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pris à l'improviste, que votre frère arrange les choses à sa manière; je suis confus de la bonne opinion qu'il a de moi, mais il ne sait pas qu'on ne force ni sa fille ni sa sœur sur le chapitre du mariage. Pour moi, qui suis seul de toute ma famille, il va sans dire que je serai heureux de peupler ma solitude par la beauté et par la

vertu. »

A cette phrase laborieuse, dans le style du drame bourgeois alors en vogue, mesdemoiselles Pécoul répondirent par un silence éloquent.

David les regarda toutes les deux sans trop savoir celle qui lui était destinée ou celle qu'il avait le droit de se destiner lui-même. En effet, pour David, sa vraie passion, sa vraie poésie, sa vraie femme, c'était la peinture; l'autre ne devait être qu'une superfluité de luxe qui traverserait sa vie sans l'entraîner.

Il y a deux sortes d'artistes ici-bas : les uns, qui mettent l'art dans leur vie, égoïstes, passionnés pour euxmêmes, qui sont de vrais poëtes dans l'horizon restreint de la famille; les autres, qui mettent l'art dans leurs œuvres, qui s'y répandent eux-mêmes avec une sublime abnégation, ou plutôt avec un égoïsme plus élevé, puisque, après tout, leurs œuvres, c'est encore eux, et que leur renommée est la métamorphose radieuse de leur personnalité.

L'architecte du roi rompit le silence pour dire à David qu'il suivrait à la lettre les conseils de son fils, puisque le glorieux peintre de Bélisuire n'avait pas de parti pris contre le mariage. La conversation reprit son entrain ; on parla gaiement, on parla beaucoup; mais, quand David se leva pour sortir, il ne savait pas encore quelle était celle des deux jeunes filles qu'il épouserait. En s'incli

nant pour dire adieu, il saisit, dans un rapide regard, les deux figures, et s'éloigna en se demandant si l'une, au point de vue de l'art, lui était plus que l'autre sympathique.

Tout naturellement, selon son habitude, il alla passer une heure chez Sedaine.

Hyacinthe était plus pâle que la veille; s'il ne lui en fit pas la remarque, c'est qu'il ne s'en aperçut pas. «Eh bien, mon ami David, lui dit Sedaine avec son air de malicieuse bonhomie, vous avez tout à la fois l'air gai et le front soucieux? En effet, continua Hyacinthe en souriant pour cacher sa peine, il y a deux tableaux dans votre figure. Deux tableaux ! s'écria David, vous avez dit le mot. Je viens, vous le savez, de dîner chez Pécoul; on m'a reparlé de mariage. Me marier! à quoi bon? C'est une vieille habitude du genre humain, qui s'en trouve toujours mal et qui recommence toujours, interrompit Sedaine. Je ne vois pas là deux tableaux, dit Hyacinthe avec impatience. Attendez donc, poursuivit David; pour se marier, il faut une femme, et j'en ai deux. >>

La pauvre fille respira. Une dernière illusion, pareille à ces renaissances de santé à l'heure de la mort, vint relever son front si abattu.

« Oui, j'en ai deux, dit David, comme s'il regardait en lui-même. Je n'aime ni l'une ni l'autre, mais je suis sur le point d'aimer celle-ci autant que celle-là: il y en a une qui est brune, il y en a une qui est blonde. »

Hyacinthe soupira et souleva la tête pour voir ses blonds cheveux dans la glace de la cheminée.

« Celle qui est brune a une ligne plus décidée, un profil plus romain; celle qui est blonde a un type plus

délicat, un contour plus ondoyant; on dirait d'un marbre grec adouci par Coustou. >>

Hyacinthe se regardait toujours dans la glace.

