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CHAPITRE VII.

Du Refpect que les Arabes ont pour La barbe.

L

Es Arabes ont tant de respect pour la barbe, qu'ils la confiderent comme un ornement facré,

que Dieu leur a donné pour les diftinguer des femmes. Ils ne la rafent jamais, & la laiffent croî, tre dés leur premiere jeuneffe. Il n'y a point auffi de marque d'infamie plus grande que celle de la rafer: c'est même un point effentiel de leur Religion, parce que Mahomet ne l'avoit jamais rafée, & c'eft auffi une marque d'autorité & de liberté parmi eux, auffi bien que parmi les Turcs. Les Perfans qui la rognent, & qui la rafent par deffus la mâchoire, font réputés heretiques; le rafoir ne paffe jamais fur le vifage du Grand Seigneur; tous ceux qui fervent dans fon ferrail l'ont rafée, pour

marque de leur fervitude. Ils ne la laiffent croître que quand le Sultan les a mis dans cette liberté qui leur tient lieu de récompenfe, & qui eft toûjours accompagnée de quelque emploi pour fervir hors du ferrail. De tous ceux qui approchent ce Prince, il n'y a que le Boftangi Bachi qui ait le privilege de porter la barbe longue, parce qu'il eft le chef des Jardiniers, qu'il leur commande absolument, & qu'il fe tient auprés de la perfonne de l'Empereur, comme les Capitaines de nos gardes du Corps auprés de celle du Roi. Les jeunes gens, dont le fang est encore fol, pour parler leur langage) rafent leur barbe, quoique libres, à caufe que le feu de la jeuneffe les fait appliquer aux folies du monde, plutôt qu'à l'obfervance de la Religion. Mais quand ils font mariés, ou dés qu'ils ont un enfant, ils ne la coupent plus, pour montrer qu'ils font devenus fages qu'ils ent renoncé aux vanités, & qu'ils

ne fongent plus qu'à leur honneur & à leur falut.

Pour peu qu'on ait vû de Mahometans, on n'aura pas manqué d'obferver qu'ils étendent un mouchoir fur leurs genoux, lorfqu'ils peignent leurs barbes; qu'ils ramaflent fuperftitieufement tous les poils qui en tombent, & les plient dans du papier, pour les porter au Cimetiere, à mefure qu'ils en ont une certaine quantité.

C'eft une plus grande marque d'infamie de couper la barbe à quel qu'un, que parmi nous de donner le foüet & la fleur de lys. Il y a beaucoup de gens en ce païs-là qui préfereroient la mort à ce genre de fupplice. J'ai vu un Arabe qui avoit reçu un coup de moufquet dans la mâchoire, qui aimoit mieux fe låiffer mourir, que de permettre que le Chirurgien lui coupât la barbe pour le panfer. 11 falut un fi long-tems pour prendre fa refolution, que les vers y paroiffoient déja, & que la gangrenne s'y alloic

mettre; il ne fe montra jamais quand elle fut coupée, & quand il fortit enfin, il avoit toûjours le vifage couvert d'un voile noir, afin qu'on ne le vît pas fans barbe, & cela jufqu'à ce qu'elle fût revenuë à fon premier état.

Quand ils ont une fois rafé la tête, fans toucher à la barbe, c'està-dire dés qu'ils font mariés, ou qu'ils font peres, tout le monde leur fait des complimens, & leur fouhaite mille bénedictions; ils ne

la fçauroient plus raser fans offenfer leur Religion & leur honneur ; ils feroient même châtiés en Juftice, comme d'un crime, fi cela leur étoit arrivé.

Les femmes baifent la barbe à leurs maris, & les enfans à leurs peres, quand ils viennent les faJuer; les hommes fe la baifent reciproquement, & des deux côtés lorfqu'ils fe faluent dans les ruës, ou qu'ils arrivent de quelque voïage. Ces baifers font réïterés de tems en tems parmi les complimens qu'ils

fe font les uns aux autres à peu prés en ces termes : Comment vous portez vous? J'avois bien envie de vous voir, loüé foit Dieu, Dieu vous garde, Dieu foit content de vous, vous vous portez bien. Ils répetent tout cela une vingtaine de fois, tant l'un que l'autre, en fe tenant par les mains. Dés que les Arabes voient quelqu'un un peu âgé, avec la barbe rafée, ils ne manquent jamais de lui dire cette imprécation: Que la malediction de Dieu foit fur le pere, qui a en gendré ce vifage imparfait. Ils difent que la barbe eft la perfection de la face humaine, & qu'elle feroit moins défigurée fi au lieu d'avoir coupé la barbe, on en avoit coupé le nez.

Quand les Turcs voïent parmi nous des vieillards nouvellement venus d'Europe, avec la barbe & la mouftache rafée, ils en font fcandalifés, & difent entre eux: N'est-ce pas là un forçat de galere, n'eft-ce pas qu'on l'a diffamé dans

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