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Embellisse mon front des palmes du génie :

Loin de Patrocle, Achille aurait brisé sa lyre.

Mais que beaucoup d'amis, accueillis dans mes bras, C'est près de Pollion, dans les bras de Varus,

Se partagent ma vie et pleurent mon trépas:
Que ces doctes héros, dont la main de la gloire
A consacré les noms au temple de Mémoire,
Plutôt que leurs talens, inspirent à mon cœur
Les aimables vertus qui firent leur bonheur;
Et que de l'amitié ces antiques modèles
Reconnaissent mes pas sur leurs traces fidèles.
Si le feu qui respire en leurs divins écrits
D'une vive étincelle échauffa nos esprits;

Si leur gloire en nos cœurs souffle une noble envie ;
Oh! suivons donc aussi l'exemple de leur vie :
Gardons d'en négliger la plus belle moitié;
Soyons heureux comme eux au sein de l'amitié.
Horace, loin des flots qui tourmentent Cythère,
Y retrouvait d'un port l'asile salutaire;
Lui-même au doux Tibulle, à ses tristes amours,
Prêta de l'amitié les utiles secours.
L'amitié rendit vains tous les traits de Lesbie,
Elle essuya les yeux que fit pleurer Cinthie.
Virgile n'a-t-il pas, d'un vers doux et flatteur,
De Gallus expirant consolé le malheur ?
Voilà l'exemple saint que mon cœur leur demande.
Ovide, ah! qu'à mes yeux ton infortune est grande !
Non pour n'avoir pu faire aux tyrans irrités
Agréer de tes vers les lâches faussetés:
Je plains ton abandon, ta douleur solitaire.
Pas un cœur, qui du tien zélé dépositaire,
Vienne adoucir ta plaie, apaiser ton effroi,
Et consoler tes pleurs, et pleurer avec toi !
Ce n'est pas nous, amis, qu'un tel foudre menace;
Que des dieux et des rois l'éclatante disgrâce
Nous frappe; leur tonnerre aura trompé leurs mains:
Nous resterons unis en dépit des destins.
Qu'ils excitent sur nous la fortune cruelle;
Qu'elle arme tous ses traits; nous sommes trois contre elle.
Nos cœurs peuvent l'attendre et, dans tous ses combats,
L'un sur l'autre appuyés, ne chancelleront pas.

Oui, mes amis, voilà le bonheur, la sagesse.
Que nous importe alors si le dieu du Permesse
Dédaigne de nous voir, entre ses favoris,
Charmer de l'Hélicon les bocages fleuris?
Aux sentiers où leur vie offre un plus doux exemple,
Où la félicité les reçut dans son temple,
Nous les aurons suivis, et, jusques au tombeau,
De leur double laurier su ravir le plus beau.
Mais nous pouvons, comme eux, les cueillir l'un et l'autre.
Ils reçurent du ciel un cœur tel que le nôtre,
Ce cœur fut leur génie, il fut leur Apollon,
Et leur docte fontaine, et leur sacré vallon.
Castor charme les dieux et son frère l'inspire.

Que Virgile envia le destin de Nisus.

Que dis-je ? Ils t'ont transmis ce feu qui les domine.
N'ai-je pas vu ta muse au tombeau de Racine (1),
Le Brun, faire gémir la lyre de douleurs
Que jadis Simonide anima de ses pleurs ?
Et toi, dont le génie, amant de la retraite,
Et des leçons d'Ascra studieux interprète,
Accompagnant l'Année en ses douze palais,
Étale sa richesse et ses vastes bienfaits:
Brazais, que de tes chants mon âme est pénétrée
Quand ils vont couronner cette vierge adorée,
Dont par la main du temps l'empire est respecté,
Et de qui la vieillesse augmente la beauté !
L'homme insensible et froid en vain s'attache à peindre
Ces sentimens du cœur que l'esprit ne peut feindre;
De ses tableaux fardés les frivoles appas

N'iront jamais au cœur dont ils ne viennent pas.
Eh! comment me tracer une image fidèle
Des traits dont votre main ignore le modèle ?
Mais celui qui, dans soi descendant en secret,
Le contemple vivant ce modèle parfait:
C'est lui qui nous enflamme au feu qui le dévore
Lui, qui fait adorer la vertu qu'il adore;
Lui, qui trace, en un vers des Muses agréé,
Un sentiment profond que son cœur a créé.
Aimer, sentir, c'est là cette ivresse vantée
Qu'aux célestes foyers déroba Prométhée.
Calliope jamais daigna-t-elle enflammer
Un cœur inaccessible à la douceur d'aimer?
Non; l'amour, l'amitié, la sublime harmonie, 1
Tous ces dons précieux n'ont qu'un même génie :
Même souffle anima le poète charmant,
L'ami religieux, et le parfait amant.

