ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

Haffan coucha auprés de moy dans fa Tente, & il s'en retourna à Muzeinat le lendemain matin.

Cinq ou fix jours aprés un Corfaire de Malte vint moüiller à la rade de a Caifa, à caufe du mauvais temps: un jeune. Venitien de fon bord s'étant imaginé qu'il ne falloit que fe rendre Mahometan pour faire une fortune confidera-. ble, fe jetta à la mer pendant la nuit, & vint à la nage fe prefenter. au Gouverneur de Caifa auquel il déclara fon deffein celuy-cy le garda quelques jours chez lui, dans la penfée d'avoir un efclave qui ne luy coûtât rien. Les Religieux du Mont-Carmel, & les Chrétiens de cette Ville, firent tout leur poffible pour le retirer des mains de cet Aga, moïennant quelque argent qu'ils avoient ramaffé l'Aga y avoit déja confenti; mais quand il fut queftion de le livrer aux Religieux, le Venitien dit nettement

a Caifa, Ville maritime, entre Ptolemaïde, & le Mont Carmel.

aux

aux Turcs, qu'il n'avoit quitté le vaiffeau des Chrétiens que pour embraffer la Loy de Mahomet, & qu'il vouloit abfolument qu'on le menât à l'Emir: C'étoit pour l'Aga une affaire affez délicate, & une matiere de Religion où tout étoit à craindre pour luy n'ofant donc faire autrement, il chargea de ce malheureux quelques Arabes, qui le conduifirent au Camp de l'E. mir, & avertirent ce Prince de la bonne volonté du Venitien. Il n'y fut pas plûtôt arrivé que j'en fus averti; mais ne croïant pas que le jeune homme eût pris une refolution fidéfefperée, j'allay d'abord prier l'Emir de me le rendre pour me fervir ce qu'il m'accorda fur le champ. Il vint donc avec moy, ne fçachant qui j'étois : je le menay dans ma Tente, où je le fis dîner avec Haffan, & une quantité d'autres gens qui étoient venus me voir. Je voulus fçavoir son histoire, il me la conta, & comme il s'empreffoit fort pour executer fon def

E

fein, j'emploïay inutilement les meilleures raifons pour l'en diffuader,lui prédifant tout ce qui alloit luy arriver.

Les Arabes qui l'avoient amené de Caïfa avoient informé l'Emir de la difpofition du Venitien, & ils le toucherent fi fort du côté de la confcience, qu'il l'envoïa querir avec Haffan, pour luy fervir d'Interprete. Il luy fit dire que s'il youloit vivre Chrétien, il ne le forceroit pas à changer de Religion, & luy ordonna de fe déclarer; Haffan l'exhortoit tant qu'il pouvoit, luy difant, fais le figne de la Croix, & déclare hautement que tu veux vivre & mourir Chrétien, autrement tu t'en repentiras mais au lieu de fuivre fon confeil, ce malheureux leva le doigt, & se mit à crier, La la Mehemed... C'est tout ce qu'il avoit appris d'Arabe à Caïr fa, n'aïant pu prononcer jufte toute la Profeffion de Foy Mahometane, qui eft telle: La Illah, illa allah Mehemed Raffoul-Allah, Il n'y

:

Deu &

a point d'autre Dieu que Mahomet eft l'Envoïé de Dieu. Alors l'Emir se tournant vers la Compagnie, dit : Peut-on avoir de l'amour pour une Religion que l'on ne connoît point? Les Marchands de Damas qui fuivent ordinairement le Camp de ce Prince, gens zelés, & fuperftitieux au dernier point, luy répondirent; Seigneur, Dieu l'a affurément predeftiné, voïez par quel miracle il l'a fait naître parmy les Infidelles, pour le tirer de l'erreur, & en faire un Saint parmy les Mufulmans c'est une ame Turque de Religion, dans le corps d'un Chrétien, & une marque de cela, c'eft que naturellement, & fans l'avoir appris, il a prononcé les faintes paroles que Dieu luy a infufes avec fa Loy, & le nom de fon faint Prophete; ce feroit détruire fon ouvrage que de ne pas le recevoir, & de le remettre entre les mains des Infidelles : ordonnez, s'il vous plaît, qu'il soit circoncis, & faites cette bonne œuvre

pour le falut de vôtre ame, afin que Dieu faffe profperer vos deffeins, & augmente & benifle vos jours. L'Emir ne pouvant refifter aux prieres de ces Marchands, fit un figne de la main au Venitien, luy demandant s'il vouloit être circoncis, dans la penfée que l'incifion luy en feroit perdre l'envie, & le Venitien luy répondit par un autre figne de la tête qu'il le vouloit bien : alors ce Prince le remit aux Marchands pour en faire tout ce qu'ils voudroient ceux-cy le menerent chez eux, & aprés l'avoir dépouillé de fes habits de matelot, ils luy en donnerent d'autres à la mode du païs, le parerent de tout ce qu'ils purent luy donner de plus beau, & le firent porter fur un cheval jusqu'au premier Village, où un Barbier fit cette operation. Il demeura là jufqu'à ce que la plaïe fût guerie, & il s'en revint au Camp à pied: on le laiffa vivre comme il voulut ;. mais il n'eur pas paffé quinze jours dans cet état, qu'il ne s'accommo

« ÀÌÀü°è¼Ó »