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glant aux peuples pour leur salut, et soit que Dieu les ait condamnés pour jamais, soit qu'il les appelle un jour à revivre, elle doit leur adresser les paroles de la résignation chrétienne, seule consolation de la créature quand elle ne peut plus rien. Tel a été l'esprit du bref adressé par le Souverain Pontife aux évêques polonais, et à supposer même, ce que je ne crois pas, que, dans l'espérance d'apaiser un prince irrité contre une portion de son troupeau, le pasteur eût excédé par les expressions, je ne me persuaderai jamais que Priam fit une action indigne de la majesté d'un roi et des entrailles d'un père quand il prit la main d'Achille en lui adressant ces sublimes paroles : « Juge de la grandeur de mon malheur, puisque je baise la main qui a tué mon fils. »

La Russie est une puissante nation. Elle touche au centre de l'Europe et de l'Asie, à la Chine et à l'Amérique, par un territoire dont la grandeur effraie bien moins l'imagination que sa disposition providentielle ne ravit l'entendement. La Russie appartient à la religion grecque par accident, et pas le moins du monde par ses nécessités politiques, ni par son esprit, qui n'a rien de commun avec la subtilité schismatique des anciens Grecs. Il est même impossible qu'elle accomplisse ses destinées, si elle ne retourne un; eu plus tôt ou un peu plus tard à l'unité. En effet, considérée en ellemême, la Russie est un amas de nations qui ont besoin de se fondre entre elles, et qui demandent un lien d'autant plus fort, qu'elles sont dispersées

sur un territoire presque sans bornes. Qui sera ce lien, sinon des idées communes enracinées dans l'intelligence? et qui peut donner des idées communes aux hommes, sinon la religion? Mais la religion ne le peut elle-même que par l'unité de la doctrine et du sacerdoce rendez-la protestante, elle devient pire que le rationalisme en quelque sorte, parce qu'elle donne à la division des esprits une sanction divine. Le schisme grec est sans doute moins dangereux que le protestantisme. Toutefois ceux qui ont lu le comte de Maistre ou qui ont consulté d'autres renseignements, savent à quel point la puissance doctrinale est nulle en Russie, et combien facilement ce vaste empire sera dévoré par les sectes et par l'indifférence religieuse, à mesure que la civilisation européenne y pénètrera. En un mot, deux choses sont nécessaires à la vie de tous les êtres, un corps organisé, et un esprit qui coule au dedans. Le corps de la Russie est d'un géant : son esprit est d'un tout jeune homme qui a appris dans les cours étrangères les meilleurs usages, qui parle plusieurs langues avec facilité, qui est poli, qui sait se battre, qui estime les lettres et les arts, sans pouvoir les produire, à qui rien ne manque que la profondeur et la création, parce que si on l'a trempé en naissant dans les eaux de la Néva, on lui a refusé le baptême d'où sont sorties toutes les nations fécondes de la chrétienté.

Cette disproportion entre le corps et l'esprit de la Russie devient plus frappante encore si l'on songe à ses desseins. Que portera-t-elle à l'Orient pour le

constituer, pour le tirer de ses ruines, ce qui est plus difficile encore? Elle lui portera un clergé appauvri jusqu'aux os par sa séparation de l'unité. A ces malheureux pays que la malédiction divine n'a pas cessé de poursuivre un seul jour depuis qu'ils ont déchiré Jésus-Christ dans de misérables disputes, la Russie présentera le fruit même de leur crime pour les sauver. Elle apportera le schisme au schisme, la mort à la mort; elle leur dira: Voici la coupe où vous avez péri, asseyons-nous à la même table, buvons et vivons. Je comprends bien l'avantage apparent d'une erreur commune, quand cette erreur jeune encore n'a pas produit tous ses résultats, et que le premier feu qu'elle tire de sa nou veauté subsiste mais quand le cadavre est tout fait, que peut-on lui donner, et que peut-on en recevoir? Le besoin de la Russie, au point où elle est parvenue, est d'être catholique, et elle le sera dès que ses souverains la laisseront faire. Or il est difficile que ce qui est dans la nature des choses ne s'accomplisse pas, et que la Providence refuse à un empire dont elle a si merveilleusement posé les bornes, le grand homme que Pierre Ier ne pouvait pas être au temps où il naquit, l'homme de l'esprit comme Pierre le fut du corps.

