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à moins qu'elle ne foit affortie aux difpofitions que la nature a mifes en nous, c'eft s'expofer à faire mal, c'eft forcer fes talens, & perdre les difpofitions: les plus favorables.

La grace & la bienféance font deux qualités qu'on confidere principalement dans l'action. Il y en a en qui les ornemens n'ont aucune grace, & d'autres en qui les défauts mêmes plaifent beaucoup.. Nous avons fur le théatre deux grands Acteurs, difoit Quintilien: Demetrius & Stratocles, excellents l'un & l'autre felon lear caractere, & cependant leur carac tere eft très-différent. Demetrius a la voix douce & agréable, & l'autre l'a aigre & fortė.

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Appliquons ici à l'action des grands hommies ce que le même Orateur dit de leurs ouvrages. Il ne faut pas fe perfuader que leur maniére de débiter foit toujours parfaite. Ils font quelquefois des chutes,& ne fe foûtiennent pas toujours avec la même force: ils s'endorment quelquefois. Ce font de grands génies, mais ils font hommes, ils ont leurs foibleffes comme leurs vertus. On n'imite fouvent en eux: que les moindres chofes, parce qu'on n'a point affez de force pour s'élever & briller comme eux dans les plus grandes choses.

Refpectons les grands hommes, mais éxaminons-les par les régles du fentiment Auffi célebres qu'ils foient, ne faifons. pas pour eux ce que les imitateurs dé Séneque firent pour fon élocution. C'étoit un bel efprit, & les jeunes gens de fon fiécle avoient peine à fe défendre du bril→ lant de fa diction.. Il abondoit en vices agréables; & c'étoient ces vices mêmes, felon Quintilien, qu'ils fe faifoient gloire d'imiter. L'exemple n'eft un guide fûr dans l'action, que quand il eft dicté par la nature, & autorifé par la raifon. Les bons Orateurs ont ordinairement une déclamation qui eft propre à leur ftyle: en les écoutant fouvent, on s'imprime leurs maniéres; & fi on ne prend point tout l'air de l'Orateur que l'on choifit pour imiter, on en prend affez pour paroître avec ce qu'on produit de foi-même. Ce compofé forme, pour ainfi dire, en nous un style d'action qui nous devient propre.

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Veut-on fe rendre habile è il faut trai-ter les fujets qui font le plus dans notre goût & dans notre caractere: le grand point eft de ne jamais le contraindre; une mauvaise imitation corrompt le naturel le plus heureux. Quand on n'eft point guidé par principes, & qu'on ne fçait point apprécier l'action des autres par la

comparaifon qu'on doit en faire avec les régles, l'imitation fait alors d'une action médiocre une action ridicule. On éviteroit ce défaut, fi en choififfant un modele, on confideroit en même temps fon emploi, fon âge, fon caractere, fa réputation; les lieux, les occafions dans lefquelles il parle, & où nous parlons nous-mêmes. Cette attention se fait fentir à tout homme de fentiment. Ajoûtez à la connoiffance des préceptes de l'art, la maniére de les appliquer avec goût. On n'imprime point le ton de la voix, ni l'énergie de la prononciation, qui eft le je ne fai quoi de l'élocution.

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La prévention donne quelquefois le prix à des talens inférieurs. On apporte à l'Eglife un goût décidé pour le bril lant du ftyle académique & la pompe du théatre; on compare en tout le Prédicateur avec l'Académicien & FActeur. Ils ont cependant tous trois un objet, une diction, & une action qui leur font propres & qui les différencient. Les grands & les beaux efprits, fouvent peuple en ce point, ne fe conduifent que par le plaifir des fens. Le Prédicateur leur plaîoil ils le difpenfent volontiers de cette action faite pour toucher & pour perfuader. Peut-être feroient-ils fâché qu'il fe proposât ces deux points. De-là, tel Pré

dicateur fans intrigue fe trouve fouvent fans auditeurs, quoiqu'il ait quelquefois un mérite fupérieur à celui que certains cercles mendiés produifent dans le piblic. Si on fçavoit le diftinguer & l'étudier, il formeroit peut-être d'excellents imitateurs; mais l'amour propre s'y oppofe. Tout homme qui fe donne pour bel efprit, rougiroit d'entendre un 'Orateur habile qui prêche dans le défert. On aime mieux ces Prédicateurs & ces Eglifes où se trouve un concours brillant des perfonnes du fexe, & dont les portes font obfédées par la foule. On s'empreffe d'entendre, de copier le Prédicateur du Jour. Un interêt de Communauté, quelques pénitentes d'éclat, des amies d'un certain rang font ainfi la réputation d'un Orateur. On a vû même quelquefois des Dames qui ne pouvoient assister au Sermon de leur oracle, envoyer cependant leur carroffe à la porte de l'Eglife pour groffir le nombre des équipages, & donner plus de luftre au mérite de l'Acteur évangelique.

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Soûtenez limitation par l'exercice : c'eft un excellent maître, & qu'il faut fouvent confulter. Plufieurs à force de parler parlent bien, comme les meilleurs génies fe perdent quelquefois par un ulage. trop fréquent de la parole: il leur

donne quelquefois plus de facilité que de jufteffe, plus de témerité que de confiance. J'éprouve en moi, difoit Pline, la vérité de ce qu'avance Pollion; Plai- L. 6. Ep. 9. der aifément m'a fait plaider fouvent; plaider fouvent m'a fait plaider moins aifément.

Les jeunes gens fe hâtent trop. de paroître. Ils devroient fe former auparavant dans le particulier, parler dans un cercle d'amis, commencer par de petits difcours dans des lieux peu fréquentés; réciter même deyant un miroir, pour voir par eux-mêmes en quoi péche leur vifage & leurs mains: ils en corrigeroient les grimaces, les contorfions & tant d'autres défauts qui choquent fans qu'ils s'en apperçoivent. Démofthenes en ufoit ainfi pour regler fon exterieur: il ne fe fioit qu'à fes yeux de l'effet qu'il vouloit produire.

Quintilien veut que fon jeune Ora teur prenne des leçons d'un Comédien, pourvû qu'il s'en tienne à ce qu'il faut pour bien prononcer. On paffe fur la licence de ce précepte, quand on le trouve dans les écrits d'un payen; mais croire que chez des Chrétiens, des Miniftres doivent apprendre le bel air, belle prononciation chez les Acteurs, c'eft abus, c'eft irréligion. Indépendana

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