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& qui ne peut jamais être une fituation, ni un état. La douleur auroit bien plûtôt le privilege d'en pouvoir être un.

A mefurer le bonheur des hommes feulement par le nombre & la vivacité des plaifirs qu'ils ont dans le cours de leur vie, peut-être y a-t-il un affez grand nombre de conditions affez égales, quoique fort differentes; celui qui a moins de plaifirs les fent plus vivement; il en sent une infinité que les autres ne fentent plus ou n'ont jamais fentis, & à cet égard la Nature fait affez fon devoir de Mere commune. Mais fi au lieu de confiderer ces inftans répandus dans la vie de chaque homme, on confidere le fond des vies mêmes, on voit qu'il eft fort inégal, qu'un homme qui a, fi l'on veut, pendant fa journée autant de bons momens qu'un autre, eft tout le refte du tems beaucoup plus mal à fon aife, & que la compenfation ceffe entierement d'avoir lieu. KK ij

C'est donc l'état qui fait le Bonheur; mais ceci eft très-fâcheux pour le genre humain. Une infinité d'hommes font dans des états qu'ils ont raifon de ne pas aimer; un nombre prefque auffi grand font incapables de fe contenter d'aucun état ; les voilà donc prefque tous exclus du Bonheur, & il ne leur refte pour reffource que des plaisirs, c'eft-à-dire, des momens femez çà & là fur un fond trifte, qui en fera un peu égayé. Les hommes dans ces momens reprennent les forces neceffaires à leur malheureuse fituation, & fe remontent pour fouffrir.

Celui qui voudroit fixer fon état, non par la crainte d'être pis, mais parce qu'il feroit content, meriteroit le nom d'heureux. On le reconnoîtroit entre tous les autres hommes à une espece d'immobilité dans fa fituation; il n'agiroit que pour s'y conferver, & non pas pour en fortir. Mais cet homme-là a-t-il paru en

quelque endroit de la Terre? On en pourroit douter, parce qu'on ne s'aperçoit guere de ceux qui font dans cette immobilité fortunée, au lieu que les malheureux qui s'agitent compofent le Tourbillon du monde, & fe font bien fentir les uns aux autres par les chocs violents qu'ils fe donnent. Le repos même de l'Heureux s'il eft apperçû, peut paffer pour être forcé, & tous les autres font intereffez à n'en pas prendre une idée plus avantageuse. Ainsi l'existence de l'homme heureux pourroit être affez facilement contestée. Admettons-la cependant, ne fût-ce que pour nous donner des efperances agréables; mais il est vrai, que retenuës dans de certaines bornes, elles ne feront pas chimeriques.

Quoi qu'en difent les fiers Stoïciens, une grande partie de notre bonheur ne dépend pas de nous. Si l'un d'eux preffé par la Goutte lui a dit, Je n'avouerai pourtant pas que

tu fois un mal, il a dit la plus extravagante parole qui foit jamais fortie de la bouche d'un Philofophe. Un Empereur de l'Univers, enfermé aux Petites-Maisons, déclare naïvement un fentiment dont il a le malheur d'être plein; celui-ci par engagement de Siftême, nie un fentiment très-vif, & en même temps l'avoüe par l'effort qu'il fait pour le nier. N'ajoûtons pas à tous les maux que la Nature & la Fortune peuvent nous envoyer la ridicule & inutile vanité de nous croire invulnerables.

Il feroit moins déraifonnable de fe perfuader que notre Bonheur ne dépend point du tout de nous, & pref que tous les hommes ou le croyent, ou agiffent comme s'ils le croyoient. Incapables de difcernement & de choix, pouffez par une impetuofité aveugle, attirez par des objets qu'ils ne voyent qu'au travers de mille nuages, entraînez les uns par les autres fans fçavoir où ils vont, ils com

pofent une multitude confufe & tumultueufe,qui femble n'avoir d'autre deffein que de s'agiter fans ceffe. Si dans tout ce defordre des rencontres favorables peuvent en rendre quelques-uns heureux pour quelque momens, à la bonne heure, mais il est bien fûr qu'ils ne fçauront ni prévenir ni moderer le choc de tout ce qui peut les rendre malheureux. Ils font abfolument à la merci du hazard.

Nous pouvons quelque chofe à notre Bonheur, mais ce n'est que par nos façons de penfer, & il faut convenir que cette condition eft affez dure. La plupart ne penfent que comme il plaît à tout ce qui les environne, ils n'ont pas un certain Gouvernail qui leur puiffe fervir à tourner leurs pensées d'un autre côté qu'elles n'ont été pouffées par le courant; les autres ont des pensées fi fortement pliées vers le mauvais côté & fi infléxibles, qu'il feroit inutile de les vouloir tourner d'un autre; Kk iiij

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