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où ceux qui vous entouroient, n'étoient préci fément pour vous.que des figures qui amufoient vos yeux; vous ne fçaviez pas que c'étoient des hommes qui penfoient, qui vous examinoient, qui vous jugeoient, qui ne demandoient qu'à vous aimer, qu'à pouvoir vous regarder comme l'objet de leur amour & de leur efpérance. On peut vous dire cela aujourd'hui que vous n'êtes plus 'de même, & que vous vous montrez aimable; auffi vous aime-t-on, auffi ne voyez-vous autour de vous que des vifages contents & charmés, que des refpects mêlés d'applaudiffement & de joie : mais je n'en fuis pas mieux avec vous, moi, pour vous avoir appris à être bien avec tout le monde. THEODOSE.

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Laiffons-là ce que je vous ai répondu d'abord, je le défavoue; mais quand vous dites qu'il n'y avoit qu'à m'abandonner à mes défauts pour me plaire, que fçavez-vous fi je ne vous les aurois pas reprochés quelque jour ?

WITHÉOPHILE.

Non, Prince, non; il n'y avoit rien à craindre; vous ne les auriez jamais fçus : il faut avoir des vertus pour s'appercevoir qu'on en manque, ου du moins pour être fâché de n'en point avoir ; &

des vertus, vous n'en auriez point eu. La maniere dont je vous aurois élevé y auroit mis bon or dre: & ce lâche Gouverneur, qui vous auroit épargné la peine de devenir vertueux & raifonnable, qui vous auroit laiffé la miférable douceur de vous gâter tout à votre aise, vous feroit toujours refté dans l'efprit, comme l'homme du monde le plus accommodant & du meilleur com merce, & non pas comme un homme à qui vous pardonnez tout au plus le bien qu'il vous a fait THEODOSE.

Vous en revenez toujours à un mot que j'ai dit fans réflexion.

THEOPHILE,

Oui, Prince, je foupçonne quelquefois que vous ne m'aimez guères; mais en revanche on vous aimera: voilà ce que je vous devois à vous, & ce que je devois à tout le monde. Vous fouvenez-vous d'un trait de l'Hiftoire Romaine que nous lifions ce matin? Qu'il me tue, pourv qu'il regne, difoit Agrippine en parlant de Néron; & moi j'ai dit, fans comparaifon, qu'il me haïffe, pourvu qu'il ne manque jamais à fa gloire, & qu'il n'ait tort, ni avec la raison, ni avec les vertus qu'il doit avoir

THÉODOSE,

Qu'il me haïffe, dites-vous ; vous n'y fongez pas, Théophile, en vérité : m'en foupçonnez-vous capable?

THEOPHILE.

La maniere dont vous vous récriez, femble promettre qu'il n'en fera rien.

THEODOSE.

Je vous en convaincrai 'encore mieux dans les fuites, foyez-en perfuadé.

THEOPHILE.

Je crois vous entendre, Prince, & je fuis extrêmement touché de ce témoignage de votre bon cœur; mais de grâce, ne vous y trompez point: je ne vous rappelle pas mes foins pour les vanter. Si je tâche de vous y rendre fenfible, c'est afin que vous les récompenfiez de votre confiance, & non pas de vos bienfaits: pous allons bientôt nous quitter, & j'ai besoin aujourd'hui que vous m'aimiez un peu: mais c'eft pour vous que j'en ai besoin, & non pas pour· moi; c'eft que vous m'en écouterez plus volontiers fur ce qui me reste à vous dire pour achever votre éducation.

THÉODOSE.

Ah! parlez, Théophile: me voici,' je vous affûre, dans la difpofition où vous me fouhaitez; je fçais d'ailleurs que le temps preffe, & que nous n'avons pas long-temps à demeurer enfemble.

il

THEOPHILE.

Et vous attendez que je n'y fois plus, n'eftpas vrai? vous n'aurez plus de Gouverneur vous ferez plus libre, & cela vous réjouit; con

venez-en.

THÉODOSE.

Franchement, il pourroit bien y avoir quelque chofe de ce que vous dites-là ; & le tout, fans que je m'impatiente d'être avec vous mais on aime à être le maître de fes actions,

THEOPHILE.

Raifonnons: fi jusqu'ici vous aviez été le maî tre abfolu des vôtres, vous n'en auriez peut-être par fait une qui vous eût fait honneur; vous auriez gardé tous vos défauts, par exemple.

THÉODOSE.

J'en ferois bien fâché..

THEOPHILE.

C'est donc un bonheur pour vous de n'avoir

pas été votre maître; n'y a-t-il point de danger que vous le foyez aujourd'hui ? ne vous défiezvous pas de l'extrême envie que vous avez de l'être? Votre raison a fait du progès fans doute mais prenez-garde : quand on est si impatient d'être défait de fon Gouverneur, ne feroit-ce pas figne qu'on a encore befoin de lui, qu'on n'eft pas encore auffi raisonnable qu'on devroit l'être car fi on l'étoit, ce Gouuerneur ne feroit plus fi incommode; il ne gêneroit plus, on feroit toujours d'accord avec lui; il ne feroit plus que tenir compagnie : qu'en pensezvous ?

THÉODOSE.

Je rêve à votre réflexion.

THEOPHILE.

Il n'en eft pas de vous comme d'un particulier 'de votre âge; votre liberté tire à bien d'autres conféquences, on fçaura bien empêcher ce particulier d'abuser long-temps & à un certain point, de la fienne; mais qui eft ce qui vous empêchera d'abufer de la vôtre? qui eft-ce qui la réduira à de juftes bornes? quels fecours aura-t-on contre vous, que vos vertus, votre raison, vôs lumieres? & quoiqu'aujourd'hui vous ayez de tout cela, êtes-vous sûr d'en avoir affez pour ne pas

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