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reffource précieuse pour ceux qui, hors d'état de retourner dans leur Patrie, errans, fans afyle & fans fecours, fe tirèrent par ce moyen de la misère où ils étoient réduits. Plutarque rapporte encore un autre exemple de l'eftime particulière des Siciliens pour ce Poëte fenfible, à l'occafion d'un vaiffeau Caunien poursuivi par des Pirates, auxquels il ne pouvoit échapper, qu'en entrant dans quelque port de la Sicile. Le bâtiment n'obtint la permiffion d'aborder, qu'après que les gens de l'équipage eurent affirmé que plufieurs d'entr'eux étoient en état de chanter les vers d'Euripide (1).

Malgré des preuves fi éclatantes de fon mérite, Euripide eut fes Pradons, comme Racine. Il fut fouvent vaincu par des Poëtes, qui ne valoient pas mieux que nos Pradons modernes. Le génie ne peut être humilié par de pareilles défaites. C'eft aux vainqueurs à (1) Idem, ibid.

rougir de leur victoire. Sophocle connoiffoit mieux le danger de lutter contre Euripide; & fi fa jaloufie, qui n'eut jamais rien de bas, l'emporta quelquefois trop loin, du moins il ne fut pas injuste. S'il n'eût été qu'un fimple Bel-Esprit dévoré d'envie, un fimple faiseur de Tragédies, rien ne lui eût coûté pour perdre fon rival. Mais la rivalité de Sophocle étoit celle d'un homme de génie, d'un grand homme qui ne rougit point de trouver des égaux, & qui ne fait confifter fon orgueil, que dans la gloire de les combattre & de les vaincre. Qu'il témoigna bien la haute eftime qu'il avoit conçue pour Euripide, lorfqu'apprenant fa mort, au moment même où il étoit (1) prêt à monter fur le Théâtre, & que le fpectacle alloit commencer, il prit fur le champ un habit de deuil, & ordonna à fes Acteurs d'ôter leurs couronnes! Cet exemple, malheureusement, n'a pas trouvé depuis d'imitateurs.

(1) Thomas Magifter, in vitâ Euripid.

Tels ont été les fondateurs de la Tragédie Grecque; leurs ouvrages parviendront jufqu'à la dernière postérité. Le Bel-Efprit, l'ignorance & le mauvais goût fe ligueront en vain pour affoiblir, pour détruire même le jufte enthousiasme qu'ils infpirent. Leurs beautés, malgré la révolution des âges, conferveront toujours leur fraîcheur, parce qu'elles font pures & vraies. Ils ont auffi fans doute leurs défauts ; mais quel eft l'ouvrage, à moins qu'il ne forte d'un efprit purement célefte, qui puiffe être parfait?

Au refte, le véritable mérite des Anciens eft d'avoir toujours confulté la nature, & d'avoir fu la faifir. C'eft faute de la confulter & de favoir la faifir comme eux, qu'il eft fi difficile de les traduire. Il n'appartient qu'à la profe élégante, admirable & poétique de Fénelon, aux vers fublimes, harmonieux & tendres de Racine, de faire paffer dans notre langue tout le charme, toute l'harmonie des vers des Homère, des Efchyle,

des

DES MŒURS. 49 des Sophocle & des Euripide, & non à de froids enlumineurs, dont l'orgueilleux amour-propre s'imagine, avec des pinceaux languiffans & groffiers, des couleurs fauffes & éteintes, pouvoir copier les touches larges, favantes & vigoureuses, les nuances délicates & légères, & le coloris enchanteur des tableaux pleins d'ame, de chaleur & de vie de ces grands Maîtres. Ce font leur palette, leurs pinceaux, leur goût, leur génie en un mot qu'il faut avoir, pour atteindre à leur perfection.

Les trois Tragiques Grecs ont chacun leur caractère propre qui se fait aisément fentir, & dans leurs penfées, & dans la manière de les exprimer. Toujours plein de l'ardeur guerrière dont il avoit brûlé long-temps, Eschyle femble imiter dans fon ftyle le choc & le bruit des armes : il écrivoit comme il combattoit, avec impétuofité: fon imagination fougueufe le fervoit comme fon courage, & l'emportoit fouvent trop loin. Sophocle animé

de la même ardeur, nourri de même dans l'horreur des combats, eft cependant plus modéré, plus fage: fon imagination eft grande, élevée, fans être gigantefque. Euripide qui ne s'étoit jamais appliqué à d'autre étude, qu'à la contemplation & à la méditation tranquille de la nature, a imprimé fon caractère philofophe à toutes fes Tragédies. C'est ce qui a fait dire à Quintilien (1): « Qu'il » le regardoit comme le Poëte, dont la » lecture étoit la plus utile à ceux qui »fe deftinoient à la profeffion du Ba»reau, car indépendamment que fon » ftyle ( & c'eft-là précisément ce que

(1) Illud quidem nemo non fateatur neceffe eft, iis qui fe ad agendum comparant, utiliorem longè Euripidem fore. Namque is & in fermone (quod ipfum reprehendunt quibus gravitas & cothurnus & fonus Sophoclis videtur effe fublimior) magis accedit oratorio generi; & fententiis denfus, & in iis quæ à fapientibus tradita funt, pene ipfis par, & in dicendo ac refpondendo cuilibet eorum qui fuerunt in foro diferti, comparandus. In affectibus vero cum omnibus mirus, tum in iis qui miferatione conftant, facile præcipuus. QUINT, Lib. X, Cap. I,

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