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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

PHILOSOPHIQUE ET CRITIQUE

JUIN

1er juin 1758.

La question des toiles peintes, débattue, il y a quelques années, entre M. de Forbonnais et M. de Gournay, intendant du commerce, devient aujourd'hui une matière d'État. Tout ce qu'on a pu faire pour empêcher l'introduction et l'usage de cette marchandise n'ayant pas produit l'effet qu'on en attendait, le ministère s'est enfin déterminé, dit-on, à en permettre la fabrication et l'entrée dans le royaume. Aussitôt que cette nouvelle s'est répandue, tous les manufacturiers de Lyon, de Tours, de Rouen, et même le corps des marchands de Paris, ont fait ensemble un commun et général effort pour détourner nos ministres de ce projet, et s'en rapporter aux mémoires qu'ils ont présentés pour cet effet, et dans lesquels ils n'ont oublié aucun artifice de la rhétorique la plus subtile et la plus touchante; celui qui signera la permission des toiles peintes aura signé la ruine totale de la France. Si l'État n'avait à craindre du mal que de ce côté-là, il me semble que nos ministres pourraient dormir en paix. Cependant ces exagérations si ridicules, ces cris opposés au sens commun n'ont pas laissé que de faire de l'impression sur eux; et s'ils n'ont pas produit une nouvelle proscription des toiles peintes, s'il est vrai même que les députés de Lyon s'en sont retournés depuis peu assez mécontents du succès de leur négociation, il est certain aussi que le ministère

n'a pas encore osé prononcer dans une affaire aussi claire: tant le bien général est difficile à procurer; tant une loi utile trouve d'obstacles de tous les côtés, pendant que les mauvaises continuent à travailler sourdement à la véritable ruine du bien. public! Il n'y a point de question qui soit plus évidente et plus démontrée que celle de la liberté de commerce. Le sens commun et l'expérience générale plaident en sa faveur. Dans tous les temps, les peuples libres s'étaient déjà enrichis par le commerce quand les autres avaient à peine les premières notions du trafic. La république de Venise, les villes hanséatiques, la Hollande, l'Angleterre, nous ont fourni successivement les exemples les plus frappants. On prétend aujourd'hui que notre ministère en est pénétré, et qu'il incline singulièrement vers la liberté absolue et générale. Mais cette bonne disposition n'a encore été suivie d'aucun règlement favorable, et notre commerce, dans toutes ses parties, est embarrassé de mille lois absurdes qui enchaînent l'industrie et rebutent le citoyen utile. Ce n'est point des lois qu'il faut donner pour faire fleurir le commerce. Il faut le dégager de toutes entraves, il faut abolir tous les règlements qui le concernent, il faut favoriser toute entreprise également, et non pas l'une aux dépens de l'autre, et le commerce sera bientôt florissant sans que la puissance s'en mêle. Il en est comme de la santé du corps. C'est une mauvaise méthode que de vouloir la conserver à force de remèdes. Les remèdes ne sont nécessaires qu'aux santés délabrées, et lorsqu'on se porte bien, ils deviennent pernicieux.

Dans cette suspension actuelle du gouvernement à l'égard des toiles peintes, M. l'abbé Morellet a cru devoir plaider en faveur de la liberté et du sens commun, contre l'absurdité des fabricants d'étoffes de soie et de coton, et de leurs fauteurs. Sa brochure est intitulée Réflexions sur les avantages de la libre fabrication et de l'usage des toiles peintes en France. Deux cent vingt-huit pages in-12. Quoiqu'elle paraisse faite avec beaucoup de précipitation et qu'elle soit fort négligée, on la lit avec plaisir parce qu'elle soutient une bonne cause. Si l'auteur s'était élevé aux grands principes de commerce, et qu'il les eût traités à l'occasion de sa cause, il aurait fait un ouvrage plus généralement utile, et qui serait resté longtemps après la dispute sur les toiles peintes Voyons quelques-unes de ces questions qu'on pourrait

