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cette fcène fe paffoit. Voyons quelle en fut l'iffue. « Cette jeunefle, continue Tite-Live, étoit échauffée par le vin. 20 On accepte le défi; on vole à toute bride à Rome. Ils y arriverent au » commencement de la nuit. De-là ils allerent à Collatie, où réfidoit Lucre»ce. Ils ne la trouverent pas, comme » les autres princeffes, livrée à fes plai» firs, dans des cercles brillans, au milieu des feftins où régnoit le luxe & la fomptuofité, Quoique la nuit fût bien avancée, elle étoit encore affife au milieu de fes femmes qui veilloient avec elle, & s'occupoit d'ouvrages propres à fon fexe. » Dans les dames de Rome, peut-on méconnoître la vie voluptueufe & oifive de bien des femmes de nos jours ? Dans Lucrece, au contraire, je vois une innocence de mœurs, exempte même du foupçon de vanité; & c'eft ce qui en

Romam. Quò quum primis fe intendentibus tenebris perveniffent, pergunt inde Collatiam; ubi Lucretiam, haud quaquam ut regias nurus, quas in convivio, luxaque cum æqualibus viderant tempus terentes, fed note ferâ dedi

tam lanæ inter lucubrantes ancillas in medio cdium fedentem inveniunt. Liv. l. 1. C.. $7.

fait le plus grand mérite. Car la meil leure maniere de juger fi une action eft vraiment vertueuse, c'est d'examiner fi celui qui l'a faite, a cru qu'elle feroit ignorée.

Sans doute, poursuivit Euphorbe les vices & les vertus des autres font un miroir fidèle, où nous retrouvons les nôtres. Mais l'affreufe catastrophe qui termina cette espece de comédie, nous donne bien d'autres inftructions. Collatinus ne prévoyoit affurément pas, que fa plaifanterie dût coûter l'honneur & la vie à fon épouse, & que la brutalité de Sextus renverferoit le trône des Tar

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quins, & changeroit le gouvernement. Cette révolution nous en rappelle plu fieurs autres, forties de la même fource. Le Roi Roderic ravit l'honneur à la fille de Julien le pere, pour s'en venger, appelle les Maures en Efpagne. Le Roi eft défait & tué dans le combat, & l'em pire des Vifigoths eft détruit. Henri VIII eft épris d'Anne de Boulen: il veut faire diffoudre fon premier mariage: les obftacles qu'il y trouve, le rendent furieux: il fe fépare de l'églife Romaine ; & l'Angleterre commence par le fchifme, pour finir bientôt après par l'héréfie. Ce font-là les chef-d'œuvres d'une

paffion dont on plaifante, qu'on flatte, & qui devient l'affaifonnement de tous les plaifirs. On ne peut nier affurément que des faits de cette nature, surtout s'ils font aidés de quelques réflexions courtes & fenfées, ne forment un excellent traité de morale.

Laiflons donc à l'hiftorien, reprit Ti magene, le droit de cenfurer les crimes & de louer la vertu; pourvu qu'il ne s'écarte jamais de la vérité; pourvu qu'il rende hommage à ce qui eft louable, même dans les ennemis de fa patrie & de fa religion, & qu'il ne cherche point à excufer les attentats de ceux qui lui appartiennent par quelque endroit. Ce font-là des écueuils où l'on ne vient échouer que trop fouvent, & qui ont fait defirer à des gens d'efprit, qu'un hiftorien fût fans religion, fans patrie, fans parens, fans amis.

Gardons nous d'un pareil remede, répartit Euphorbe: il eft pire que le mal. Dites-moi, dans un procès où il s'agiroit de votre fortune & de votre vie, choifiriez-vous des juges pareils à l'hiftorien dont vous venez de parler ?

Non, répondit Timagene: je ne ferois pas même curieux, que mon fort fût remis entre les mains d'un Aréopage

inftruit à l'école de nos prétendus philofophes.

Je le crois, pourfuivit Euphorbe. Que n'auroit-on pas à craindre de gens fans principes, qui ignoreroient ou méconnoîtroient les liens réciproques établis par la nature entre les peres & les enfans, entre les princes & les fujets ; qui renverferoient les fondemens des devoirs & de la reconnoiffance? Vous avez remarqué vous-même, il n'y a qu'un moment, que l'hiftorien étoit un juge. Pourquoi donc en ferions-nous un efpece de monftre, incapable de décider entre les vices & la vertu, puifqu'il ne connoîtroit point les véritables fources de l'un & de l'autre? Un écrivain, fans religion, traitera de fanatisme & d'entêtement ce zèle pour les intérêts de Dieu, qui a diftingué tant de grands hommes, auffi utiles à l'église qu'à l'état. A fes ieux, le crime ceffera d'être crime, s'il eft couronné du fuccès. Il effacera du temple de mémoire les noms des Conftantins, des Charlemagnes, des Louis, pour y graver ceux des Alexandres, des Céfars & des Cromvels. L'ex

périence nous montre que les gens de cette trempe ne font rien moins qu'indifférens, par rapport aux partifans d'un

culte qu'ils abhorent; qu'ils ne leur épar gnent pas les invectives; en un mot, qu'ils s'embaraffent peu qu'on les croie, pourvu qu'on les life. Dans tous les faits qui porteront quelque empreinte du prodige, l'Auteur fans religion ne verra qu'une aveugle crédulité : fuflentils atteftés par des témoins éclairés, vertueux, fans intérêts, il les rejettera, il les rendra fufpects, ou, du moins, il les accompagnera de quelque réflexion maligne. Partout il mettra en parallèle la fimplicité fuppofée, ou plutôt la ftupidité des premiers âges, avec les lumieres d'un écle éclairé par une prétendue philofophie. En un mot, tout attachement pour un culte particulier, fera dans fon efprit fuperftition; tout zèle, fera fanatifme. Si l'hiftorien eft fans patrie, placera-t-il l'héroïque foumiffion d'un Camille, au-deffus de la vengeance aveugle d'un Coriolan? Met. tra-t-il dans tout fon jour la grandeur d'ame de ces citoyens qui fe difputent l'honneur d'être livrés à un vainqueur irrité, & de s'immoler à leur fidélité & à leur dévouement pour leur prince? Ces fentimens ne font point dans fon cœur ; il ne pourra les faire paffer dans le mien. Ce que nous appellons zèle du

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