Ce sont toutes vertus d'une âme grande et fière.
Bavius et Zoïle, et Gacon et Linière,
Aux concerts d'Apollon ne furent point admis,
Vécurent sans maîtresse et n'eurent point d'amis.

Et ceux qui, par leurs mœurs dignes de plus d'estime,
Ne sont point nés pourtant sous cet astre sublime;
Voyez-les, dans des vers divins, délicieux,
Vous habiller l'amour d'un clinquant précieux;
Badinage insipide où leur ennui se joue,
Et qu'autant que l'amour le bon sens désavoue.
Voyez si d'une belle un jeune amant épris,
A tressailli jamais en lisant leurs écrits;

(1) Fils de l'auteur du poème de la Religion, et petitfils du grand Racine. Il mourut à Cadix, lors du désastre qui détruisit Lisbonne et qui ébranla toute la côte de Por tugal et d'Espagne.

Si leurs lyres jamais, froides comme leurs âmes,
De la sainte amitié respirèrent les flammes.
O peuple de héros, exemples des mortels!
C'est chez vous que l'encens fuma sur ses autels;
C'est aux temps glorieux des triomphes d'Athène,
Aux temps sanctifiés par la vertu romaine;
Quand l'âme de Lélie animait Scipion,
Quand Nicoclès mourait au sein de Phocion;
C'est aux murs où Lycurgue a consacré sa vie,
Où les vertus étaient les lois de la patrie.
O demi-dieux amis! Atticus, Cicéron,
Caton, Brutus, Pompée, et Sulpice, et Varron!
Ces héros, dans le sein de leur ville perdue,
S'assemblaient pour pleurer la liberté vaincue;
Unis par la vertu, la gloire, le malheur,
Les arts et l'amitié consolaient leur douleur.
Sans l'amitié, quel antre ou quel sable infertile
N'eût été pour le sage un désirable asile?
Quand du Tibre avili le sceptre ensanglanté
Armait la main du vice et la férocité;

Quand d'un vrai citoyen l'éclat et le courage
Réveillaient du tyran la soupçonneuse rage;
Quand l'exil, la prison, le vol, l'assassinat,
Étaient pour l'apaiser l'offrande du sénat ?
Thraséa, Soranus, Sénécion, Rustique,
Vous tous dignes enfans de la patrie antique,
Je vous vois tous, amis, entourés de bourreaux,
Braver du scélérat les indignes faisceaux,
Du lâche délateur l'impudente richesse,
Et du vil affranchi l'orgueilleuse bassesse.

Je vous vois, au milieu des crimes, des noirceurs,
Garder une patrie, et des lois et des mœurs;
Traverser d'un pied sûr, sans tache, sans souillure,
Les flots contagieux de cette mer impure;
Vous créer, au flambeau de vos mâles aïeux,
Sur ce monde profane un monde vertueux.

Oh! viens rendre à leurs noms nos âmes attentives,
Amitié! de leur gloire anoblis nos archives.
Viens, viens que nos climats, par ton souffle épurés,
Enfantent des rivaux à ces hommes sacrés.
Rends-nous hommes comme eux. Fais sur la France heureuse
Descendre des vertus la troupe radieuse :
De ces filles du ciel qui naissent dans ton sein,
Et toutes sur tes pas se tiennent par la main.
Ranime les beaux-arts; éveille leur génie ;
Chasse de leur empire et la haine et l'envie :
Loin de toi, dans l'opprobre ils meurent avilis;
Pour conserver leur trône, ils doivent être unis.
Alors de l'univers ils forcent les hommages;
Tout, jusqu'à Plutus même, encense leurs images;
Tout devient juste alors; et le peuple et les grands.
Quand l'homme est respectable, honorent les talens.

