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perte d'un ami. Alors fe croire inconfolable, c'eft fe rendre témoignage que l'on eft tendre, fidelle, conftant c'eft fe donner de grandes loüanges. Mais dans les maux où la vanité ne foûtient point l'affliction, & où une douleur éternelle ne feroit d'aucun merite, gardons - nous bien de croire qu'elle doive être éternelle. Nous ne fommes pas affez parfaits pour être toûjours affligez; notre Nature eft trop variable, & cette imperfection eft une de ses plus grandes reffources.

Ainfi avant que les maux arrivent, il faut les prévoir, du moins en general; quand ils font arrivez, il faut prévoir que l'on s'en confolera. L'un rompt la premiere violence du coup, l'autre abrege la durée du fentiment: on s'eft attendu à ce que l'on fouffre, & du moins on s'épargne par-là une impatience, une revolte fecrete qui ne fert qu'à aigrir la douleur ; on s'attend à ne fouffrir pas long-temps,

& dès-lors on anticipe en quelque forte fur ce temps qui fera plus heureux, on l'avance.

Les circonstances, même réelles, de nos maux, nous prenons plaifir à nous les faire valoir à nous-mêmes, à nous les étaler, comme fi nous demandions raifon à quelque Juge d'un tort qui nous eût été fait. Nous augmentons le mal en y appuyant trop notre vûë, & en recherchant avec tant de foin tout ce qui peut le groffir. On a pour les violentes douleurs je ne fçai quelle complaifance, qui s'oppofe aux remedes, & repouffe la confolation. Le Confolateur le plus tendre paroît un indifferent qui déplaît. Nous voudrions que tout ce qui nous approche prît le sentiment qui nous poffede, & n'en être pas plein comme nous, c'est nous faire une espece d'offenfe. Sur tout ceux qui ont l'audace de combattre les motifs de notre affliction font nos ennemis déclarés. Ne devrions-nous pas au con

traire être ravis que l'on nous fit foupçonner de fauffeté & d'erreur des façons de penfer qui nous caufent tant de tourmens?

Enfin, quoiqu'il foit fort étrange de l'avancer, il eft vrai cependant que nous avons un certain amour pour la douleur, & que dans quelques caracteres il eft invincible. Le premier pas vers le Bonheur feroit de s'en défaire, & de retrancher à notre imagination tous fes talens malfaifans, ou du moins de la tenir pour fort fufpecte. Ceux qui ne peuvent douter qu'ils n'ayent toûjours une vûë faine de tout font incurables, il est bien jufte qu'une moindre opinion de foi-même ait quelquefois fa récompenfe.

N'y auroit-il point moyen de tirer des chofes plus de bien que de mal, & de difpofer fon imagination de forte qu'elle feparât les plaisirs d'avec les chagrins, & ne laiffàt paffer que les plaifirs? Cette propofition ne le cede

guere en difficulté à la Pierre Philofophale ; & fi on la peut executer, ce ne peut-être qu'avec le plus heureux naturel du monde, & tout l'art de la Philofophie. Songeons que la plupart des chofes font d'une nature très - douteuse & que quoi qu'elles nous frapent bien vîte comme biens, ou comme maux, nous ne fçavons pas trop au vrai ce qu'elles font. Tel évenement vous a paru d'abord un grand malheur, que vous auriez été bien fâché dans la fuite qui ne fût pas arrivé, & fi vous aviez connu ce qu'il amenoit après lui, il vous auroit transporté de joie. Et fur ce pied -là quel regret ne devezvous pas avoir à votre chagrin ? II ne faut donc pas se preffer de s'affliger, attendons que ce qui nous paroît fi mauvais, fe dévelope. Mais d'un autre côté ce qui nous paroît agréable peut amener auffi, peut cacher quelque chofe de mauvais, & il ne faut pas fe pref

fer

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fer de fe réjoüir. Ce n'est pas une confequence, on ne doit pas tenir la même rigueur à la joye qu'au chagrin. Un grand obftacle au Bonheur, c'eft de s'attendre à un trop grand Bonheur. Figurons-nous qu'avant que de nous faire naître on nous montre le fejour qui nous eft préparé, & ce nombre infini de maux qui doivent fe diftribuer entre fes Habitans. De quelle frayeur ne ferions-nous pas faifis à la vûë de ce terrible partage où nous devrions entrer, & ne conterions-nous pas pour un bonheur prodigieux d'en être quittes à auffi bon marché qu'on l'eft dans ces conditions mediocres, qui nous paroiffent prefentement infuportables? Les Efclaves, ceux qui n'ont pas de quoi vivre, ceux qui ne vivent qu'à la fueur de leur front, ceux. qui languiffent dans des maladies: habituelles, voilà une grande par tie du genre humain ; à quoi a-t-il tenu que nous n'en fuffions ? Appre

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