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Tous deux haïs du peuple, & tous deux ad

∞ mirés :

Enfin par leurs efforts ou par leur industrie
Utiles à leurs Rois, cruels à la patrie. »

J'admire, avec vous, répartit Euphorbe, la richeffe & l'exactitude de ce parallele; mais, en vérité, je ne sçaurois vous paffer le dernier vers. Il me paroît choquer toutes les idées reçues. Que veut dire, être utile à fon Roi, & cruel à fa patrie ? Quand il s'agit des devoirs, Roi, état, patrie, font des termes fynonimes. Un royaume est une grande famille, dont le fouverain eft le pere; &, comme tel, il en eft le repréfentant. & en pofléde tous les droits. Voilà la fource de l'obligation où font les fujets de donner leur vie pour leur fouverain. S'il ceffoit de l'être, cette obligation ne fubfifteroit plus, parce qu'il ne feroit plus un même objet avec la patrie, qui a fur nous des droits naturels & inviolables. Au refte, quoi qu'il en foit de cette queftion, elle n'excufe point votre Auteur. Par malheur pour lui, il s'agit dans l'endroit que nous difcutons de deux princes, dont l'un a mérité de la postérité le furnom de Jufte, & l'autre, celui

de Grand. Si l'Auteur eût dit ; utiles aux tyrans, cruels à la patrie, la penfée auroit bleffé la vérité de l'hiftoire; mais elle auroit été plus aifée à concevoir. D'ailleurs, la plupart des Auteurs qui ont parlé de ces deux grands miniftres, nous en ont laiffé une idée bien différente. Sans diffimuler leurs vices, ils louent leurs projets, & les fervices qu'ils ont rendus à l'état. Amelot de la Houfsaye n'étoit pas prodigue de louanges, vous le fçavez. Voici ce qu'il dit du cardinal de Richelieu, dans fes notes fur Tacite. (1) Qu'un ministre soit ambi»bieux, jaloux, vindicatif, & quelque fois trop rigoureux, ainfi qu'on l'a re

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proché à M. le cardinal de Richelieu, » il fera néanmoins digne de ce pofte, » & même préférable à tout autre, s'il a toutes les qualités qu'avoit ce mini❤ftre, l'intelligence, la fermeté, la vigilance, l'activité, le discernement des efprits, la prévoyance, enfin la même promptitude à récompenfer les fervi» ces rendus à l'état, qu'à punir, fans » miféricorde, les trahifons, les confpirations, les révoltes & les autres cri

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(1) Ann, de Tas. 1. 6.

» mes de lèze majefte. » Dans la vie de Louis XIII, par le P. Griffet (1), vous trouverez, fur le miniftere de ce fameux cardinal, le fuffrage de deux hommes éclairés dans cette matiere. L'un eft le comte-duc d'Olivarès, qui avoua à l'ambaffadeur de France & avoir fouvent dé

claré au Roi d'Efpagne, que fon plus » grand malheur venoit de ce que le Roi » de France avoit le plus habile mini» ftre qui eût paru depuis mille ans dans la chrétienté; &, que pour lui, il confentiroit volontiers, que l'on imprimât tous les jours des bibliothèques entieres contre lui, pourvu que les affaires de fon maître fuffent auffi-bien conduites que celles du Roi très-chrétien. » Le fecond, eft le Czar Pierre-leGrand, qui à la vue du tombeau de ce miniftre s'écria: a Grand homme, fi tu étois encore vivant, je te donnerois tout-à-l'heure la moitié de mon empire, à condition que tu m'apprendrois à gouverner l'autre. ». De pareils éloges laiffent-ils foupçonner que Richelieu ait été nuifible à la France ? Ce

(1) Troifieme vol. an. 1642,

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qu'en dit le préfident Hénault, eft encore plus décilif. (1) « Qu'il puifle y avoir » un homme, né affez grand & aflez ennemi de lui-même pour s'occuper tout entier de l'administration d'un royaume, où il eft également craint » & de celui qu'il fert & de ceux qu'il foumet; en vérité, c'eft un problême qu'il n'appartient qu'aux paffions de réfoudre, ou un amour du bien public fort au-deffus de l'humanité. » Venons au cardinal Mazarin. L'Auteur de la vie de Louis XIV termine ainfi le portrait de ce miniftreétranger.(2) Les per»fonnes fenfées le regretterent fincére»ment & de bonne foi, comme un » homme qui avoit rendu de très» grands fervices à l'état, & dans lequel, à tout prendre, il y avoit beaucoup plus de bien, que de mal. » Enfin M. de Fénelon fait, en un feul trait, la critique la plus jufte & l'éloge le plus vrai de ces deux hommes illuftres, lorsqu'il met ces mots dans la bouche du cardinal de Richelieu, parlant au cardinal Mazarin dans les champs Eli

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(1) Abr. Chr. an. 1642.

(2) Reboulet, troifieme vol. p. 262.

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fées: (1) « Nous fervions tous deux l'état en le fervant, nous voulions l'un » & l'autre tout gouverner. » Dans tout cela, je vois de l'ambition & d'autres vices condamnables; mais je n'y vois point de cruauté envers la patrie.

Peut être, interrompit Timagene, le poëte veut-il dire feulement par ces expreffions, que tous deux ils abaiflerent les grands, & qu'ils furent hais du peuple.

Tenir les grands dans les bornes légi times, répondit Euphorbe, c'eft aflurer la tranquillité de l'état ; & un homme fenfé ne prend point pour régle la haine d'un peuple aveugle, qui fouvent déchire la main qui le défend, & bénit celle qui l'opprime, en le flattant.

Pour le coup, reprit Timagene, vous vous échauffez à votre tour, & jusqu'à vous écarter de l'objet de notre converfation. Je fuis bien aife de voir que vous me reffembliez quelquefois.

Il est vrai, répartit Euphorbe, je fuis François j'aime mon fouverain; & je ne puis me perfuader que l'aimer, ce ne foit pas aimer ma patrie. C'eft-là ce qui m'a un peu indifpofé contre les vers que vous m'avez récités, quelque mérite qu'ils aient d'ailleurs: car l'exactitude &

(1) Dialogue des morts,

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