Ainsi l'on vit les Grecs prôner d'un même zèle
La gloire d'Alexandre et la gloire d'Apelle;
La main de Phidias créa des immortels;
Et Smyrne à son Homère éleva des autels.
Nous, amis, cependant, de qui la noble audace
Veut atteindre aux lauriers de l'antique Parnasse,
Au rang de ces grands noms nous pouvons être admis;
Soyons cités comme eux entre les vrais amis.
Qu'au-delà du trépas notre âme mutuelle
Vive et respire encore sur la lyre immortelle.
Que nos noms soient sacrés; que nos chants glorieux
Soient pour tous les amis un code précieux.
Qu'ils trouvent dans nos vers leur âme et leurs pensées;
Qu'ils raniment encor nos muses éclipsées;
Et qu'en nous imitant ils s'attendent un jour
D'être chez leurs neveux imités à leur tour.

FRAGMENS.

Bergers, vous dont ici la chèvre vagabonde,
La brebis se traînant sous sa laine féconde,
Au front de la colline accompagnent les pas,
A la jeune Innaïs rendez, rendez, hélas!
Par Cybèle et Cérès et sa fille adorée,
Une grâce légère, une grâce sacrée.
Naguère auprès de vous elle avait son berceau,
Et sa vingtième année a trouvé le tombeau.
Que vos agneaux au moins viennent près de ma cendre
Me bêler les accens de leur voix douce et tendre.
Et paître au pied d'un roc où, d'un son enchanteur,
La flûte parlera sous les doigts du pasteur.
Qu'au retour du printemps, dépouillant la prairie,
Des dons du villageois ma tombe soit fleurie;
Puis, d'une brebis mère et docile à sa main,
En un vase d'argile il pressera le sein,
Et sera chaque jour d'un lait pur arrosée
La pierre, en ce tombeau, sur mes mânes posée.
Morts et vivans, il est encor pour nous unir
Un commerce d'amour et de doux souvenir.

A compter nos brebis je remplace ma mère,
Dans nos riches enclos j'accompagne mon père,
J'y travaille avec lui. C'est moi de qui la main,
Au retour de l'été, fait résonner l'airain
Pour arrêter bientôt d'une ruche troublée,
Avec ses jeunes rois, la jeunesse envolée.
Une ruche nouvelle à ces peuples nouveaux

Est ouverte; et l'essaim, conduit dans les rameaux
Qu'un olivier voisin présente à son passage,
Pend en grappe bruyante à son amer feuillage.

Mes chants savent tout peindre; accours, viens les entendre,
Ma voix plaît, ô Camille, elle est flexible et tendre.
Philomèle, les bois, les eaux, les pampres verts,
Les muses, le printemps, habitent dans mes vers.
Le baiser dans mes vers étincelle et expire.

La source au pied d'argent, qui m'arrête et respire,
Y roule en murmurant son flot léger et pur.
Souvent avec les cieux ils se parent d'azur.
Le souffle insinuant qui frémit sous l'ombrage,
Voltige dans mes vers comme dans le feuillage.
Mes vers sont parfumés et de myrte et de fleurs;
Soit les fleurs dont l'été ranime les couleurs,
Soit celles que seize ans, été plus doux encore,
Sur ta joue innocente ont l'art de faire éclore.
Qui ne sait être pauvre est né pour l'esclavage.
Qu'il serve donc les grands, les flatte, les ménage;
Qu'il plie, en approchant de ces superbes fronts,
Sa tête à la prière et son âme aux affronts;
Pour qu'il puisse, enrichi de ses affronts utiles,
Enrichir à son tour quelques têtes serviles.
De ces honteux trésors je ne suis point jaloux. *
Une pauvreté libre est un trésor si doux!
Il est si doux, si beau de s'être fait soi-même !
De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu'on aime!
Vraie abeille en ses dons, en ses soins, en ses mœurs,
D'avoir su se bâtir, des dépouilles des fleurs,
Sa cellule de cire, industrieux asile,
Où l'on coule une vie innocente et tranquille.
De ne point vendre aux grands ses hymnes avilis,
De n'offrir qu'aux talens de vertus ennoblis,
Et qu'à l'amitié douce et qu'aux douces faiblesses,
D'un encens libre et pur les honnêtes caresses.