soumettre avec respect à la décision de ceux qui nous gouvernent. A l'égard de la fabrication des toiles, comme de toute autre entreprise nouvelle, il paraît qu'il ne peut y avoir jamais de raison de la part de l'autorité à s'y opposer, car si les anciens établissements sont réellement bons, ils n'auront rien à redouter des nouveaux. Jamais on ne me persuadera qu'un édifice qu'il faut étayer de tous côtés avec beaucoup de frais et de soins soit bien merveilleux; encore moins qu'il ne faille pas bâtir à côté, de peur de l'ébranler. Si chaque propriétaire d'une maison caduque pouvait obtenir un pareil privilége, on peut croire que nos villes seraient fort belles et fort peuplées. Lorsqu'une entreprise nouvelle est mauvaise, on n'a que faire d'employer contre elle l'autorité des lois, elle tombera d'elle-même. Si au contraire elle est bonne, de quel droit lui refuser la protection. que toute entreprise utile doit obtenir sous un gouvernement éclairé et sage? Si elle nuit à tel établissement particulier, de quel droit le gouvernement en affectionne-il aucuns par préférence aux autres? Ne doit-il pas sa protection à tous? Et le droit naturel ne veut-il pas qu'un citoyen puisse faire de ses talents un libre usage, celui qu'il jugera le plus convenable à ses intérêts. particuliers? L'intérêt particulier d'un tel doit-il être plus cher au gouvernement que l'intérêt particulier d'un tel autre? et ne sommes-nous pas tous enfants de la même famille? Est-il permis, est-il possible de gêner le goût, les modes, les usages, les fantaisies du public et du peuple? Et s'il aime mieux porter des toiles que d'autres étoffes, de quel droit le lui défend-on? Le chez soi, comme M. l'abbé Morellet le remarque très-bien, n'est-il pas une chose sacrée ? Et, dans un gouvernement policé, est-il permis d'envoyer des commis visiter les maisons des particuliers, et porter ainsi une atteinte odieuse à la liberté publique? Si l'on me répond qu'on observe pareille chose pour les cartes, pour les vins, pour le sel, etc., je ne verrai dans ces usages qu'un reste de barbarie qu'il faudrait bannir au plus vite, et qui est d'autant plus odieux que la loi n'est exercée que contre les petits et le particulier obscur qui est sans protection, c'est-à-dire la sorte de citoyens que le gouvernement devrait singulièrement favoriser. Il faut convenir que si nos

1. Ce passage, assez peu clair, est très-certainement iro ique.

discours sont bien sages, notre conduite est en revanche bien extraordinaire et bien ridicule. Quand je vois la guerre de nos manufacturiers contre les toiles peintes, je suppose une ville maritime où l'on n'ait point de boucheries, où le peuple, accoutumé à vivre de poisson, ignore la nourriture des viandes. Quels éloquents mémoires la compagnie des pêcheurs pourrait présenter contre l'établissement des bouchers! Combien on pourrait rendre le métier de ces derniers horrible, cruel, infâme même, également contraire à la bonne police, à la santé publique, aux mœurs, au salut de l'État! Les pêcheurs n'oublieraient pas d'observer que Jésus-Christ n'a pas choisi ses disciples parmi les bouchers. Tout cela serait sans réplique. Cependant il y aurait eu de tous les temps des bouchers dans tous les autres États voisins sans qu'il en fût résulté leur ruine. On vient de faire une nouvelle édition des œuvres de M. de Fontenelle. Par tout ce qu'on y a ajouté, le nombre des volumes s'est accru jusqu'à dix. On donne les derniers volumes séparément en faveur de la première édition.

-On vient de publier les Mémoires de l'abbé Arnaud en trois volumes in-12, dans lesquels vous ne trouverez rien de beau, excepté l'impression. Parmi un grand nombre de détails plats et communs, il n'y a pas trois faits qui méritent d'être conservés. M. l'abbé Arnaud était neveu du grand Arnaud de Port-Royal, par conséquent fils de M. Arnaud d'Andilly, et frère de M. de Pomponne, ministre et secrétaire d'État. C'était, à en juger par ses Mémoires, ce qu'on appelle un plat sujet. Je ne sais d'où nous vient ce présent qui n'aurait jamais dû voir le jour. On a fait un recueil de tous les ouvrages du président de Montesquieu, en trois volumes in-4°. Cette édition est assez belle. Elle est même augmentée de plusieurs morceaux, entre autres quelques lettres persanes qui n'avaient pas encore paru. On a mis à la tête le buste du président en profil gravé d'après la belle médaille que M. Dassier, de Genève, en a faite en bronze du vivant de cet illustre philosophe. C'est le seul monument

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1. Publié à Paris, chez Pissot, sous la rubrique d'Amsterdam. Cette édition, dit Louis Vian, a été revue par Richard, avocat au Parlement, d'après les manuscrits communiqués par la famille et les changements laissés par l'auteur lui-même et imprimés par Moreau, ancien secrétaire de Montesquieu, qui corrigea les épreuves. La médaille de Dassier est le seul portrait authentique de Montesquieu.

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