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fente quelquefois fous un jour defavantageux. Je crois, pour moi, qu'un historien doit expofer & raconter, mais non pas deviner.

Vous me paroiffez un peu difficile, dit alors Timagene: cependant, en prenant acte de vos derniers mots, je crois avoir trouvé des hiftoriens dignes de votre fuffrage. Céfar, par exemple, n'at-il pas droit à toute votre eftime? fon élégante fimplicité femble être le garant de la droiture & de fon impartialité. Il ne va point chercher dans le cœur de ceux qu'il fait agir, des motifs finguliers & fouvent imaginaires. Il raconte fes propres exploits, fans chercher à les faire valoir, ni à diminuer la gloire des ennemis qu'il a vaincus, même dans une guerre civile, où les haines perfonnelles feroient permifes, fi elles pouvoient jamais être légitimes. Je peux bien placer à côté de lui le feigneur d'Argenton. L'aimable naïveté de fon ftile n'eft point un mafque qui ferve à cacher la flatterie ou l'animofité ; c'eft l'expreffion d'une belle ame, ennemie du déguisement. Comblé des bienfaits de Louis XI, il n'en eft pas plus indulgent pour fes vices & fes foibleffes. Maltraité par Charles VIII, le reffentiment ne le rend

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point injufte. Il détaille les bonnes qualités de ce prince, & tâche d'excufer fes fautes. Cette conduite de Philippes de Commines me fournit une réflexion. J'en conclus qu'un hiftorien peut fe déclarer pour ou contre les perfonnages qui paroiffent fur la scène, felon qu'il le juge à propos.

Dites mieux, interrompit Euphorbe: il le doit. L'histoire n'eft point une fimple gazette; elle n'eft pas même une compilation de faits rangés par ordre de dates, telles que font les chroniques & les annales. Son but principal eft de nous inftruire. Pourra-t-elle jamais y parvenir, fi on lui interdit tout jugement fur les actions qu'elle préfente à fes lecteurs? Il en eft de la lecture de l'hiftoire, comine des voyages; on peut y perdre ou y gagner beaucoup. Celui qui parcourt l'univers, s'il n'eft accompagné d'un guide fage, dont les confeils & les lumieres puiffent l'éclairer, remporte fouvent chez lui les vices de tous les peuples qu'il a vus. Le même inconvénient eft à craindre dans la connoiflance des temps. Il est bien peu de gens qui foient en état, par eux-mêmes, de tirer les véritables conclufions des faits qu'ils lifent. Il faut donc que l'écrivain fupplée à cette

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d'autrui. Le second devoir imposé à l'hiftorien confifte à rendre la vertu aimable, & le vice odieux. Quelle espece d'ouvrage eft plus propre à produire cet effet, que le récit hiftorique? « Les bons exemples, dit Pline le jeune (1), ont cet avantage, qu'ils montrent tout Dà la fois, que la vertu eft poffible, & qu'elle eft approuvée. » Où fe rencontre l'empreinte de cette approbation, fi ce n'eft dans les jugemens que porte des faits, celui qui les raconte, & dans le foin qu'il prend de remarquer les biens ou les maux qu'ils ont occafionnés? Dans le récit de quelque fait équivoque, de quelque événement plus conforme à la politique & à l'ufage qu'à la raifon ou à la religion, la réflexion, le bon mot d'un homme fage, rappor tés à propos, fuffiront pour fixer le jugement qu'on doit porter de cette action, & refteront gravés dans l'efprit du lecteur, où ils ne peuvent manquer d'établir en même-temps les principes les plus avan

tageux.

Voilà des fonctions bien nobles & bien importantes, répliqua Timagene.

(1) Panégyr. de Traj.

Vous faites de l'hiftorien un docteur, chargé d'apprendre aux hommes ce qu'ils doivent fçavoir: un juge prépolé pour diftribuer à la vertu fa récompenfe, & au vice fon châtiment. En effet, je conviens avec vous, que les éloges donnés aux belles actions font un puissant motif pour les imiter, les imiter, & que les méchans ne peuvent voir, fans un chagrin cuifant & un dépit fecret, le jufte tribut de louanges qu'on accorde à ces ames droites, qu'ils affectent de rendre ridicules & méprifables. Je crois même que le fpectacle affreux des défordres & des malheurs qu'entraîne ordinairement après foi la corruption des mœurs, eft un bon préservatif contre les attraits du vice. On rapproche naturellement les événemens paffés de ceux dont on est témoin; &, dans ce parallèle, on craint que les mêmes causes n'aient enfin d'auffi funeftes effets. En lifant dans Tite-Live l'hiftoire de Lucrece, il me femble y retrouver toujours l'imprudence & l'étourderie de nos jeunes feigneurs, la molleffe & l'oifiveté de la plupart de nos dames. (1) Dans une partie de débauche,

(1) Forte potantibus his (regiis juvenibus) apud Sex Tarquinium, ubi & Collatinus co

»

» dit-il, où les princes du fang royal foupoient chez Sextus - Tarquinius avec Collatinus, la converfation tomba, par hafard, fur les femmes. Chacun dit des merveilles de la fienne. La difpute commençoit à s'animer, lorfque Collatinus prit la parole: Laiffons» là, dit-il, tous ces propos: il ne faut que quelques heures pour vous démontrer combien Lucrece, mon épou fe, l'emporte fur toutes les votres. Nous fommes jeunes & vigoureux : ❤montons à cheval, & allons nous aflurer par nous-mêmes de la conduite de

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nos dames. Dans cette arrivée fubite » & imprévue d'un époux, le premier objet qui frappera nos ieux, fera la preuve complette de ce que nous cherchons. C'étoit au camp devant Ardée, à feize mille de Rome, que

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nabat Tarquinius, incidit de uxoribus mentio. Suam quifque laudare miris modis. Inde certamine accenfo, Collatinus negat, verbis opus effe paucis id quidem horis poffe fciri, quantum cæteris præftet Lucretia fua. Quin, fi vigor juventæ ineft, confcendimus equos, invifimulque præfentes noftrarum ingenia ? Id cuique fpe&tatiflimum fit, quod nec opinato viri adventu occurrerit oculis. Incaluerant vino: age fane, omnes citatis equis advolant

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