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L'ÉDUCATION

D'UN PRINCE,

D I LA I O G U E. THEOPHILE.

VOICI un endroit charmant; voulez-vous, Prince, que nous nous y arrêtions?

THÉODOSE.

• Comme il vous plaira,

THEOPHILE.

Vous me paroiffez aujourd'hui bien férieux; la promenade vous ennuie-t-elle ? auriez-vous mieux aimé refter avec ces jeunes gens que nous venons de quitter?

THEODOSE.

Mais je vous avoue qu'ils m'amusoient,

THEOPHILE.

Vous me fçavez donc bien mauvais gré de yous avoir amené ici: n'eft-il pas vrai que vous

me trouvez dans mille moments un homme bien incommode? je pense que vous ne m'aimerez guères, quand vous ferez débarraffé de moi. THEODOSE.

Pourquoi me dites-vous cela? vous vous trompez. THEOPHILE.

Combien de fois me fuis-je apperçu que je vous fatiguois, que je vous étois défagréable! THEODOSE.

'Ah! défagréable, c'eft trop dire; vous m'avez quelquefois fait faire des chofes qui n'étoient pas de mon goût : mais votre intention étoit bonne, & je ne fuis pas affez injufte pour en être fâché contre vous.

THEOPHILE.

C'eft-à-dire que mes foins & mes attentions ne m'ont point encore brouillé avec vous; que vous me pardonnez tout le zele & même toute la tendreffe avec laquelle j'ai travaillé à votre éducation: yoilà précisément ce que vous voulez bien oublier en ma faveur.

THÉODOSE.

Ce n'eft point-là ma penfée, & vous me faites une vraie chicane: je viens d'avouer que vous m'avez quelquefois chagriné; mais que je compte cela pour rien , que je n'y fonge plus, que je

n'en ai point de rancune: que puis-je dire de plus ? THEOPHILE.

Jugez-en vous-même, Si quelqu'un vous voyoit dans un grand péril, qu'il ne pût vous en tirer, vous fauver la vie, qu'en vous fefant une légere douleur, feroit-il jufte, lorsque vous feriez hors de danger, de vous en tenir à lui dire; vous m'avez fait un petit mal, vous m'ayez un peu trop preffé le bras; mais je n'en ai point de rancune, & je vous le pardonne ?

THEODOSE

Ah! vous avez raifon; il y auroit une ingratitude effroyable à ce que vous me dites-là : mais c'eft de quoi il n'eft pas queftion ici; je ne fçache pas que vous m'ayez jamais fauvé la vie, THEOPHILE.

Non; le fervice que j'ai tâché de vous rendre eft encore plus grand: j'ai voulu vous fauver du malheur de vivre fans gloire; je vous ai vu expofé à des défauts qui auroient fait périr les qualités de votre âme, & c'eft à la plus noble partie de vous-même que j'ai, pour ainsi dire, tâché de conferver la vie, Je n'ai pu y réussir qu'en vous contrariant, qu'en vous gênant quelquefois: il vous en a coûté de petits chagrins; c'eft-là cette légere douleur dont je parlois tout

-l'heure: vous contentez-vous encore de dire, je n'y fonge plus ?:

THÉODOSE.

Non, Théophile, je me trompois, & je me décis de tout mon cœur; je vous ai en effet les plus grandes obligations.

THEOPHILE.

Point du tout; je n'ai fait que mon devoir, mais il y a eu du courage à le faire: vous m'aimeriez bien davantage, fi je l'avois voulu; il n'a tenu qu'à moi de vous être extrêmement agréable, & de gagner pour jamais vos bonnes grâces: ce n'eût été qu'à vos dépens, à la vérité. THÉODOSE.

A mes dépens, dites-vous ?

THEOPHILE.

Oui; je n'avois qu'à vous trahir pour vous plaire, qu'à qu'à négliger votre inftruction. , qu'à laisser votre cœur & votre esprit devenir ce qu'ils auroient pu, qu'à vous abandonner à vos humeurs, à vos impatiences, à vos volontés impétueuses, à votre dégoût pour tout ce qui n'étoit pas dif fipation & plaifir. Convenez-en, la moindre petite contradiction vous irritoit, vous étoit infup portable; &, ce qui eft encore pis, j'ai vu le temps.

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