« Pour moi, dit Sedaine, j'ai mieux aimé, quand j'ai eu vingt ans, dénouer une chevelure blonde qu'une chevelure noire. A quoi bon un profil romain du temps d'Auguste pour vivre à Paris sous Louis XVI? »

Hyacinthe rougit et se hâta de dire qu'elle n'aimait pas les cheveux blonds, et qu'elle avait toujours regretté de n'être pas brune. « Ainsi, lui dit David, vous me conseillez plutôt d'épouser le type romain?- Oui, murmura Hyacinthe; c'est d'ailleurs dans vos sympathies, puisque votre génie est tout romain, comme celui de Corneille. >>

Hyacinthe était brisée par les battements de son cœur: il lui était impossible de dire un mot de plus; elle se sentait sur le point ou de mourir de joie, ou de mourir de douleur. Elle tremblait qu'il ne se décidât pour mademoiselle Pécoul; elle tremblait aussi qu'il ne lui répondit: « Puisque vous me conseillez votre rivale, je vous épouse; car elle ne doutait pas que David ne fût indécis entre mademoiselle Pécoul et elle-même.

Tout à coup David, qui se promenait dans le salon, s'approcha d'Hyacinthe et lui dit brusquement: «A propos, ne connaissez-vous pas les deux filles de Pécoul? Oui, murmura-t-elle déjà tout anéantie. Eh bien, puisque vous les connaissez, dites-moi donc tout de suite laquelle il faut prendre. »

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Hyacinthe pâlit, balbutia quelques mots et tomba évanouie; elle avait compris enfin toute l'amère raillerie de sa destinée.

Le pauvre vieux Sedaine, qui comprenait aussi, se

jeta à genoux devant sa fille et lui souleva la tête dans ses mains. « Qu'a-t-elle done? demanda David avec émotion; car, s'il n'avait jamais considéré Hyacinthe comme une amante, il l'avait toujours regardée comme Ce qu'elle a? murmura Sedaine avec un triste signe de tête, si vous ne le savez pas, je ne vous le

une sœur.

dirai pas. »

Un silence de mort suivit ces paroles.

« Ah! mon Dieu! poursuivit Sedaine dans sa pensée; je croyais avoir là deux enfants, est-ce que je vais les perdre tous les deux? »

David avait pris les mains d'Hyacinthe et lui parlait avec sa tendresse un peu rude.

Elle rouvrit les yeux et lui dit qu'elle était touchée de son inquiétude, mais qu'il ne fallait plus y penser.

Elle se leva lentement, se traîna jusqu'au clavecin et se remit à jouer cet air si triste et si éloquent: Une fièvre brûlante, qui était comme le De profundis de son

amour.

David épousa mademoiselle Pécoul, le type romain; Hyacinthe attendit pour mourir que le vieux Sedaine fût mort.

LE

PARADIS RETROUVÉ

J'ai toujours reconnu que les beaux romans sont ceux que la destinée s'amuse à créer dans ses jours de distraction poétique. La destinée écrit en lettres de feu sur le cœur des hommes. Que d'enchevêtrements, d'éclats de rire et de péripéties dans ce livre éternel qui a pour titre la comédie des comédies!

Quand je veux lire un roman, j'étudie tout simplement la vie d'un homme heureusement doué. Poëte, artiste, grand capitaine, homme d'État, philosophe, maître d'école, pâtre, bohémien, bûcheron, chiffonnier, qu'importe, si je reconnais que la destinée a pris plaisir à le tourmenter, à l'élever au-dessus des autres hommes par l'héroïsme, par la passion, par la poésie, par la misère?

C'est surtout dans la vie des poëtes et des artistes que je m'arrête avec joie; car ceux-là, s'élevant plus haut que les rois et les héros par le rêve ou par la pensée, donnent à l'étude un champ plus vaste. Ils répandent autour d'eux je ne sais quels rayons charmants qui colorent le monde où ils vivent. Avec eux, les sentiers sont plus verts, les roses plus fraîchement épanouies, les forêts plus éloquentes, les vignes plus généreuses, et, le dirai

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