orainaire du Barreau, ni la forme ancienne de vos jugemens.

Ces paroles dans le deffein de l'Orateur font modeftes & timides, car c'est un exorde, & l'exorde d'un homme qui étoit véritablement embarraffé. Cependant n'eft-il pas vrai qu'en prononçant ces mots, pour l'homme du monde le plus courageux, Ciceron a bien autrement appuyé qu'en difant ceux-ci, quoique j'appréhende, Meffieurs; ou ceux-ci, qu'il ne vous paroiffe honteux, ou de marquer de la crainte? Au fecond membre & en prenant haleine, n'a-t'il pas dû hauffer le ton par un certain effort qui eft naturel, & qui fait que l'on s'enhardit & que l'on fe met en train; & auffi pour marquer la fermeté de Milon: & qu'il n'y ait nulle bienféance à moi, pendant que Milon tremble bien plus pour la République que pour lui-même. Enfuite il prend un ton de plainte & de mécontentement contre la propre perfonne, de ne pouvoir apporter une pareille grandeur d'ame à la défenfe de fa caufe. Ce qu'il ajoûte eft un reproche qu'il fait aux Juges, & a dû par conféquent fe faire fentir: J'a vouerai cependant que le fpectacle nouveau qui accompagne ce nouveau jugement, épou vante mes yeux. Il parle enfuite avec affurance & il vogue, comme on dit; à

pleines voiles: qui de quelque côté qu'ils Je tournert, ne retrouvent plus ni l'usage du Barreau, ni la forme ancienne de vos jugemens. Enfin il fe donne plus de carriere; car votre audience n'eft point envi ronnée d'une foule de peuple, &c.

Cette obfervation qui doit nous regler dans les fujets facrés, nous montre que non-feulement dans les différentes parties d'un Difcours, ou dans les membres d'une période, mais même dans chaque article, la prononciation doit être variée pour marquer la différence du plus ou

du moins.

de.

Avant que de paroître en public, Prononciagardez pendant plufieurs heures un filence tion de l'exor obftiné. Rappellez vos idées les yeux fermés, ou dans un lieu un peu obfcur: Livrez-vous y même à une espece d'assoupiffement; par-là vous vous rendrez plus maître de vos lens. Ce repos les rendra plus vifs, plus prompts à vous fervir; votre prononciation & votre action en feront plus animées. Montez en Chaire: ne commencez point auffi-tôt, mais donnez un moment à la réflexion. L'auditeur voit avec plaifir un homme qu'il va entendre, occupé du foin de remplir fon attente. Quand tout eft calme & que fe filence marque la foumiffion & l'ardeur de l'auditoire, jettez modefte

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ment la vue fur toutes les parties qui le compofent pour vous familiarifer, pour ainsi dire, avec lui & être moins distrait par les différents objets qui ne se présenteroient à vous que dans le fil du Discours.

L'exorde ne fervant qu'à infinuer, la prononciation en géneral en doit être douce, refpectueufe; un gefte plein & Quintil. retenu, un regard modefte, dit Quintilien. Il eft rare de commencer ex abrupto: nous en avons quelques exemples dans S. Chryfoftome dans les Difcours contre l'Impératrice Eudoxie, au peuple d'Antioche après la démolition des ftatues de l'Empereur & de l'Impératrice. Alors on prononce felon la paffion de douleur ou de colére qui nous anime il fuffit de laisler parler la nature, pour s'exprimer avec fuccès.

Quoiqu'ordinairement la voix doive être baffe & modefte, elle doit cependant fe faire entendre de tout l'auditoire. Elle monte infenfiblement, & s'anime à proportion qu'on approche de la divifion. On en voit qui s'annoncent avec un air de fuffifance & de bel efprit, qui portent fur le front un caractere hardi, lequel fcandalife le Chrétien, & révolte l'honnête homme. Plufieurs commencent par crier. Un grand auditoire les anime; & voudant le faire entendre de tous côtés, ils.

pouffent

pouffent leur voix avec violence, & fe mettent hors d'haleine dès leur exorde. Un Orateur attentif ménage fon feu, le produit à propos: il n'en eft que plus actif & plus brillant. * Quel efprit de fureur dans ces Prédicateurs, qui dès le figne de la Croix commencent à crier, & continuent jufqu'à l'éternité. Ils fe mettent dans une colére phrénétique, s'agitent comme des énergumenes, & paroiffent infpirés comme des Sybilles. Il eft ridicule de commencer par quereller fes auditeurs, fans avoir dit auparavant le fujet de fes plaintes. La prononciation fuit toujours la nature du fujet. Dans la morale, le ftyle de l'exorde eft fimple comme la voix. Elle a quelque chofe de familier dans les Prônes; mais dans les éloges, les myfteres, elle paroît grande dès l'exorde; elle intereffe par certains traits vifs & nobles qui lui échapent. Loin de tonner dès le premier mot, elle augmente peu à peu. C'est la lumière douteufe d'un beau crépuscule qui augmente par une efpece d'ondulation, & ne parvient que par degrés à produire un grand jour.

Prens en montant en Chaire un visage mo

defte,

Et fais voir à ton air que

tu fçais redouter

* Quid infuavius quàm | videtur ab initio clamare. glamor in exordio ? agreftel Cic. ad Heren. 3. a, 21.

I

Vill

Le redoutable emploi dont tu viens t'acquiter. Commence; & que ta voix avec foin modérée N'aille point en éclat se perdre dès l'entrée. Pourquoi crier toujours? Daigne un peu me parler;

Après, s'il eft befoin, tu pourras quereller.

L'un fuyant la lenteur court toujours en parlant.

Craignant d'aller trop vîte, un autre devient lent.

On ne peut fuivre l'un, l'autre on ne peut l'attendre ;

Je les laiffe tous deux, & ne puis les entendre.

Ne commence jamais d'un air qui m'éblouiffe; Fuis le fafte orgueilleux d'un Orateur trop vain, Qui dès les premiers mots nous vantant fon dessein,

Jure de nous toucher, de paffer notre attente: Souvent c'est la fouris que la montagne en

fante.

Tel échauffé d'abord foudroie en commençant,

Qui bientôt refroidi me glace en finissant. Un habile Orateur plus modefte, plus fage, Avant de s'engager s'obferve & fe ménage De ces airs faftueux fçait toujours s'abftenir, Et ne promet jamais que ce qu'il peut tenir.

Le fuccès d'un Orateur dépend fouvent de la maniére dont il débute; on juge de lui dès l'entrée du Difcours par la forme avec laquelle il expofe fon fujer, & par la maniére dont il fe prefente. La narration expofe avec fimplicité