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lastique ont si longtemps retenu la philosophie, c'est d'avoir ardemment combattu pour la liberté de la pensée. c'est d'avoir été l'un des premiers maîtres de cette période inquiète et hardie qui s'aventure sans crainte dans les mystérieux sentiers du monde idéal; c'est d'avoir compris que Dieu, qui a fait la nuit autour de l'homme, ne lui défend pas de chercher la lumière.

L'étoile d'Abeilard, étoile perdue au ciel des savants, ne scintille plus qu'au sein des plus belles nuits d'été. Mais que d'étoiles autrefois brillantes qui ne font pas plus de lumière ici-bas! La gloire plutôt que la vérité fait le rayon qui les couronne. Vérité! Vérité! ne nous reposerons-nous jamais une heure avec toi sous l'arbre de la science? Faudra-t-il toujours que l'esprit humain passe par le tombeau pour savoir enfin où il va?

LA FILLE DE SEDAINE

Sedaine avait des filles à marier; l'une d'elles, la plus jolie, qui s'appelait Hyacinthe, était bercée du rêve invraisemblable d'épouser David, ce peintre français qui aurait dû naître et mourir à Rome au temps de Brutus. On sait que David n'était pas l'Apollon du Belvédère; sa tête était d'une sévérité inflexible sous des cheveux hérissés comme ceux de la Sibylle de Cumes. Dans son portrait, peint par lui-même, on est frappé du caractère antique du masque. Mais faut-il croire à David peint par lui-même? David, ayant à faire son portrait, ne se laissait-il pas aveugler par la vision de quelques sombres figures romaines? Or ces figures-là n'étaient pas l'idéal des filles à marier vers 1780, alors que les marquis et les mousquetaires étaient si galamment équipés. Mais mademoiselle Hyacinthe Sedaine s'était laissé prendre à la renommée de David bien plus qu'à sa figure; ce qu'elle aimait en lui, c'était l'artiste. Ce n'est jamais l'homme, tel qu'il est, qui fait des passions, c'est l'homme greffé sur l'homme par le hasard, par l'héroïsme, par le génie, par la destinée. L'homme, tel qu'il est, ne porte qu'un fruit sauvage; l'homme, greffé sur l'homme, porte un

fruit savoureux. Le premier, c'est la vérité brutale; le second, c'est l'idéal adoré. On voit et on aime une femme par les yeux du corps; on voit et on aime un homme par les yeux de l'esprit.

David allait souvent dîner chez Sedaine. Hyacinthe avait ce jour-là un sourire de fête et des roses dans sa chevelure; elle parlait à David de ses tableaux avec une voix de syrène, car les syrènes, avant de disparaître dans l'Océan, ont donné leurs voix à toutes les filles qui ont la beauté sur la figure et l'amour au cœur. Ce jour-là, Hyacinthe se mettait au clavecin pour jouer les airs les plus doux de son ami Grétry. Plus d'une fois, à ce même clavecin, elle avait trouvé quelque fraîche inspiration. David écoutait le premier air; il disait froidement : C'est joli! et se renversait sur un fauteuil pour faire la sieste. S'il ne dormait pas tout à fait, cette pauvre Hyacinthe n'y gagnait rien, car David était à cinq cents lieues et à vingt. siècles de là, parmi les Romains et les Grecs. Ah! si Hyacinthe eût été un beau buste antique de marbre ou de bronze! mais elle n'avait pour elle que sa jeunesse, que son amour, que son esprit, que sa beauté; David ne comprenait pas toujours cette langue-là.

Cependant la fille de Sedaine lui pardonnait ses distractions. «Un jour, disait-elle à son père avec une larme cachée, il finira par voir que je suis là. »

David avait, on le sait déjà, une école célèbre dès son origine. A chaque concours ouvert par l'Académie de Rome, c'était toujours un disciple de David qui était couronné; on voulait décerner au maître une récompense nationale. Le roi de France, qui comprenait la royauté des arts, voulut que David fût logé au Louvre. Ce pauvre Louis XVI, surnommé le tyran, par David lui-même !

