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notre bonheur devroit entierement dépendre de nous, & que c'est par une espece d'ufurpation que les chofes de dehors fe font mifes en poffeffion d'en difpofer, reffaiffiffonsnous, autant qu'il eft poffible, d'un droit fi important, & fi dangereux à confier, remettons fous notre puiffance ce qui en a été détaché injuf

tement.

D'abord il faut examiner, pour ainfi dire, les Titres de ce qui prétend ordonner de notre bonheur, peu de chofes foûtiendront cet exa→ men pour peu qu'il foit rigoureux. Pourquoi cette dignité que je pourfuis, m'eft-elle fi neceffaire? C'est qu'il faut être élevé au-deffus des autres. Et pourquoi le faut-il? C'est pour recevoir leurs refpects & leurs hommages. Et que me feront ces hommages & ces refpects? Ils me flateront très- fenfiblement. Et comment me flateront-ils, puifque je ne les devrai qu'à ma digni→

té, & non pas à moi-même ? Il en est ainfi de plufieurs autres idées qui ont pris une place fort importante dans mon efprit, fi je les attaquois elles ne tiendroient pas long-temps. Il est vrai qu'il y en a qui feroient plus de réfiftance les unes que les autres ; mais felon qu'elles feroient plus incommodes, & plus dangereufes, il faut revenir à la charge plus fouvent, & avec plus de courage. Il n'y a guere de fantaisie que l'on ne mine peu à peu, & que l'on ne faffe enfin tom ber à force de reflexions.

Mais comme nous ne pouvons pas rompre avec tout ce qui nous environne, quels feront les objets exteterieurs aufquels nous laifferons des droits fur nous? Ceux dont il y aura plus à esperer qu'à craindre. Il n'est question que de calculer, & la Sageffe doit toûjours avoir les jettons à la main. Combien valent ces plaifirs-là, & combien valent les peines dont il faudroit les acheter, ou

qui les fuivroient? On ne sçauroit difconvenir que felon les differentes imaginations les prix ne changent, & qu'un même marché ne foit bon pour l'un & mauvais pour l'autre. Cependant il y a à peu près un prix commun pour les chofes principales, & de l'aveu de tout le monde, par exemple, l'amour est un peu cher; auffi ne fe laiffe-t-il pas évaluer.

Pour le plus fùr, il en faut revenir aux plaisirs fimples, tels que la tranquillité de la vie, la focieté, la chaffe, la lecture, &c. S'ils ne coûtoient moins que les autres, qu'à proportion de ce qu'ils font moins vifs, ils ne meriteroient pas de leur être préferez, & les autres vaudroient autant leur prix que ceux-ci le leur, mais les plaifirs fimples font toûjours des plaifirs, & ils ne coûtent rien. Encore un grand avantage, c'eft que la Fortune ne nous les peut guere enlever. Quoi qu'il ne foit pas raifonnable d'attacher notre bonheur

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à tout ce qui eft le plus expofé aux caprices du hazard, il femble que le plus fouvent nous choififfions avec foin les endroits les moins fùrs pour ly placer. Nous aimons mieux avoir tout notre bien fur un vaiffeau, qu'en fonds de terre. Enfin les plaifirs vifs n'ont que des inftants, & des instants fouvent funeftes par un excès de vivacité, qui ne laiffe rien goûter après eux; au lieu que les plaisirs fimples font ordinairement de la durée que l'on veut, & ne gâtent rien de ce qui les fuit.

Les gens accoûtumez aux mouvemens violents des paffions, trouveront fans doute fort infipide tout le bonheur que peuvent produire les plaifirs fimples. Ce qu'ils appellent infipidité, je l'appelle tranquillité, & je conviens que la vie la plus comblée de ces fortes de plaifirs n'est guere qu'une vie tranquille. Mais quelle idée a-t-on de la condition humaine quand on se plaint de n'être

que tranquille ? Et l'état le plus délicieux que l'on puiffe imaginer, que devient-il après que la premiere vivacité du sentiment eft confumée ? il devient un état tranquille, & c'est même le mieux qui puiffe lui arriver.

Il n'y a perfonne qui dans le cours de fa vie n'ait quelques évenemens heureux, des temps ou des moments agréables. Notre imagination les détache de tout ce qui les a précedez, ou fuivis, elle les raffemble, & se reprefente une vie qui en feroit toute compofée; voilà ce qu'elle appelleroit du nom de Bonheur, voilà à quoi elle afpire, peut-être fans ofer trop fe l'avouer. Toûjours est-il certain que tous les intervalles languif fans qui dans les fituations les plus heureuses font, & fort longs, & en grand nombre, nous les regardons à peu près comme s'ils n'y devoient pas être. Ils y font cependant, & en font bien infeparables. Il n'y a point en Chymie d'efprit fi vif qui n'ait

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