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on ne pouvoit diftinguer le vainqueur & le vaincu, jufqu'à ce que les Evefques venant à repeter pour la troifiéme fois le verfet où l'on prie le S. Ef prit de chaffer l'Ennemi, il fembla que les Albigeois étoient repouffez par une force invifible vers leurs murailles, & laiffoient Montfort maître du terrain fitué entre les foffez.

Sur ces entrefaites les Villes de la Comté de Toulouse, qui n'étoient pas encore rentrées dans l'obéïflance de l'Eglife, demanderent, à une ou deux prés, Garnifon Catholique, & cela convainquit les Bourgeois de Moyfac qu'il n'y avoit plus de reffource pour eux. Dans le deffein de fauver leur biens & leur vie, ils facrifierent au Comte de Montfort tous les Touloufains & les Routiers qui étoient dans la Place: ceux-ci eurent alors lieu de fe repentir d'en avoir use fi barbarement avec les Croifez. Le jeune Humbert neveu de l'Archevefque de Reims fut vengé autant de fois qu'il y eut de Routiers & de Touloufains à maffacrer. Les François eurent encore le tems de marcher vers Pamiers, & d'obliger les Comte de Foix & de Toulouse à en lever le Sie

ge, qu'ils avoient commencé & continué-pendant prefque tout le tems que Montfort avoit employé à réduire les Places dont j'ai parlé. Cette nouvelle déroute des heretiques fut un furcroît de gloire pour le Vainqueur; on revint autour de Toulouse pour fe faifir des Poftes, d'où l'on pouroit tenir cette grande Ville bloquée pendant l'Hyver.

Ces Poftes peu confiderables ne refifterent pas à celui qui avoit foûmiş les plus fortes Villes. Il n'y eut que les habitans de Muret qui furent affez déraisonnables pour croire qu'il leur étoit plus avantageux de mettre le feu à leurs Ponts, & de s'enfuir, que de recourir à la clemence du Comte. II leur en coûta cher; car la Cavalerie de la Ligue ayant traverfé la Garon

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elle éteignit le feu qui commen: çoit à confumer le Pont, & paffa au fil de l'épée une partie des Bourgeois. Cet avantage néanmoins fut mêlé de crainte & de larmes de la part des Croifez, qui crûrent plufieurs fois. avoir perdu leur General, ainfi que. je vas le dire.

A peine le Comte cut paffe la Riviere à la tête de fa Cavaleric, que la

Garonne venant à groffir extraordi nairement, il fut impoffible à la Cavalerie de la repaffer à la nage pour rejoindre l'Infanterie, & encore plus impoffible à l'Infanterie, qui n'avoit point de bâteaux, de venir joindre la Cavalerie.

Ceux de Muret avoient déja porté à Toulouse la nouvelle que la Cavalerie & l'Infanterie de la Ligue étoient feparées, fans efperance de fe pouvoir réunir, & qu'il fuffifoit de fe mettre en Campagne pour tailler en pieces l'Infanterie, qui étoit peu nombreuse & fans Chef. Montfort vouloit repaffer la Garonne, lors que Guy de Levy lui reprefenta que la valeur la plus heroïque avoit des bornes; que les Croifez ne fouffriroient jamais que leur General rentrât dans la Riviere que quand fon cheval feroit affez vigoureux pour le porter jufqu'à l'autre rivage, la mort y étoit inévitable; à moins de fupofer, contre toute raison, ou que le Comte de Foix n'étoit pas informé de la fituation des affaires, ou qu'il avoit oublié le métier de la Guerre : qu'il étoit fâcheux de voir périr une poignée de Fantaffins, mais qu'il feroit déraifon:

nable de s'expofer inutilement pour défendre des gens qu'on ne pouroit fauver.

Pendant que Levy parloit de la forte, Montfort fe jette à la nage, en répondant que c'étoit par fa faute qu'il avoit engagé fon Infanterie, & qu'il vouloit la fauver, ou du moins la couvrir le plus long-tems qu'il pou roit aux dépens de fa vie. Dans un homme ordinaire, cette démarche feroit une temerité veritable, elle ne le fut pas dans Montfort: comme les Heros ont plus d'avantage que les autres hommes, ils ont auffi plus de lumiere. Le Comte traverfa heureufement la Garonne ; & pendant que le danger qu'il couroit précipitoit le travail de fa Cavalerie, pour réparer les bréches du Pont de Muret, fa prefence au milieu de fon Infanteriefit juger aux Touloufains qu'il étoit: trop fage pour avoir repaffé la Riviere fans avoir dequoi fe défendre, & trop habile pour fe laiffer forcer. Ainfi ce qui avoit paru temerité dans fa conduite, étoit l'unique moyen qui pouvoit la juftifier: aprés cela il conduifit une partie de fes Croifez dans la Comté de Cominges, pour en

punir le Comte, qui étoit un des protecteurs de l'herefie, & il revint incontinent rejoindre le refte de fon Armée à Muret, d'où il détacha pendant l'Hyver des partis pour harceler fans ceffe les Touloufains, en attendant qu'au retour du Printems il pût les affieger dans les formes, & punir. leur rebellion contre l'Eglife.

Fin du cinquiéme Livre..

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