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LETTRES

A UN JEUNE HOMME

SUR LA VIE CHRÉTIENNE

PREMIÈRE LETTRE

DU CULTE DE JÉSUS-CHRIST COMME FONDEMENT DE LA VIE

CHRÉTIENNE

École de Sorèze, 24 février 1858.

Mon cher Emmanuel,

Je vous écris de cette école de Sorèze que vous venez de quitter et dont vous avez été l'honneur. A peine entré dans le monde, vous en souffrez déjà. Le bruit de ses désordres vous émeut, le spectacle de ses mœurs vous attriste; rien de grand ne vous apparaît dans les caractères, rien de ferme dans les esprits, et la jeunesse que vous rencontrez autour de la vôtre ne vous semble préoccupée que de plaisirs vides et sans aspirations vers le lieu des saintes

choses où votre âme a vécu. Il vous faudra du temps pour vous accoutumer à cet air que vous n'aviez pas encore respiré. Sans doute le mal vous était connu; l'histoire vous l'avait dit, et votre cœur, plus éloquent encore que l'histoire, vous en avait fait entendre dans les replis de ces solitudes le douloureux écho. Mais Dieu vous avait donné contre l'histoire et contre votre cœur une garde généreuse; il vous avait fait le fils d'une mère chrétienne. Le chaste sein d'une femme régénérée vous avait conçu; ses bras avaient été votre premier berceau, son regard votre premier soleil, et, quand vous fûtes capable d'entendre, sa voix vous avait inspiré la première expression de votre première pensée. Esprit tombé du ciel dans un vase de terre, vous portiez bien en vous le germe de toutes les dépravations de l'homme; mais la vertu de votre mère en avait affaibli la tradition dans ses entrailles et dans les vôtres, et votre baptême en avait effacé la malédiction pour ne vous en laisser que de légères traces, épreuves plutôt qu'écueil de votre future virilité. Vous aviez grandi dans la pureté, qui est la lumière du cœur, et dans la foi, qui est la lumière de la pureté; et si plus tard, au sein d'une adolescence déjà forte, vous aviez touché de près, dans la vie d'école, aux misères d'autrui, du moins les barrières n'étaient pas tombées devant vous, et le vice ne vous était apparu que comme une honte qui a peur et une tache qui se blanchit. Vous ne connaissiez pas encore l'abîme des âmes perdues; vous n'aviez pas rencontré le libre épanchement du mensonge, l'orgueil de l'igno

rance, l'impudeur de la volupté, le mépris de Dieu et la satisfaction de soi-même dans l'abaissement de tout l'homme. Vous croyiez au monde malgré l'Évangile, parce que l'Evangile vous avait fait un fonds de nature capable de croire, d'aimer et d'admirer.

Aujourd'hui, mon cher Emmanuel, l'horizon du mal s'est déchiré pour vous, et, encore que votre âge ne vous permette pas de le voir d'assez haut pour en embrasser la vaste perspective, il vous permet déjà de ne plus vous faire d'illusion sur la part considérable qui lui appartient ici-bas. Vous comprenez ce que l'Évangile vous disait du prince de ce monde (1), de la puissance des ténèbres (2), et de cette ombre de la mort où les peuples sont assis (3). La foi vous avait enseigné qu'il y a, dès l'origine des choses, avant même la création de notre une guerre entre le bien et le mal, et deux chefs de cette guerre : l'un, qui est le Christ, Fils de Dieu et fils de l'homme, rédempteur du monde par son sang répandu au milieu de nous; l'autre, qui est le premier esprit tombé volontairement des splendeurs de la vérité, et devenu par la prééminence de sa chute l'instigateur de toute pensée mauvaise et le maître de toute intelligence corrompue. Vous en étiez certain, mais non pas peut-être persuadé. Il vous coûtait de croire à l'antiquité du mal,

race,

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à sa perpétuité, et surtout à cette hiérarchie perverse qui, du ciel à la terre, et de l'archange à l'homme, lie entre eux, sous une fascination qu'ils se communiquent, tous les esprits qui n'adhèrent point à Dieu. Maintenant vous en avez plus que la certitude, vous en avez la vision. Ce que votre mère ne vous avait point appris, et ce que votre conscience ne vous disait pas, le monde vous l'a révélé. Vous savez qu'il existe deux abîmes inintelligibles l'un à l'autre, aussi profonds l'un que l'autre : l'abîme du bien et l'abîme du mal; vous croyez à Satan d'une foi aussi lucide qu'à Jésus-Christ. C'est là le moment décisif de la vie, le moment de la crainte et du courage, où l'on entend pour la première fois cette parole de saint Paul : Opérez votre salut avec appréhension et tremblement (1); et cette autre qui en est inséparable: Ayez confiance, j'ai vaincu le monde (2).

Dès qu'on est en vue du mal, non plus par l'histoire, non plus par les linéaments que tout homme en porte dans son cœur, mais par la réalité vivante du monde, il faut de toute force passer à la virilité chrétienne, ou succomber. Voilà pourquoi, mon cher ami, du fond de votre chambre d'étudiant, vous vous êtes tourné vers moi. Vos yeux, qui ne me voyaient plus, ont recherché la tendresse du maître et la lumière du chrétien. Vous êtes revenu, jeune homme libre, au seuil où votre adolescence enchaînée avait

(1) Ép. aux Philipp., 11, 12.

(2) S. Jean, xiv, 33.

tant de fois frappé. Vous me rapportez la beauté de votre âme que j'ai tant aimée, et avec elle les premiers troubles d'une expérience qui craint de faillir et souhaite d'appuyer une fragilité pressentie au foyer d'un cœur plus ancien et plus fort. Ce retour ne m'a pas surpris, mais il m'a touché. Je me rappelais, en vous lisant, nos jours de Sorèze, tous les beaux lieux où votre pied suivait la trace du mien, nos égarements d'été dans les forêts de la MontagneNoire; je me nommais, avec vos lèvres plutôt qu'avec les miennes, Saint - Ferréol, Arfons, Alzau, Lampy, ces champs et ces vallons sans gloire pour l'étranger, mais chers au fils de Sorèze, et plus chers à moi qu'à vous tous, parce que j'y portais l'âme d'un père dans des solitudes que vous remplissiez. C'est là que votre souvenir me retrouve et que le mien vous ramène. Vous y revenez plus mûr, mais non pas flétri. L'arome de votre jeunesse a survécu aux enchantements trompeurs de la première liberté, et je reconnais dans votre style, seule image où je puisse vous voir aujourd'hui, la grâce de votre parole et la virginité de votre front.

Aussi, dès les premières lignes, je me suis senti incapable de vous résister. Et pourtant que me demandez-vous? Que je vous initie aux mystères de la vie chrétienne, non plus comme un enfant, mais comme un homme; que je parcoure avec vous les sentiers étroits de l'Evangile sans rien vous cacher; que je vous conduise, voyageur attentif et convaincu, mais craintif encore, de l'étable de Bethlehem au chaume de Nazareth, de la barque des pêcheurs de

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