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qui les interrompent; c'eft un affés plaifant fpectacle de voir ces mangeurs d'Opium,& de Berge appellés encore a Teriakis en leur langue, chanter, rire tout feuls, & faire des contes dans le commencement de l'operation de ces drogues: au contraire ils font pâles, jaunes, affoupis, fombres & chagrins; lors que les vapeurs font diffipées, alors tout leur

a Ceux qui prennent du Benge,ou de l'Afioun font condamnés par les Mufulmans rigides à caufe qu'ils produifent le même effet que le vin, & parce que la Theriaque prête quelquefois fon nom à ces deux drogues, on donne auffi le nom de Theriaki ou preneurs de Theriaque à ceux qui ufent de l'Afioun &c. Ce nom fignifie auffi un débauché. On raconte qu'un Predicateur declamant un jour contre cet abus s'emporta fi fort, qu'un papier où il tenoit du Benge, dont il ufoit lui-même fouvent, tomba de fon fein au milieu de fon Auditoire; mais que fans perdre contenance & fans sétonner il sécria, le voila cet ennemy, & ce demon duquel je vous parle &c. Prenez garle qu'il ne fe jette fur quelqu'un de vous, & ne le poffede &c Il s'en tira par ce tour d'addreffe; mais un Poëte qui étoit dans PAuditoire luy envoya le lendemain une Epigramme en vers Turcs, par laquelle, aprés l'avoir averti qu'il falloit prêcher d'exemple, il luy difoit;avant que d'examiner le compte des autres, travaillez à acquiter vos propres dettes.

plaifir ne confiste plus qu'à rêver, à marmoter, & à dire des injures à ceux qui les inquiettent.

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Je foutins quelque temps une converfation, qui me donna bien de l'exercice; & aprés que l'Emir eût cessé de me faire des questions quelques Princes Arabes de fa famille,qui étoient accourus au Camp fur le bruit répandu de l'arrivée d'un Franc, commencerent à leur tour à s'informer de ce qui fe paffoit en Europe, comme s'ils euffent demandé des nouvelles d'un autre Monde.

Je commençois à m'ennuier, & le Berge que l'Emir m'avoit donné m'incommodoit déja beaucoup, lors qu'heureufement, il luy furvint quelque affaire de confequence. Toute la compagnie prit congé, & je me retiray auffi avec Omar Aga vers la même Tente où nous étions defcendus, attendant felon la coûtume que l'Emir eût donné fes ordres pour mon logement, & pour notre fubfiftance. Il me prit en

même temps une fi forte envie de dormir caufée par le Berge, que je me couchay fur mes hardes, & me repofay jufqu'à cinq heures du foir, que le même Negre, qui m'avoit fervi du Tabac dans la Tente de l'Emir,vint me rendre une vifite,& me raconta tout ce que l'Emir avoit dit de moy à la Princeffe, & aux femmes qui la fervoient: il ajoûta qu'elles vouloient me voir, & que

leur ferois plaifir de me promener devant la grande Tente, aprés le coucher du Soleil, fans pourtant la regarder, car cela ne fe pratique pas: je luy promis de le faire, & que je leur donnerois tout le temps qu'elles voudroient pour me bien confiderer par toutes les ouvertures de la Tente.

Dés que cet Efclave s'en fût retourné, un Officier de l'Emir vint me dire que je n'avois qu'à m'en aller à la maifon qu'on m'avoit preparée, que tout étoit prêt pour me recevoir; je fuivis cetOfficier,& il me mena à la Tente du nommé Haffan

le Franc,dont je diray l'Hiftoire en fon lieu ; cette maifon n'étoit qu'une Tente affés mediocre, faite d'un tiffu de poil de chevre, mais fort propre & fort commode; on y avoit fait apporter de chez l'Emir de groffes nattes de jonc, un petit matelas, un grand carreau de velours cramoily, une couverture de fatin incarnat, brodée d'or & d'argent, piquée avec du cotton, & un drap de toile de lin affez fine qui étoit coufu à la couverture; un autre grand drap de toile de lin raïée de bleu & de blanc qu'ils appellent Fotta, devoit fervir de drap de deffous: on étend tout cela fur les nattes lorfqu'on veut fe coucher, & le lendemain on le replie, on le roule dans le matelas, & on le range dans un coin de la Tente.

La raifon pour la quelle on ne fe couche point fur des draps blancs, c'eft que les Mahometans ne veulent pas fouler aux pieds la couleur qu'ils portent fur la tête, comme

*

* Les feuls Mufulmans portent un turban de

une marque de leur Religion, & c'eft pour cela qu'ils fe fervent de ces toiles raïées, qui viennent d'Egypte, dont on fait un grand trafic par toute la Turquie.

Mes gens cependant apporterent mon bagage, & ils s'établirent derriere cette Tente, que mes hardes avoient divifée en deux : les armes, & les harnois de nos chevaux furent pendus à des chevilles, ou quenoüilles qui étoient pofées pour cela dans le maft de la Tente; nos chevaux furent attachés par les pieds à des piquets, avec des entraves de corde, & fans licol.

Je fus d'abord vifité par Omar Aga, & par les principaux du Camp de l'Emir, je leur donnay du Café & du Tabac, & aprés la converfation & les complimens ordinaires, chacun fe retira ; il étoit déja tard, & je laiffai mes gens fous la Tente pour aller me promener devant celle de la Princeffe,

couleur blanche; ce qui les diftingue des Chrétiens & des autres peuples de l'Orient.

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