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néral reçoit toujours plus d'idées qu'il ne lui en échappe, & fes malheurs mêmes lui en donnent fouvent plus qu'ils ne lui en enlevent.

La quantité d'idées qui étoient dans le monde. avant que les Romains l'euffent foumis, & par conféquent tant agité, étoit bien au-deffous de la quantité d'idées qui y entra par l'infolente prof périté des vainqueurs, & par le trouble & l'abaiffement du monde vaincu.

Chacun de ces états enfanta un nouvel efprit, & fut une expérience de plus pour la terre.

Et de même qu'on n'a pas encore trouvé toutes les formes dont la matiere est susceptible, l'âme humaine n'a pas encore montré tout ce qu'elle peut être; toutes fes façons poffibles de penfer & de fentir ne font pas épuisées.

Et de ce que les hommes ont toujours les mêmes paffions, les mêmes vices & les mêmes vertus il ne faut pas en conclure qu'ils ne font plus que Le répeter.

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Il en eft de cela comme des vifages; il n'y en a pas un qui n'ait un nez, une bouche & des yeux; mais auffi pas un qui n'ait tout ce que je dis-là avec des différences & des fingularités qui l'empêchent de reffembler exactement à tout autre visage.

Mais revenons à ces efprits fupérieurs de notre Nation, qui firent de mauvais Ouvrages dans les fiècles paffés.

J'ai dit qu'ils y trouverent plus d'idées qu'il n'y en avoit dans les précédents; mais malheureusement ils n'y trouverent point de goût: de forte qu'ils n'en eurent que plus d'efpace pour s'égarer.

La quantité d'idées en pareil cas, Monfieur, eft un inconvénient & non pas un fecours; elle empêche d'être fimple, & fournit abondamment les moyens d'être ridicule.

Mettez beaucoup de richeffes entre les mains d'un homme qui ne fçait pas s'en fervir, toutes ses dépenses ne feront que des folies.

Et les Anciens n'avoient pas de quoi être auffi fous, auffi ridicules qu'il ne tient qu'à nous de l'être.

En revanche, jamais ils n'ont été fimples avec autant de magnificence que nous; il en faut convenir. C'est du moins le fentiment de la Glace, qui en louant la fimplicité des Anciens, dit qu'elle eft plus littérale que la nôtre, & que la nôtre eft plus riche: c'eft fimplicité de grand Seigneur.

Attendez, me direz-vous encore, vous parlez de fiècles où il n'y avoit point de goût, quoiqu'il y eût plus d'efprit & plus d'idées que jamais;

cela n'implique-t-il pas quelque contradiction?

Non, Monfieur, fi j'en crois la Glace : une grande quantité d'idées & une grande difette de goût dans les Ouvrages d'efprit, peuvent fort bien se rencontrer ensemble, & ne font point du tout incompatibles.

L'augmentation des idées eft une fuite infaillible de la durée du monde : la fuite de cette augmentation ne tarit point, tant qu'il y a des hommes qui fe fuccedent, & des aventures qui leur ar

rivent.

Mais l'art d'employer les idées pour des Ouvrages d'efprit peut fe perdre : les Lettres tombent, la critique & le goût difparoiffent, les Auteurs deviennent ridicules ou groffiers, pendant que le fond de l'efprit humain va toujours croiffant parmi les hommes.

REFLEXIONS

RÉFLEXIONS

SUR LES HOMMES.

EN général il peut y avoir un degré d'ignorance meurtriere parmi les hommes en fait de morale.

Il y a un degré de connoiffance qui leur nuit peut-être encore davantage.

Il y a une médiocrité de connoiffance dont ils fe trouveroient mieux, & qui eft le point où il faudroit qu'ils fuffent.

Dans ce degré médiocre, ils en fçauroient assez pour fçavoir se rendre suffisamment heureux; mais ils n'en fçauroient pas affez pour fçavoir échapper aux reproches d'être méchants.

Plus les hommes, par la fineffe de leur efprit, connoiffent d'iniquités de cœur, & plus ils commettent de crimes.

En vain cette même fineffe leur apprend-elle de nouvelles vertus, ils s'en tiennent à les fçaTome XII.

E

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voir, & ne les exercent pas; mais pour des crimes, malheur à toute fociété d'hommes dans laquelle il y a affez d'efprit & d'expérience pour fçavoir en combien de façons fines, fecrettes & impunies, on peut manquer d'honneur, de juftice & de vertu.

Il faudroit donc, pour le bonheur des hommes, qu'ils ne fuffent ni trop ignorants ni trop

avancés.

Trop d'ignorance leur donne des mœurs barbares; le trop d'expérience leur en donne d'ha→ bilement fcélérates.

La médiocrité de connoiffances leur en donneroit de plus douces.

Une des plus fortes raifons des conquêtes & de la fupériorité des Romains fur toutes les Nations, c'étoit la fierté qu'un Romain recevoit avec fon éducation.

C'étoit cette opinion fuperbe qu'il avoit de la dignité de fon nom; c'étoit l'opinion que les autres peuples en avoient eux-mêmes.

Ce nom de Romain affujettiffoit leur imagination, c'étoit un titre fous lequel elle plioit: la haine même qu'on avoit pour les Romains, tiroit fon origine de l'épouvante & du refpect qu'ils infpiroient.

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