페이지 이미지
PDF
ePub

propres. En ce païs-là on quitte les fouliers pour ne pas falir les tapis : il portoit un Turban de mouffeline fort negligé, dont les deux bouts brochés d'un tiffu d'or, pendoient fur fes épaules, il avoit auffi une efpece de manteau à la Turque, de drap de Hollande couleur de feu, doublé d'un taffetas verd. Je connus par les gens qui étoient debout devant luy, & par les valets qui chaffoient les mouches avec des éventails, plûtôt que par fa figure, que c'étoit l'Emir, fans cela on auroit eu de la peine à le diftinguer entre plufieurs autres perfonnes de fa Cour qui avoient un plus grand air, & qui étoient habillées plus proprement que luy.

Mes domestiques étant arrivés devant l'Emir, ils firent une autre reverence, & une profonde inclination ; ils mirent enfuite mon prefent à fes pieds, & luy aïant baifé le bord de la robe, ils se rangerent à côté, & demeurerent debout, tenant leurs mains croifées fur le

ventre, ce qui en Orient eft une marque de grand respect.

Je m'avançay un moment aprés, fuivi d'Omar Aga, & aprés avoir falué l'Emir, nous nous approchâmes pour luy baiser la main ; mais il la retira, & fe contenta du femblant, voulant nous diftinguer des gens du commun, à qui il la prefente luy-même; foit qu'il ait deffein de les flatter par cet honneurlà, ou qu'il veuille les obliger à faire leur devoir, en luy rendant cet hommage.

Aprés que ce Prince eût jetté quelques regards favorables fur mon prefent, il porta fes yeux de côté & d'autre fans dire mot, en attendant ce Franc dont on luy avoit parlé; & comme il n'en voïoit aucune figure, il demanda enfin à le voir. Omar Aga, prenant la parole, luy dit, Seigneur, le voicy ce Franc, en me montrant à luy: il fut bien furpris alors, car il s'étoit attendu de voir un Franc habillé à la Françoise, & s'étant tour

né vers fes principaux Officiers, il leur dit ce n'eft pas là un Franc, & en s'addreffant à moy: Eft-il poffible, me dit-il, que vous foyez Franc? Je luy répondis que j'étois François, & je luy fis enfuite mon compliment, qu'il reçut fort gracieusement.

:

Aprés que j'eus achevé de parler, il me dit: Il n'y a perfonne qui ne vous prenne pour un veritable Bedouin, vous étes habillé comme eux, & vous parlez notre Langue, les François ne la fçavent pas Je luy repondis que je voïageois depuis un affez long-tems dans les Etats du Grand Seigneur, & que l'étude, & les converfations que j'avois euës avec fes Sujets, m'avoient appris quelque chofe de cette Langue : alors il me remercia du prefent que je luy avois fait, &* me dit fort honnêtement que c'étoit bien affez de la peine que je m'étois donnée de le venir vilter, fans m'être mis en depenfe pour un prefent auffi beau & auffirare en ce

païs-là, que celuy que je luy faifois. Je luy repliquay que le commerce que j'avois eu avec ceux de fa nation, m'avoit appris les bienfeances & les ufages du païs,quand on fe prefentoit devant les Seigneurs de fon rang; que je fçavois qu'il n'avoit pas befoin de ce que je luy donnois, aïant chez luy des choses plus rares & plus fingulieres ; mais que je voulois fatisfaire à la coûtume, & luy marquer mon respect.

L'Emir fe tournant alors vers ses Officiers, leur dit, je ne vois pas que les Francs foient fi barbares qu'on nous les dépeint, nous nous fervons de leurs noms pour épouvanter les petits enfans, & nous leur difons qu'ils mangent les hommes, nous voïons cependant qu'ils font fort honnêtes, & qu'ils ont comme nous du bon fens & de la raison. Je repondis à cela, qu'un des plus grands profits que les voïageurs retirent du commerce qu'ils ont avec les Etrangers, c'est

d'être détrompés des prejugés ordinaires à ceux qui ne fortent point de leur païs : que par cette même raison on croit en France qu'il ne faut qu'être Arabe pour n'avoir rien d'humain que la figure, mais qu'on reviendroit agréablement de cette fauffe opinion, fi tous les Francs pouvoient avoir le même honneur que je recevois en cette Audience.

&

Ce Prince demanda enfuite ce qu'il pouvoit faire pour moy, quel étoit le fujet de mon voïage. Comme ce n'est pas la coûtume en ce païs de parler d'affaires le jour qu'on arrive, qui eft deftiné à la ceremonie, je luy repondis que c'étoit fa grande reputation feule, qui m'avoit fait entreprendre ce voïage, & que je le priois bien fort de fouffrir que je demeuraffe quelques jours auprés de fa perfonne : il me dit que j'en étois le maître, que je luy ferois un tres-grand plaifir de refter tant que je voudrois en cas que je puffe m'accommoder

« 이전계속 »