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donner carriere à fes bons mots, dans une piece dont le fond n'eft point lugubre; où les malheureux mêmes ne femblent pas faits pour être plaints, & dont l'effet, dans l'intention de l'Auteur, n'a jamais été d'exciter des mouvemens vraiment douloureux.

La Comédie de Regnard intitulée Les Folies Amoureufes nous fournit un exemple encore plus fenfible. Lifette raconte au vieux Tuteur la maniere fubite & finguliere dont Agathe fa jeune maîtreffe vient de devenir folle & finit fon récit moitié trifte & moitié bouffon, par ce vers heureux.

On ne peut s'empêcher d'en pleurer & d'en rire.

le

Lors donc, que Lifette prend le ton dolent, pour dire, On ne peut s'empêcher d'en pleurer, Spectateur quoiqu'attendri, n'eft point encore pénétré d'une vraie douleur, enforte que quand elle ajoute, & d'en rire, & qu'elle commence par rire la premiere; alors les loges & le parterre peuvent éclater fans effort & fans contrainte. Dans ce moment le paffage fubit de l'un à l'autre mouvement, n'a rien qui répugne, parce que le premier n'eft point affez fort, pour empêcher l'effet du fecond.

Le contrafte révolte au contraire, lorfque le Spectateur eft profondément pénétré d'un fentiment & qu'on le fait paffer fans préparation à un

J'aime mieux les vers charmans qui la terminent, quoiqu'ils ne prouvent rien de relatif à la question,

L'amour regne par le délire
Sur ce ridicule Univers, &c.

autre directement oppofé. Quelques exemples font encore néceffaires ici, pour porter ce raifonnement au dernier dégré d'évidence.

Sydney eft un caractere entiérement lugubre & quoique je ne les aime pas fous quelque forme qu'ils fe montrent, dans un poëme qui porte le nom de Comédie, celui-ci l'exprime avec tant de force & de nobleffe, il peint avec tant d'énergie l'état déplorable de fon ame, enfin je fuis fi accoutumé à admirer le génie brillant de fon auteur, que je lui pardonne volontiers la douleur où je fuis plongé, lorfque j'entends fon héros dire ces vers touchans à Rofalie.

La vérité trop tard a levé fon bandeau

Pour ne me laisser voir que la nuit du tombeau, &c.

Et c'est dans cet affreux moment, environné des ombres de la mort, que le valet de chambre vient avertir affez comiquement qu'il a fubftitué un verre d'eau à la place du poifon, & dire à fon maître d'un ton badin,

Ah! vous vous regrettés ; j'entreprends cette cure, &c.

Je vous l'avoue, M. je ne faurois me prêter fans effort à la joye que doit infpirer la nouvelle du feint empoisonnement; le paffage de l'un à l'autre fentiment eft trop prompt & je fouffre une extrême violence de ce contrafte inattendu.

Je regrette l'émotion terrible, qui m'est ravie fi précipitamment & je me vange des contrariétés qu'on me fait éprouver fur le héros même de la piece, qui dès-lors ne me paroît plus qu'un objet rifible & fans intérêt.

Je termine mes preuves par un exemple que

Vous

Vous trouverés, fans doute, odieux; mais il faut vous convaincre par des faits, fi je ne puis vous perfuader par mes raifons. Dans la monftrueufe Comédie de Samfon, (aux Italiens, ) ce héros rempli d'un zéle courageux, après avoir invoqué l'Etre-fuprême, enfonce les portes de sa prifon & les emporte fur fes épaules; Arlequin pour l'imiter paroît dans l'inftant chargé d'un Dindon & fe répand en bouffonneries auffi groffiérement comiques que les fentimens du Héros avoient paru nobles & généreux. Que dites-vous je vous prie de l'imagination extravagante qui amene fi brufquement deux fituations auffi contraires? Doutez-vous que la nature, la raison & la bienféance ne leur foient pas également oppofées & pouvez-vous vous empêcher de concevoir une efpece d'indignation contre ces frivoles fpectateurs qui vont régulièrement admirer des abfurdités auffi révoltantes?

