Il contenoit en fubftance que Raymond perdroit la Comté de Touloufe, puifque lui & la Foy n'y pouvoient fubfifter en femble; qu'il feroit fon fejour dans quelqu'autre Païs, & que pendant qu'il y demeureroit foumis à l'Eglife, on lui feroit quatre cent marcs d'argent de penfion fur la Comté; qu'Eleonor fa femme, fœur de Pierre Roy d'Arragon, Princesse tres-Catholique, jouiroit, cependant des Terres fur lefquelles fa Dot avoit été affignée, ou de l'équivalent, fi le S. Siege le jugeoit à propos ; que les Terres conquifes, & en particulier Toulouse, apartiendroient au Comte de Montfort, fauf le droit des Scigneurs ; que le refte des Etats de Raymond (c'étoit la moitié de la Provence, qui touche le Rhône) demeureroit en fequeftre, afin qu'on en put difpofer pour le remettre ou tout ou en partie au fils de Raymond, felon qu'on le jugeroit plus expédient, lors que le jeune Raymond feroit en âge de le gouverner.

On eut moins de rigueur pour le Comte de Foix, foit qu'on le trouvât moins coupable, ou qu'en le traitant autrement que le Comte de Toulou

fe, on voulût rompre par là cette amitié étroite qui les avoit unis tous deux contre les interefts de la Religion: quoi qu'il en foit, on fe contenta de faire figner la Paix au Comte de Foix, & de donner ordre à Montfort de faire entrer des Troupes Catholi ques dans les meilleures Places de fa Comté. -L'Evefque de Toulouse qui confommoit fi heureufement cette grande Affaire à l'avantage, de Montfort, dont le courage avoit ruiné les forces de l'herefie, fe fouvenoit en mefme tems des hommes Apoftoliques, donɛ les Prédications, les Miracles, la Sainteté avoient gagné le cœur des heretiques. Il aimoit & il confideroit fur tout Dominique de Guzmans, & il le prefenta au Pape, en difant que l'Eglife dans fes differens befoins ayant formé de differens Or dres; des Corps de Solitaires durant les perfecutions, pendant lefquelles le Chriftianifme ne pouvoit fubfifter dans les Villes; des Corps de Chevaliers pendant les Croifades, où l'on étoit en Guerre contre les Infidelles; elle devoit former un Ordre fçavant d'Ouvriers Evangeliques pour l'opo

fer aux erreurs qui, comme autant de plantes pernicieuses, s'élevoient dans le champ du Pere de Famille. Le Pape ne paroiffoit pas convaincu de la neceffité de cet établiffement.: il étoit content des Miffionnaires que lui fourniffoit l'Ordre de Cifteaux, dont Foulques lui-même avoit été longtems: mais il vid en fonge l'Eglife de Latran menacer ruine, & demeurer feulement fur pied parce que Dominique la foûtenoit. Ce fonge lui parut extraordinaire, il redoubla fon eftime pour le Miffionnaire, & il lat donna ordre de former le plan de l'Inftitut dont il demandoit l'aprobation.

Pendant que ces chofes fe paffoient à Rome, Montfort reçût le Decret du Concile de Latran fur la Comté de Touloufe, & il fe rendit à la Cour de France, au milieu d'une haye de Peuples qui fortoient des Villes & des Bourgades en Proceffion, & avec toutes les marques imaginables de refpect & de joye, en chantant: Beni 1215 foit celui qui vient au nom du Seigneur.. Rigord. La prefence de Montfort rapeloit par tout le fouvenir des Sieges de Carcaffonne, de Termes, & de Lavaur; de ce qui s'étoit paffé à Caftelnaudary

& dans les Plaines de Muret ; du rétabliffement de la Religion, & de la deftruction entiere des Manichéens. On fe croyoit heureux de pouvoir toucher fes habits, & l'on réunifsoit ainfi pour fa perfonne les démonftra tions les plus extraordinaires de veneration qu'on rend aux Saints & aux Conquerans. Philipe qui étoit alors à Melun lui fit un accueil qui répondoit au tranfport des Peuples, confidérant également dans cet illuftre Sujet & le dompteur de l'herefie, & l'ami fidelle qui avoit ruiné le Comte de Touloufe, un des ennemis de la Cour, pendant que d'un autre côté l'on avoit marché pour la glorieufe journée de Boüines: On demandoit à Montfort commen avec cinq cent hommes il avoit pu tenir Caftelnaudary contre cent mille comment avec mille hommes il avoit vaincu en Bataille rangée l'Armée du Roy d'Arragon comment, auprés de Foix & auprés de Termes, il avoit pu lui feul mettre en fuite un grand nombre d'Ennemis? La modeftie & la grandeur avec laquelle Montfort fatisfaifoit à de telles demandes don noit du relief à fes actions. Le Roy

1215. lui acorda de la maniere du monde lå Procu- plus honorable, pour lui & pour les

rante

Inno

centio,

enfans l'inveftiture de la Duché de

Narbonne, de la Comté de ToulouConce- fe, & de tout le Païs conquis par les dente Catholiques fur les Albigeois & leurs Philip fauteurs: ce qui rendoit Montfort

po.

maître du Languedoc, du Quercy., Rigord. de l'Agenois, du Rouergue & d'une grande partie de la Gafcogne, à laquelle bien-tôt enfuite il ajoûta la Comté de Bigorre par le Mariage de Guy de Montfort fon fecond fils avec Pernelle heritiere de ce bel Etat ; elle avoit déja été mariée deux fois : la premiere avec Gafton de Bearn, qui mourut cette année 1215. aprés avoirrenoncé aux liaisons qu'il avoit euës avec les Albiges; & la feconde avec Nugnez Comte de Cerdagne, neveu de Pierre Roy d' Arragon, & dont le Mariage fut déclaré nul, parce qu'il avoit été contracté fans une Difpenfe neceffaire..

1216. Montfort ufoit auffi glorieufement de fon pouvoir, qu'il l'avoit aquis:" fés Terres & fes Richefles furent les Richeffes & les Biens de ceux qui s'étoient diftinguez dans la Guerre. Les Familles furent puiffántes à propor