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Tel ftyle comme telle déclamation nous frape quelquefois; certaines négligences bien placées donnent un air d'aifance * à un Difcours. Ce font des ombres dans le ftyle, qui ont leur beauté, qui rehausfent l'éclat des figures, & donnent plus de nobleffe & de majefté: de même, certaines négligences dans la déclamation qui répondent à celles du ftyle, ont également leur avantage. Les unes & les autres préparent l'Orateur pour ces traits fublimes, où il doit s'animer & paroître tout en feu.

L'ordre, la liaison, la convenance des penfées & des figures rendent le difcours naturel & coulant, & contribuent par-là à la facilité & à l'élégance de la déclamation. Etes-vous négligé, bifarre dans la diction? votre prononciation tiendra de ces défauts. Un difcours où il s'agit d'établir une vérité importante, eft - il trop ingénieux ? on fe défie de celui qui parle; on doute s'il veut perfuader, ou montrer précisément qu'il a de l'efprit. De même, une déclamation trop ingénieuse, trop brillante, expofe un goût de vanité qui prévient contre nous. Il n'eft permis à un Prédicateur de chercher à plaire, qu'autant qu'il eft néceffaire pour perfuader; voilà fa régle & la fin de fon

*Eft quædam negligentia diligens. Cic.

miniftere. Le premier n'eft qu'un moyen pour arriver à l'autre. Saifir le moyen & s'y fixer, c'eft perdre de vue l'objet principal; c'eft demeurer en route, & ne point arriver au terme. Tel Prédicateur dont la compofition eft fans ornement, qui écrit d'un ftyle didactique, aura la déclamation feche, trifte & fcholaftique. Celui qui a la diction méthodique, polie, infinuante, conferve ces qualités dans fon action. Ceux qui s'abandonnent, en compofant leurs difcours, à la fougue de leur imagination, n'ont point de retenue dans leurs mouvemens leur vivacité les emporte, & les fait tomber dans une forte de délire; ils ont un ftyle & une action colérique, qui rendent la vérité odieufe dans leur bouche.

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On ne penfe plus, on n'écrit plus naturellement aujourd'hui. Faut-il être furpris fi les grands Orateurs font fi rares? On farde la nature, & on croit écrire éloquemment. La noble & majestueuse éloquence, l'action mâle & génércule des Boffuets, des Bourdaloues, des Maffillons, ne font plus connues: les pensées obfcures, les expreffions empoulées, les mots guindés & unis ensemble fans fe connoître, le brillant des antithèses, les rafinernens des métaphores, les raifonnemens métaphyfiques font à la mode.

Ce n'eft plus le bon efprit, c'est le bel efprit qui eft en vogue. Ce n'eft plus fobriété dans la plupart des difcours, c'est une yvreffe, une fureur d'efprit: brillans défauts qui nous féduifent, & qui paflent par une fuite néceffaire dans la déclamation. Jamais tant de Prédicateurs, & fi peu d'Orateurs. Ils naiffent dans ce fiècle : Nafcuntur, non fiunt. Le petit nombre des bons Orateurs eft comme perdu dans la foule des Prédicateurs fleuris, qui donnent le ton à la ville comme à la Province. C'est une efpece d'hommes qui méprifant les routes qu'ont fuivi les fages de l'antiquité, négligent l'étude de l'Ecriture & des Peres. Les Romans, les ouvrages colifichets font les fources où ils puifent cette diction brillante, ces tours délicats, ces portraits du monde qui flatent le voluptueux & tranquillifent le libertin. Leur morale eft galante; ils parlent en maîtres fur les défordres de l'amour & du luxe. * Le peché chez eux reffemble à ces monftres qui tout difformes qu'ils font, ont toujours quelque chofe par où ils plaifent. Ils prêchent fur les fouffrances d'un air brillant & poli. Leur déclamation comme leur diction marche en cadence & à pas mefuré. Leurs yeux & leurs mains ont leurs jeux, *Somnia fua prophctabunt.

leurs traits étudiés, comme leur éloquence a le ton de petit Maître. Une voix douce, un gefte fin & leger, un air fleuri forment leur action. Vous douteriez fi ce font des hommes qui parlent, ou des Actrices qui déclament: ils en ont l'air & les maniéres. Une Dame qui mendie pour eux les fuffrages de celles de fon fexe, leur compofe un auditoire. Voilà tout-à-coup des Orateurs qui fe donnent en fpectacle à toute une ville, & qui en font les oracles. On les vante, on les loue. Les jeunes Prédicateurs s'empreffent de les entendre; ils deviennent de mauvaises copies de ridicules originaux : ils corrompent en eux le germe de la bonne éloquence, que l'étude des Peres, l'imitation de nos grands Orateurs devroient cultiver. Ces Prédicateurs qui reglent ainfi leurs paroles & leurs figures au compas, n'ont point un ftyle fait pour l'action. Ce font des Ifocrates pour la diction. Qu'ils lifent en particulier leurs difcours à leurs amis, qu'ils les impriment même, s'ils le defirent; mais ils ne font pas faits pour être prononcés.

J'ai entendu un Prédicateur qui avoit la vogue, & qui la merite à tous égards, prononcer un difcours fur le Paradis:

étoit écrit dans un goût de Romans.

Expreffions

Expreffions, images fleuries; action brillante, molle & doucereufe, tout y répondoit. C'étoit un Paradis conftruit dans le goût d'un temple des Fées, & décrit dans le même efprit. Rien n'étoit mieux imaginé, mieux arrangé, & plus flateur. On aimoit, on étoit enchanté de ce Palais célefte, fans rien comprendre dans fon architecture, ni être mieux inftruit de ce qui s'y paffoit.

Les ornemens de la prédication doivent être fimples dans leur grandeur, & aufteres dans ce qu'ils offrent de gracieux. Les véritables ornemens d'un Difcours en font les parties nécellaires. Les traits d'une femme, fuffent-ils les plus beaux, les plus réguliers, ne conviennent point à l'homme. L'homme Evangelique doit avoir la parole & l'exterieur mortifié de l'Evangile.

Le monde & la Religion font deux ennemis irréconciliables. Pourquoi donc donner à la Religion l'air & la voix de ce rival profcrit & condamné? La vanité devroit-elle prêter à l'Evangile la légereté & les agrémens du menfonge. L'Eloquence chrétienne a la vérité pour principe; elle connoît les charmes de I'Eloquence profane, mais elle les purifie par l'onction qu'elle y répand; elle ne les emploie qu'avec choix, & qu'autant

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