D

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E la réunion, de la diverfité même de ces preuves, il réfulte qu'il y a des accens mê- PARTIE langés qui font dans la nature, & d'autres qui n'y font pas; que les uns peuvent être admis fur la fcene, tandis que les autres doivent en être entiérement rejettés. Ainfi la difpute feroit bientôt terminée fi vous n'infiftiés encore fur la préférence que meritent les originaux modernes, à caufe des préceptes de fageffe qu'ils préfentent fans ceffe & de l'analogie de leur caractere avec ceux des fpectateurs. Če font dites-vous des hommes qui nous reffemblent, & nous allons naturellement comme eux & avec eux au-devant des maximes vertueufes; nous les goûtons même avec

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B

délices pour peu qu'on fache nous intéreffer: (a) & véritablement fi la Comédie eft l'image des actions communes de la vie ; c'est-à-dire, des vices & des vertus ordinaires qui en compofent le cercle; la peinture des bonnes comme celle des mauvaises qualités doit former fa conftitution effentielle, & fon objet eft rempli, dès qu'on a tiré de nos mœurs, fidélement imitées, des modeles capables de les épurer. Deffiner avec correction les portraits des hommes, rendre avec exactitude leurs plus nobles fentimens de même que leurs défauts, & faire fervir ces diverfes peintures au profit de la vertu ; n'eft-ce pas embraffer à la fois tous les objets de l'art & de l'artiste ?

Quoique ces principes foient vrais en général, ils n'ont cependant qu'une application indirecte à notre question. Peindre les hommes tels qu'ils font, eft un but commun aux la Rochefoucaut aux la Bruyere & à tous les auteurs à morale, qui n'ont cependant prétendu nous donner que des tableaux des vices & des vertus en général, & non des poëmes dramatiques. La peinture des bonnes & des mauvaifes qualités, en formant l'effence de la Comédie, ne lui imprime donc pas fon véritable caractere: c'eft de l'affortiment des couleurs, de l'attitude & de l'expreffion des perfonnages, qu'elle reçoit, principalement, fon nom, fa forme & fon être.

Ainti il est néceffaire de diftinguer entre l'objet de l'art & le devoir de l'artiste : le premier eft fuffifamment rempli par la cenfure du vice & l'éloge de la vertu : mais pour fatisfaire à l'au

(a) Lettre fur Melanide, page 12. Ibid,

tre, il faut que le Poëte place & fa morale & fa cenfure dans la bouche des acteurs que l'expé rience & la raifon femblent comme de concert avoir deftiné à cet ufage.

Or ce n'eft point un problême de favoir fi la morale doit partir du héros de la piece, ou s'il doit être l'objet de tous les traits de critique & de plaifanterie. Dans les principes, la Comédie eft deftinée à nous préfenter plus de vices & de ridicules à éviter que de vertus à fuivre, & fuivant les autorités c'eft aux perfonnages acceffoires à débiter les maximes de fageffe. Tels font les caracteres qui la diftinguent effentiellement du drame moral dont je parlerai bientôt. Ainsi Moliere a donné à l'ami du Milantrope, au beaufrere du Malade imaginaire, &c. le foin de nous étaler les traits de morale dont il vouloit faire l'objet de notre inftruction, tandis qu'il a chargé fes perfonnages dominans de tous les ridicules qu'il avoit deffein d'attaquer & de détruire.

Les caracteres des principaux acteurs d'une vraie Comédie ne peuvent donc être entiérement vertueux pour être de la plus grande utilité poffible,

, parce qu'ils ne donneroient aucune prise à la critique, & que les hommes par malheur ne fe prennent que très-difficilement à l'attrait feul des préceptes. Les difcours les plus fages ou gliffent fur leur ame, ou ne la touchent que très-légé rement. Jugeons-en par les effets, ils font plus fürs que les raifonnemens.

Quel profit les mœurs ont-elles retiré de l'étalage facile & ambitieux des beaux fentimens ? & ces touchantes moralités qui font l'ame du nouveau dramatique qu'ont-elles opéré fur nos cœurs & fur nos efprits? Une admiration ftérile, un éblouifsement momentané, & une forte d'émotion forg

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