Quand plus tard le peintre, devenu un des rois montagnards, eut à s'occuper du logement de Louis XVI et qu'il l'envoya en prison, ne se rappela-t-il donc pas qu'il était encore logé au Louvre par la volonté de Louis XVI?

Jusque-là David n'avait pas songé à se marier: il ne pensait qu'aux enfants de son génie. Il fut forcé, pour prendre possession de son logement au Louvre, de s'entendre avec l'architecte du roi, Pécoul. Il avait connu son fils à Rome. Ils avaient souvent causé ensemble de la patrie et de la famille absentes. Le fils de Pécoul avait dit à David : « J'ai des sœurs qui sont belles, vous en choisirez une, et nous serons frères. » Au départ du peintre pour Paris, il lui avait donné une lettre pour son père, mais surtout pour qu'il vît ses sœurs. Plus de deux ans s'étaient passés, David avait toujours la lettre dans un cahier de dessins; quand il la retournait : « Qui sait, disait-il, il y a peut-être là un mot de la destinée!» Et puis il était six mois sans y penser.

Il se présenta enfin chez Pécoul. « Ah! vous êtes David? dit l'architecte; vous voulez un logement au Louvre? -Oui, monsieur; le roi a eu la bonté de m'en octroyer un. Il n'y avait pas, reprit Pécoul, que Sa Majesté qui pût vous accorder cette faveur. Si vous étiez venu me voir, il y a deux ou trois ans, avec une certaine lettre de Rome, que j'attends toujours, qui sait si je ne vous aurais pas logé tout de suite au Louvre? »

David avait la lettre sur lui; il la prit en rougissant et la remit avec émotion à l'architecte. «Par Dieu! dit Pécoul, cette lettre attendra bien encore un peu; venez diner avec moi, et nous la lirons au dessert. » Disant ces mots, Pécoul mit à son tour la lettre dans sa poche. « Et

le logement? dit David. Un jour plus tôt, un jour plus tard,» répondit Pécoul.

David, en attendant l'heure du dîner, s'en alla tout droit chez son ami Sedaine, qui était aussi logé au Louvre, et lui raconta son entrevue avec Pécoul. « Je ne comprends pas, dit Sedaine : c'est un imbroglio. »

Hyacinthe était là; une pâleur subite avait envahi sa figure. « J'ai compris, moi! » murmura-t-elle.

Elle alla au clavecin, et lui fit chanter cette triste élégie de Richard Coeur-de-Lion : Une fièvre brûlante...

:

Une fièvre brûlante avait saisi la pauvre fille elle connaissait les demoiselles Pécoul; si elles n'étaient pas plus jolies qu'elle-même, elles avaient plus de séduction.

David alla dîner. On déploya tout le luxe de la coquetterie, on mit en œuvre toutes les grâces du sentiment. Pécoul voulait à toute force que la gloire et la fortune de David fussent des filles de sa maison.

Au dessert, entre le vin de Champagne et le vin d'Espagne, Pécoul prit la lettre de son fils et la lut à haute voix. Ce fut comme un coup de théâtre. Le silence était profond, les jeunes filles baissaient la tête tout en regardant David. David interrogeait le sphinx. Pécoul, tout en lisant la lettre, cherchait à lire dans les yeux de David. La mère seule pensait à celui qui avait écrit la lettre, car son fils était encore à Rome.

Cette lettre n'était pas longue; la voici : « Je te pré«sente, mon très-cher père, le meilleur de mes amis; «< arrange-toi pour qu'il devienne mon frère. C'est tout « simple: il a vingt-cinq ans et tu as des filles à marier; « il a du génie et tu as de l'argent. »

M. Pécoul avait fini de lire qu'on écoutait encore. « Vous voyez, mes emoiselles, dit enfin David comme

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