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beaucoup de flegme, l'état le plus délicieux en a beaucoup auffi, beaucoup de temps infipide, qu'il faut tâcher de prendre en gré.

Souvent le bonheur, dont on fe fait l'idée, eft trop compofé & trop compliqué. Combien de chofes, par exemple, feroient neceffaires pour celui d'un Courtifan? du credit auprès des Miniftres, la faveur du Roi, des établiffemens confiderables pour lui, & pour fes Enfans, de la Fortune au Jeu, des Maîtreffes fidelles, & qui flataffent fa vanité ; enfin tout ce que peut lui representer une imagination effrenée & infatiable. Cet homme-là ne pourroit être heureux qu'à trop grands frais, certainement la Nature n'en fera pas la dépense.

Le bonheur que nous nous propofons fera toûjours d'autant plus facile à obtenir, qu'il y entrera moins de chofes differentes, & qu'elles feront moins indépendantes de nous. La machine fera plus fimple, &

en même tems plus fous notre main. Si l'on eft à peu près bien, il faut fe croire tout-à-fait bien. Souvent on gâteroit tout pour attraper ce bien complet. Rien n'eft fi délicat ni fi fragile qu'un état heureux, il faut craindre d'y toucher, même fous prétexte d'amelioration.

La plupart des changements qu'un homme fait à fon état pour le rendre meilleur, augmentent la place qu'il tient dans le monde, fon volume, pour ainfi dire, mais ce volume plus grand donne plus de prise aux coups de la Fortune. Un Soldat qui va à la Tranchée voudroit-il devenir un Géant pour attraper plus de coups de Moufquet? Celui qui veut être heureux fe réduit & fe refferre autant qu'il eft poffible. Il a ces deux caracteres, il change peu de place, & en tient peu.

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Le plus grand fecret pour le bon

heur, c'eft d'être bien avec foi. Naturellement tous les accidents fâ

cheux qui viennent du dehors nous rejettent vers nous-mêmes, & il eft bon d'y avoir une retraite agréable, mais elle ne peut l'être fi elle n'a été preparée par les mains de la Vertu. Toute l'indulgence de l'amour propre n'empêche point qu'on ne fe reproche, du moins une partie de ce qu'on a à fe reprocher, & combien eft on encore troublé par le foin humiliant de fe cacher aux autres, par la crainte d'être connu, par le chagrin inévitable de l'être? On se fuit, & avec raison; il n'y a que le Ver tueux qui puiffe fe voir & fe recon noître. Je ne dis pas qu'il rentre en lui-même pour s'admirer, & pour s'applaudir, & le pourroit-il quelque vertueux qu'il fût? Mais comme on s'aime toûjours affez,il fuffit d'y pou voir rentrer fans honte pour y rentrer avec plaifir.

Il peut fort bien arriver que la Vertu ne conduife ni à la richeffe, ni à l'élevation, & qu'au contraire

elle en excluë; fes Ennemis ont de grands avantages fur elle par rapport à l'acquifition de ces fortes de biens.

11 peut encore arriver que la Gloire, fa récompenfe la plus naturelle, lui manque ; peut-être s'en priverat-elle elle-même, du moins en ne la recherchant pas,hazardera-t-elle d'en être privée. Mais une récompenfe infaillible pour elle, c'eft la fatisfac tion interieure. Chaque devoir rempli en eft payé dans le moment, on peut fans orgueil appeller à foi-même. des injuftices de la Fortune, on s'en confole par le témoignage legitime qu'on fe rend de ne les avoir pas meritées, on trouve dans fa propre raifon & dans fa droiture un plus grand fond de bonheur que les autres n'en attendent des caprices du hazard.

Il reste un fouhait à faire fur und chose dont on n'eft pas le maître, car nous n'avons parlé que de celles qui étoient en notre difpofition, c'est d'être placé par la Fortune dans une Mm iiij

condition mediocre. Sans cela; & le bonheur, & la vertu feroient trop en peril. C'est-là cette mediocrité fi recommandée par les Philofophes, fi chantée par les Poëtes, & quelquefois fi peu recherchée par eux tous.

Je conviens qu'il manque à ce Bonheur une chofe qui felon les façons de penfer communes y feroit cependant bien neceffaire; il n'a nul éclat. L'Heureux que nous fuppofons ne. pafferoit guere pour l'être, il n'auroit pas le plaifir d'être envié, il y a plus; peut-être lui-même auroit-il de la peine à fe croire heureux faute de l'être crû par les autres ; car leur jaloufie fert à nous affurer de notre état, tant nos idées font chancelan-. tes fur tout, & ont besoin d'être appuyées. Mais enfin pour peu que cet Heureux fe compare à ceux que le vulgaire croiroit plus heureux que lui, il fentira facilement les avantages de fa fituation; il se réfoudra volontiers à joüir d'un bonheur modes

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