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mélange de ces deux fons qui peut fe varier à l'infini & former toutes fortes de cadences, eft par conféquent le principe de l'harmonie Françoife. Une légere attention fuffit pour ne point confondre ces deux définences, & un art médiocre peut les placer à propos.

C'eft là le matériel, le méchanisme de l'harmonie dont l'ame eft la pensée. Une phrase. bien cadencée & dépourvue de fens, ou qui n'en offre qu'un vil & trivial, ne préfente qu'une harmonie vocale: mais quand l'efprit voit en même temps la beauté de l'expreffion, fa conformité avec la pensée, de cet accord naît une harmonie intellectuelle qui charme l'efprit & l'oreille. Je ne comprends pas qu'on puiffe être homme, & ne pas fentir le pouvoir du nombre oratoire, dit Ciceron. J'en fuis charmé, mon oreille Orat. aime un discours plein & nombreux, elle veut des phrases bien cadencées & parfaitement arrondies. Y manque - t'il quelque chofe? Y vois-je du fuperflu ? J'en fuis choqué. Ciceron attribue à cette harmonie l'applaudiffement extraordinai- . 24. re de toute une affemblée, à la feule cadence d'un grand mot de quatre fyllabes placé à propos à la fin d'une période.* Et ce qui prouve, dit-il, que c'eft à Patris dictum fapiens filii temeritas comprobavit,

De Orat.

Parrangement feul qu'on donna cet applaudiffement, c'eft que les mêmes paroles placées dans un autre ordre paroiffent fort fimples, & ne préfentent rien de merveilleux.

Ceux qui fonderent notre langue, ont été jaloux de la rendre fufceptible de ce nombre oratoire ; & pour lui procurer Favantage de l'harmonie, ils ont abbregé les mots empruntés du Latin; ou quand ils n'ont pû diminuer le nombre des fyllabes, ils en ont diminué la valeur, en faifant bréves la plupart de celles qui étaient longues, & par-là ils lui ont donné de la vivacité. Ils lui ont également accordé la douceur, en imaginant l'e muet qui rend nos élifions coulantes; ils ont banni l'hiatus des articles & des pronoms, qui reviennent souvent dans. le difcours.

La langue des Romains qui nous paroît fi mâle, fi nombreuse, n'eut-elle pas comme les autres les jours de fon enfance Si nous étions auffi attentifs à cultiver la nôtre, à étudier ce qui peut l'enrichir, ne trouverions - nous pas dans fes bréves, fes longues, fes incifes cette harmonie qui rendoient la langue Latine fi refpectable au peuple qui la parloit Notre langue devient nombreufe, non-feulement par les membres qu'on y infere, infere, mais

encore par une heureuse structure des paroles, & par l'élégance de l'expreffion. Par la ftructure des paroles, j'entends avec Ciceron ce tour, cet arrangement Orac gracieux qui fait que le nombre femble plutôt fe préfenter de lui-même, qu'être amené par artifice. Il y a certaines élégances, certains tours qui produifent néceffairement la cadence lorfque les membres de la phrafe fe répondent mutuellement, qu'on oppofe avec grace les contraires aux contraires lorfqu'il y a une reffemblance de chutes & de confonantes. Le nombre donne le luftre aux pensées & aux paroles: les chofes arrangées avec décence ont plus de force, que celles qui font fans liaison.

Demandez-vous d'où l'harmonie tire fon origine? Je vous répondrai que c'eft du plaifir de l'oreille. A quelle fin l'emploieton? pour plaire à l'oreille. Quand faut-il en faire usage? Toujours, continue Cice- Orate ron. Qu'eft-ce qui produit le plaifir dans. la profe? La même chofe qui l'a produit dans les vers. L'art en preferit les régles, mais l'oreille par l'inftinct du fentiment, & fans le fecours des régles, en juge fainement. * Elle en fait fon rapport à l'ame

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* Rerum verborumque ad intelligentiam referun judicium prudentiæ eft, tur hæ ad voluptatem vocum autem & numero-Cic. de Orat. 1.2.20 zum aures funt judices. Ula

qui en eft frapée, qui a en elle-même la mesure de tous les fons, & le goût des proportions néceffaires à toutes les parties d'un difcours. Des nombres tronqués & mutilés, des phrafes trop étendues la bleffent également. Elle ne peut foûtenir les termes trop tranfpofés, trop entrelaffés, les penfées miles dans une trop rigoureufe précifion, le ftyle poli, mais dénué des grands mouvemens & de la magnificence de l'élocution. Un Difcours fonore, harmonieux, mais vuide de fens, peut furprendre fon jugement, & non pas Paltérer & le corrompre : un autre plein de fens & de pensées, mais fans ordre, fans harmonie, lui paroît une ftérilité ad d'élocution. L'oreille eft l'organe d'un fens Heren. Z. 4. très - délicat, le plus difficile à contenter,

Cic.

12.23.

& le plus facile à fe dégoûter. Il ne faut lui préfenter que des chofes grandes & majestueufes. Elle fe rebute des fades douceurs d'un discours trop étudié, * des mots brillans, des expreffions fleuries, des incifes trop fréquents, des phrases épigrammatiques fi communes de nos jours. Nos dégoûts naiffent de nos plaifirs. Il eft peut-être auffi dangereux de parler trop

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bien (a) que de parler un peu mal. L'addition des épithetes, la multiplication des figures nuifent à l'harmonie (b). C'est alors un concert dont les accords font beaux, mais dont les voix ne font point affez variées (c). On voit beaucoup de ces Prédicateurs poëtes, chez qui le fubftantif ne va pas plus fans fon adje&tif, qu'un Recteur fans fes bedeaux.

Il est un heureux choix de mots harmonieux! Fuyez des mauvais fons le concours odieux. Le vers le mieux rempli, la plus noble penfée Ne peut plaire à l'efprit, quand l'oreille cft bleflée.

Si vous réflechiffez avec foin fur ce que j'avance ici pour montrer la néceffité & la réalité de l'harmonie dans le difcours, vous connoîtrez les avantages qu'elle procure à l'action, les agrémens & la force qu'elle y répand, quand on en connoît bien les beautés.

La déclamation devient alors nombreu fe, cadencée, harmonieufe, variée comme la diction. L'harmonie des phrafes, des membres, des figures du difcours, fe peint dans tout l'extérieur de l'Orateur. La main & la voix ont l'arrangement, la

(a) Citiùs in Oratoris dicendi fed offenditur fuco mens offenditur. De auditor. Ad Heren. 1. 4.. Orat. 1. 3. (d) Si crebrò his gene(b) His ex ornatibus tribus utemur, puerili elofrequenter collocatis,non cutione videbimur delemodò tollitur autoritas tari. Ibid. l. 4.

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