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qu'ils la conduisent à sa fin. Exacte dans fa prononciation, vive & judicieuse dans fes expreffions, forte dans fes raifonnemens, elle répand avec fobriété fur fon ftyle les ornemens de la diction, la variété & l'éclat des figures. L'Eloquence mondaine de ces Prédicateurs du fiécle eft femblable à une beauté volage & coquette; le vernis animé d'un fard impofteur, fa parure digérée avec art, fes ajuftemens affortis par les mains de la frivolité, fa voix douce, pleine de la molleffe qu'elle refpire, fes paroles compaffées, les maniéres précieuses & méthodiques, fes yeux pleins d'une langueur dangereufe, fa taille brillante & légere, féduifent & attirent à fa fuite un effain de flateurs qui l'admirent, & qui l'annoncent dans tous les lieux. L'Eloquence chrétienne eft une beauté mâle, dont la taille bien nourrie offre un coloris de vigueur & de fanté qui doit fes agrémens & fon embonpoint à la nature. Son air eft majestueux, sa démarche grave & refpectable, fon expreffion noble & facile, fes maniéres aifées elle ignore la contrainte: toujours fûre de plaire, parce qu'elle eft vraie, elle laiffe le fard & les mouches aux coquettes & aux Adonis. La premiére eft une de ces fleurs brillantes

qu'un jour voit naître & mourir ; elle en a l'éclat & la fragilité. L'autre eft femblable à ces arbres moins beaux en apparence, mais qui n'attendent point le régne du zéphir pour renaître, qui ne craignent point les fureurs de l'aquilon qui les dépouille, toujours verds, toujours vigoureux : ils ont moins d'éclat en apparence que la fleur, mais plus utiles, plus folides; les agrémens & les avantages qu'ils prefentent, font de toutes les faifons.

CHAPITRE V.

Un Prédicateur peut-il avoir trop de feu
CE que nous appellons feu dans l'ac-

tion, ne confifte pas dans la volubilité de la langue, l'agitation de tous les membres, les cris & les geftes convulfifs de certains Orateurs qui prennent pour feu & pour véhémence les faillies d'une imagination ardente, & les mouvemens d'un tempérament fougueux. Ap pliquons ici la définition qu'en a donnée un fçavant Ecrivain: Le feu n'eft autre M.Remond chofe que la célerité & la vivacité avec de S. Albia, lefquelles toutes les parties qui conftituent lOrateur, concourent à donner un air

de vérité à fon action. Comme l'action doit être vraie, il en refulte cette conféquence, que l'impreffion ne peut jamais être trop prompte ni trop vive, & l'action répondre trop tôt ni trop fidellement à l'expreffion. Il faut donc que l'action convienne au fujet que vous traitez. Crier avec chaleur, paroître toujours en colére, s'énoncer avec violence quand il ne faut que parler, c'eft emportement, fougue de tempérament; ce n'eft point du feu. La véhémence & le feu de l'action font deux chofes bien différentes continue notre Auteur. La premiére fe fait remarquer, quand on fe livre par degrés aux grands mouvemens que de-. mandent la nobleffe & le fublime de certaines vérités que l'on traite; mais le feu doit être toujours au même point, parce qu'il faut toujours de la célerité & de la vivacité dans le fentiment.

Voulez-vous émouvoir fortement votre auditeur? Uniffez la véhémence au feu leur union bien foûtenue vous affure du fuccès. Un Orateur véhement à contretemps, ou jufqu'à l'excès, devient ridicule. Il faut fraper, mais à propos. Il est une conftruction dans les mouvemens comme dans le Difcours, qu'on ne peut bien observer, fi l'on ne poffede ce jugement qui nous apprend à régler

notre vivacité. Une imagination ardente jetre la confufion dans l'action. Un feu trop vif produit des mouvemens trop variés. S'emporter quand il faut être moderé, ou être moderé quand il faut animer fes mouvemens, c'eft ignorer le degré de chaleur qu'il convient de donner à chaque partie du Difcours; c'est ne point avoir le fentiment & l'expreffion que la nature des chofes exigent de nous; c'eft ne point avoir de feu.

Les fougues & les contorfions du Prédicateur Italien font auffi déplacées, que la gravité flegmatique du Prédicateur Efpagnol; tous deux n'ont point de feu. Celui qui crie, comme celui qui prononce toujours en Philofophe, n'ont ni chaleur ni fageffe: ils ne me touchent point. On en impofe difficilement à l'efprit, quand on oublie de lui parler par les fens: on eft fûr d'être écouté, quand on fçait les charmer. Reglez vos mouvemens vous dirai-je; prenez garde d'être trop vétement, c'est un défaut : mais je ne vous dirai jamais, Réglez votre feu. Ce feroit n'en pas connoître la nature, & ignorer les avantages qu'il produit, que de vous donner ce confeil. Vous ne pouvez jamais en avoir de trop,

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Dicere benè nemo poteft, nifi qui prudenter intelligit. Cic. in Brute

parce que votre action ne peut jamais être trop vraie. Concevez bien tout ce que renferme la définition qu'on en a donnée, & vous conviendrez de ce principe. Tout dépend de bien connoître l'un & l'autre, & ce qui les diftingue. On ne difcerne point affez quand il faut les joindre, ou les féparer; on les confond facilement. On s'épaife fur des chofes communes, & on eft réduit à dire foiblement celles qui demanderoient une action véhémente. Le François vif & leger fe contient avec peine dans les bornes d'une véhémence raifonnée,& dans les régles du feu néceffaire à la diction. Les Romains & les Grecs excelloient en ce point. Rien n'égale non-feulement la vivacité & la force des figures qu'ils employoient, mais encore du feu qu'ils fçavoient donner à l'expreffion du fentiment. On ne doit pas toujours paroître dans la chaleur de l'action: il faut apprendre à la ménager, à y arriver comme par degrés. La véhémence de l'action s'éleve comme par une progreffion fucceffive de mouvemens plus ou moins forts; mais le feu doit être toujours égal parce que le Prédicateur doit toujours montrer de la célerité & de la vivacité 'dans le fentiment & dans l'expreffion.

Le tempérament eft fouvent la caufe

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