Va, sonore habitant de la sombre vallée,
Vole, invisible écho, voix douce, pure, ailée,
Qui, tant que de Paris m'éloignent les beaux jours,
Aimes à répéter mes vers et mes amours.
Les cieux sont enflammés: Vole, dis à Camille
Que je l'attends. Qu'ici, moi, dans ce bel asile
Je l'attends; qu'un berceau de platanes épais,
Le même, en cette grotte, où l'autre jour au frais,
Pour nous, s'il lui souvient, l'heure ne fut point lente;
Va. Sous la grotte, ici, parmi l'herbe odorante
D'où l'œil même du jour ne saurait approcher
Et qu'égaie en courant l'eau, fille du rocher.

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Ainsi, quand de l'Euxin la déesse étonnée
Vit du premier vaisseau son onde sillonnée,
Aux héros de la Grèce à Colchos appelés
Orphée expédiait les mystères sacrés
Dont sa mère immortelle avait daigné l'instruire.
Près de la poupe assis, appuyé sur sa lyre,
Il chantait quelles lois à ce vaste univers
Impriment à la fois des mouvemens divers;
Quelle puissance entraîne ou fixe les étoiles;
D'où le souffle des vents vient animer les voiles;
Dans l'ombre de la nuit, quels célestes flambeaux
Sur l'aveugle Amphitrite éclairent les vaisseaux,
Ardens à recueillir ces merveilles utiles,
Autour du demi-dieu, les princes immobiles,
Aux accens de sa voix demeuraient suspendus,
Et l'écoutaient encor, quand il ne chantait plus,

OVIDE, LIVRE II.

Oh! puisse le ciseau qui doit trancher mes jours
Sur le seuil d'une belle en arrêter le cours !
Qu'au milieu des langueurs, au milieu des délices,
Achevant de Vénus les plus doux sacrifices,
Mon âme, sans efforts, sans douleurs, sans combats,
Se dégage, et s'envole et ne le sente pas !
Qu'attiré sur ma tombe où la pierre luisante
Offrira de ma fin l'image séduisante,
Le voyageur ému, dise avec un soupir :
Ainsi puissé-je vivre et puissé-je mourir !

Il n'est donc plus d'espoir, et ma plainte perdue A son esprit distrait n'est pas même rendue! Couchons-nous sur sa porte. Ici, jusques au jour Elle entendra les pleurs d'un malheureux amour.

Mais non... Fuyons... Une autre avec plaisir tentéc
Prendra soin d'accueillir ma flamme rebutée
Et de mes longs tourmens pour consoler mon cœur...
Mais plutôt renonçons à ce sexe trompeur.
Qui? moi? J'aurais voulu sur ce seuil inflexible,
Tenter à mes douleurs un cœur inaccessible;
J'aurais flatté, gémi, pleuré, prié, pressé...

Que l'amour au plus sage inspire de folie!
Allons; me voilà libre, et pour toute ma vie.
Oui, j'y suis résolu, je n'aimerai jamais ;
J'en jure... Ma perfide avec tous ses attraits
Ferait pour m'apaiser un effort inutile...
J'admire seulement qu'à ce sexe imbécile
Nous daignions sur nos vœux laisser aucun pouvoir;
Pour repousser ses traits, on n'a qu'à le vouloir.
Ingrate que j'aimais, je te hais, je t'abhorre...
Mais quei bruit à sa porte... Ah! dois-je attendre encore?
J'entends crier les gonds... On ouvre; c'est pour moi !...
Oh! ma. . . . . m'aime et me garde sa foi...
Je l'adore toujours... Ah dieux! ce n'est pas elle!
Le vent seul a poussé cette porte cruelle.

Note. Nos lecteurs regretteront sans doute de ne pas trouver ici un plus grand nombre de vers d'André Chénier, mais nous n'avons pu donner plus d'étendue à nos citations : les œuvres de ce grand poète sont aujourd'hui la propriété de M. Charpentier, et c'est lui qui nous a désigné les différens morceaux que nous publions.

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.

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