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Je n'ai pas besoin de vous en dire davantage, mon cher ami, pour vous faire sentir combien est complexe et difficile la situation du Saint-Siége. Aux obstacles qui le pressent de toutes parts, à tous les efforts qui sont tentés pour l'entraîner malgré lui dans le chaos européen, il opposera, comme tou

jours, le temps, la patience et la force indestructible de l'unité. C'est par l'ascendant de l'unité que tôt ou tard l'Église catholique ramènera les nations au bercail. Après des déchirements dont nul ne saurait dire la violence et la durée, quand les poëtes auront succédé aux poëtes, les prophètes aux prophètes, l'orgueil à l'orgueil, et quand l'impuissance de la matière pour gouverner l'homme sera constatée aussi bien que l'impuissance de l'homme lui-même; alors peut-être les pasteurs des peuples, levant vers le ciel leur pensée haletante, commenceront à croire que la société est une œuvre divine. Ils regarderont dans l'antiquité oubliée pour voir si jamais il fut un peuple créé par la seule nature et régi par la seule raison, ou bien si toujours le peuple naquit de l'autel, la raison de la foi, la nature de Dieu. Une fois la question comprise, une fois qu'il sera reconnu que la société n'est pas possible avec le rationalisme, et qu'elle ne l'est qu'avec le catholicisme, seule religion véritable parce que seule elle a l'unité de temps par son histoire, l'unité de lieu par son ministère, l'unité de doctrine par ses symboles immuables, l'unité en soi par la papauté; une fois ce pas fait, il s'agira de savoir pourquoi le catholicisme aura subi pendant plusieurs siècles une diminution de son influence naturelle et légitime, afin d'en conclure la manière de la reconquérir. Si les souverains, éclairés par le malheur, daignent y réfléchir, ils s'avoueront peut-être que ç'a été leur faute en grande partie, et que ce sont eux qui ont fait l'Europe ce qu'elle est. A quoi servirait-il de se dissimuler les

causes, quand l'heure sera venue d'y porter remède? Je parle de l'avenir, et non du présent; plus de liberté m'est permise. Je crois donc que les souverains auront à respecter plus consciencieusement l'autorité spirituelle, à accepter plus efficacement le principe qu'elle ne leur appartient pas, et qu'elle ne saurait leur appartenir. Dieu leur a donné la guerre, la paix, la justice, l'administration des intérêts temporels; il a couvert leurs fronts de la majesté de la puissance armée; il les a faits son glaive pour frapper le crime et pour protéger le faible; il veut que nous les honorions même quand ils ne servent pas le maître qui leur a communiqué la vie et l'empire: mais, tout grands qu'ils sont, la vérité ne plie pas sous leurs ordres, et leurs lèvres n'en sont pas plus l'organe que celles de l'enfant et du pauvre. La vérité et la grâce divine ont été répandues sur les hommes par un autre canal qu'il a plu à Dieu de choisir, et qui remonte de race en race, de sacerdoce en sacerdoce, jusqu'au premier autel où l'homme époux, père, patriarche, pontife, offrit à son Créateur l'hommage incompréhensible alors d'une victime. Là, par la force de la tradition, et non par la force de l'épée, réside le premier pouvoir du monde, le pouvoir spirituel. Qui veut l'obtenir le peut, pâtre ou roi. Qu'il quitte son père et sa mère, qu'il s'associe par la chasteté à la souche virginale, d'où coule, avec l'ordination des anciens, la séve qui transforme la créature; qu'il aille, dans la sévérité de la retraite, adoucir son cœur toujours trop fier, sa parole trop âpre pour la vérité, ses mains trop

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