ait, pour ainfi dire, de leur faute. On eft ignorant, & on voit par confequent bien des prodiges; on exagere naturellement les choses furprenantes en les racontant, elles se chargent encore de diverfes fauffetés en paffant par plufieurs bouches; il s'établit des efpeces de Siftêmes de Philofophie fort groffiers & fort abfurdes, mais il ne peut s'en établir d'autres ; nous allons voir maintenant que fur ces fondemens

les hommes ont en quelque maniere pris plaifir à fe tromper eux-mê

mes.

Ce que nous appellons la Philofophie des premiers Siecles, fe trouva tout-à-fait propre à s'allier avec l'Hiftoire des faits. Un jeune homme eft tombé dans une riviere, & on ne fçauroit retrouver fon corps. Qu'est-il devenu La Philofophie du temps enfeigne qu'il y a dans cette riviere de jeunes Filles qui la gouvernent; les jeunes Filles ont enlevé le jeune homme, cela eft fort naturel, on n'a pas befoin de preuves pour le croire. Un homme dont on ne connoît point la naissance, a quelque talent extraordinaire, il y a des Dieux faits à peu près comme des Hommes on n'examine pas davantage qui font fes parens; il eft fils de quelqu'un de ces Dieux-là; que l'on confidere avec attention la plus grande partie des Fables, on trouvera qu'elles ne font qu'un mélange des faits avec la Phi

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lofophie du temps, qui expliquoit fort commodément ce que les faits avoient de merveilleux, & qui fe lioit avec eux très-naturellement. Ce n'étoient que Dieux & Déeffes qui nous reffembloient tout-à-fait, & qui étoit fort bien affortis fur la fcéne avec les Hommes.

Comme les Hiftoires de faits veritables mêlées de ces fauffes imaginations, eurent beaucoup de cours, on commença à en forger fans aucun fondement, ou tout au moins on ne raconta plus les faits un peu remarquables, fans les revêtir des ornemens que l'on avoit reconnu qui étoient propres à plaire. Ces ornemens étoient faux, peut-être même que quelquefois on les donnoit pour tels, & cependant les Hiftoires ne paffoient pas pour être fabuleufes. Cela s'entendra par une comparaifon de notre Hiftoire Moderne avec l'Ancienne.

Dans les temps où l'on a eu le plus

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