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rieufe, fi nous confiderons que chez l'es Grecs tout dépendoit du peuple, & le peuple dépendoit de la parole. La forme même du Gouvernement étoit l'effet de l'Eloquence. L'Orateur faifoit conclure la paix ou la guerre. Les affemblées du Senat Romain n'étoient pas comme les nôtres, de pures cérémonies. On décide chez nous dans le cabinet des Princes; chez eux tout citoyen étoit Miniftre, quand il s'agiffoit des interêts de la patrie, & l'Orateur décidoit en Souverain. Chez nous les Prédicateurs & les Avocats font les feuls oracles de l'Eloquence publique. Les derniers n'ont pas la même autorité, & pour l'ordinaire ils n'ont pas à traiter des fujets auffi nobles. Ajoutez, dit M. De Fenelon, qu'ils ne perdent rien, & gagnent même de l'argent en perdant leur cause. La gloire & l'amour de la patrie faifoient l'Orateur Romain. Des motifs fi beaux ne devroient-ils point être tou jours ceux d'un Orateur François?

On remarque plus volontiers les dél fauts, que les vertus de Orateur: une feule faute commife contre les régles, fait fufpecter fa capacité. Un Prédicateur ne parle point pour plaire précisément, mais pour perfuader; c'eft donc au cœur qu'il doit parler. Il faut combatre les paffions de l'homme, & l'en détacher; furmopter

fon averfion pour la féverité de la morale qui le contraint, & lui en infpirer l'amour. Les ornemens de la diction, le brillant des figures, la force du raisonne ment foûtenu par une action noble & pathétique produifent ces admirables effers. La vérité entre par ce plaifir extérieur qu'il fait naître dans le cœur de l'Auditeur, qui la goûte, parce que les charmes de l'action lui faifant perdre cet air fombre & fauvage qui le révolte, la rendent plus aimable à fes yeux. On fçait affez que l'invention, l'élocution & la prononciation font les trois parties qui forment l'Orateur; mais on ne fe fouvient pas que la derniére eft la plus importante, que fans elle les deux autres languiffent. L'action eft au Difcours ce que le jour éft à une riante campagne: fans lui, elle ne conferve pas moins fes agrémens & fes richeffes pendant la nuit ; mais la lu miére lui donne de l'éclat, en découvre les beautés, en varie les couleurs, leur préte un nouveau luftre. Semblable à ces décorations magnifiques qui ornent les places publiques dans les jours de réjouiffance elles attirent les regards, non qu'elles foient les feuls ornemens du fpectacle, mais parce qu'elles frapent encore plus les yeux par le vif éclat & par le relief de beauté qu'elles lui procu

&

rent. Vous fçavez trouver des pensées nobles à votre fujet, les écrire d'une maniére correcte & facile? fi vous ignorez l'art d'accorder, de proportionner votre action à votre matiere, ce font des richeffes perdues pour vous; il vous eft donné de les poffeder, mais l'ufage vous en eft refufé. Examinez les difpofitions du peuple qui compofe la plus grande partie de votre auditoire : fes connoiffances font bornées ; il connoît moins les chofes, les eftime moins par elles-mêmes que par la manière dont vous les prononcez: ce font des machines que l'on conduit plus par les fens, que par l'efprit. Pourquoi tant d'hommes d'une érudition ref pectable, d'un jugement folide, dès qu'ils n'ont pas le don extérieur de la parole, nous ennuient-ils? Ils écrivent élégamment, ils puifent dans le fanctuaire même de l'Eloquence ces traits brillans, ce fublime de la diction; il ne faut qu'une voix difcordante, une action froide & lente pour les priver du fuccès qu'ils pou voicnt fe promettre. Philifcus, felon Phi loftrare dans fa vie, parloit parfaitement la langue Grecque, il compofoit avec goût: mais fon action défectueufe lui fit impofer filence par l'Empereur Antonin qui lui refufa l'immunité qu'il lui demandoit, & qu'il avoit accordée à plusieurs

Philofophes. Hortenfius au contraire applaudi dans le Senat, devoit la réputation à fon action. Il perdit, en publiant fes harangues, une partie de fa gloire. Elles étoient, dit Quintilien, au deffous de fa grande réputation, & on ne trouvoir point dans la lecture cette force & ces agrémens qu'il leur donnoit dans le débit. Ce fut peut-être par un efprit de prudence que Péricles, fur les lévres de qui fiégoit la Déeffe de la perfuafion felon les Poetes, n'a jamais publié aucune de les oraifons. Que de grands hommes dont toute la réputation n'a point paflfé avec leurs ouvrages jufqu'à nous nous ne les y trouvons qu'à demi. Ce font des ftatues agréables, dans toutes les propor tions de l'art; mais elles font fans vie, parce qu'elles font fans action. L'expérience nous le confirme, qu'un Difcours le plus felon les régles, deftitué des graces, de l'action, plaît moins qu'un autre moins: éloquent, mais qui eft foûtenu par les charmes, & le feu qu'elle peut lui prêter.

Pourquoi au jugement de Ciceron les piéces d'Eloquence perdent elles toujours à être lues? c'eft, felon lui, qu'elles ne

* Affectus omnes. lan propè corporis habitu, guefcant neceffe eft, nifi inardescant. Quintil. 1. 20voce & vultu, & totius cap. 3.

tre 3.

peuvent conferver fur le papier ce feu & cette ame que leur donne l'action. * Elle eft à l'Eloquence ce qu'eft le coloris à la peinture. La voix, l'air, le gefte dans l'action font impreffion fur l'efprit par l'organe des fens, & s'infinuent parlà dans le cœur. Souvent même, tellè eft la force de l'élocution, elle en impofe, elle féduit jufqu'à nous faire trouver admirable tel difcours qui foûtiendroit à peine l'éxamen du cabinet.

Je ne crois pas feulement Ifous le plus L. 2. Let- éloquent, difoit Pline à Nepos, mais encore le plus heureux homme du monde; & je vous crois le plus infenfible, fi vous ne mourez d'envie de le connottre. Quand d'autres affaires, quand l'impatience de me voir ne vous appelleroient point ici, vous devriez voler pour l'entendre. N'avez-vous jamais lû qu'un citoyen de Cadix charmé de la réputation & de la gloire de Tite-Live, vint des extrémités du monde pour le voir; le vit, & s'en retourna ? Il faut être fans goût, lans littérature, fans émulation, (peu s'en

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