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une fois il en eft poffedé, tout ce qui en découle en porte l'impreffion. En un mot on touche, quand on eft touché . . . La netteté & la force des preuves peuvent montrer évidemment que celui qui parle a raison; mais par les fentimens qu'il excite, il fait qu'on fouhaite qu'il ait raifon. Jufqu'alors l'efprit en balance attend qu'un raifonnement en détruise un autre; il fufpend fon jugement: mais le pathetique du fentiment vient le tirer de l'équilibre, & le fait pencher. Le cœur gagné ne trouve plus à contredire, à critiquer tout lui paroît plausible, tout eft fort, tout eft concluant. La prévention la féduit, & l'émotion l'entraîne. Cet heureux effet n'eft produit que par l'Orateur qui eft véritablement touché.

Le commun de l'Auditoire ne connoît guères le vrai ou le faux, le foible ou le folide d'un raifonnement; mais il fe défie du Prédicateur qui ne paroît pas perfuadé le premier des preuves qu'il avance, ou qui les expofe d'une manière fi fleurie, qu'il femble que ces vérités ont befoin des artifices de l'Eloquence pour être crues. Nous fommes tous com me autant de machines, qui fommes difpofés à recevoir les fentimens dont les autres machines femblables à nous

Effais fur font affectées, dit un Sçavant ; & cette div. fuj. de difpofition machinale eft fi forte dans le de Morale. commun des hommes, qu'un moyen

Littérat. &

prefque certain de les perfuader, eft de paroître foi-même bien perfuadé. Ce ne font ni les bons raisonnemens, ni les fo phifmes, qui féduifent la multitude, ce font les mouvemens qui l'entraînent.

Si c'est en ne parlant jamais que pour honorer la vertu, défendre la vérité, profcrire le vice, &c. qu'on peut s'in-. téreffer dans ce qu'on prononce jufqu'au point d'intéreffer les autres, dit le Pere 7. Difc. Gaichiés, un Prédicateur qui doit toujours être un homme de probité, n'estil pas naturellement intéreffé à fon fujet, &ne lui eft-il pas facile de l'animer ? H: eft difficile de comprendre comment un Prédicateur peut n'être pas paffionné pour fon fujet. Sa caufe eft celle de Dieu, il a dans cette cause un interêt perfonnel. La charité lui fait fentir les befoins qu'il veut foulager & craignant de fe perdre foi-même, s'il ne fauve fes auditeurs, il fait fa grande affaire du fuccès de fes Sermons.

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Il n'eft pas de moyen d'émouvoir ou de calmer les efprits, que je n'aye tenté ; je dirois, que je n'aye porté à la perCic. Orat. fection, fi je le penfois ainsi, difoit Ċice, son: mais en ces fortes d'occafions je

dois moins mes fuccès aux efforts de mon efprit,qu'à la véhémence des paffions qui m'agitent & qui me transportent hors de moi-même. Né croyez pas que l'Orateur puiffe échauffer ceux qui l'écoutent, fi fon action ne participe du feu qui eft répandu dans fon Difcours. Tout médiocre que je fuis, & peut-être même au deffous du médiocre, c'est par cette noble véhémence que j'ai fouvent terraffé mes adverfaires. Ceft par elle que j'ai réduit au filence Hortenfius, cet illuftre Orateur qui défendoit un de fes amis accufé de plufieurs crimes. C'est par elle que j'ai fermé la bouche à l'audacieux Catilina en plein Senat, & que j'ai preffè fi vivement Curion pere, qu'obligé de s'affeoir fans pouvoir répondre un feul mot, il s'écria qu'on lui avoit fait perdre la mémoire par quelque fortilége. Lorfque nous nous trouvions plufieurs à plaider la même caufe, on ne manquoit pas de me charger de la peroraifon, parce que j'avois la réputation de m'en acquirer avec fuccès; mais ce fuccès devoit plutôt être attribué aux vifs fentimens de la douleur dont j'étois pénetré, qu'aux efforts de mon efprit.

Quelle devoit être l'action de ces grands Orateurs d'Athènes & de Rome,

& de ces oracles de l'Eglife, ces Docteurs refpectables qui les ont fait revivre par leur éloquence! Quelle étoit celle d'un faint Chryfoftome dont les auditeurs interrompoient fi fouvent les Difcours par les applaudiffemens les plus flateurs, jufqu'à l'obliger de fe plaindre de ces acclamations publiques! N'avons-nous plus d'habiles Orateurs, qui écrivent éloquemment, dont les difcours raisonnés, pleins de feu, nous plaifent & méritent notre approbation? Oui fans doute, il est encore parmi nous de ces Maîtres de l'art; & s'ils ne font point une impreffion fi vive fur les efprits, c'eft souvent que leur action ne fe fent point de ce feu, n'a point ce fublime du fentiment qui frape les fens, trouble l'ame, & la force de fe rendre à la conviction des vérités qu'on lui propose.

Nous voyons au théatre des Acteurs qui nous intereffent, fouvent même par des actions fabuleufes : ils operent en nous tous les mouvemens qu'ils peuvent fe promettre de leur art; ils nous font paller de la douleur à la crainte, de la terreur à la colére; & fucceffivement à toutes les paffions. Ce font des enchanteurs, dit M. De Saint-Albin, qui fçavent prêter de la fenfibilité aux êtres les plus infenfibles; & les vérités les plus

refpectables, les plus effrayantes ne font fur nous qu'une impreffion légere, que l'air du monde diffipe prefqu'auffi-tôt. Les matiéres fublimes que traite le Prédicateur, la qualité d'Ambaffadeur d'un Dieu dont il intime les Loix, dont il porte le caractere augufte, tout ne lui fournit-il pas le mobile d'une action noble & pleine de fentimens? bien différent des Acteurs qui n'ont fouvent que des fujets profanes ou des héroïnes imaginaires à produire. Si de tels fujets excitent la tendreffe, les pleurs même des auditeurs; la crainte, l'amour, l'efpérance, les récompenfes, les châtimens que la Religion nous propofe, font-ils moins intéreffans fourniffent-ils moins matiére au fentiment? Eft-ce toujours la faute des auditeurs? Eft-ce au défaut de Religion, ou à l'inclination natureile vers le mal, qu'il faut l'imputer? Je veux que tout cela contribue en partie à leur infenfibilité; mais je foûtiendrai que, la maniére plus ou moins vraie avec la quelle on leur expofe les maximes de la Religion, en eft auffi la caufe. Le cœur a plus de penchant pour le vice; les objets qui le flatent, lui font une impreffion plus fenfible; je le sçai: mais a-t'il intérieurement moins d'amour pour le bien, moins de refpect pour la vérité ? Des

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