Chrétiens font-ils affez aveugles pour oublier les vérités terribles de la Religion, pour renoncer de plein gré au bonheur qu'elle leur prépare, ou fe livrer en furieux à toute l'horreur d'une éternité de peines? Les principes de la lumiére divine imprimés dans l'ame, les fentimens de l'éducation, l'amour de foi-même qui porte à defirer, ou à fuir ce qui nous eft contraire, parlent en eux quelquefois & les obligent à se livrer à des réflexions férieuses. Ils aiment à entendre annoncer la Loi qu'ils négligent; ils convien nent de la fageffe de fes maximes, ils en approuvent dans le fond du cœur la féverité. Mais le Prédicateur qui cher che à se prêcher lui-même, leur annonce cette Loi avec toutes les graces & l'appareil d'une pièce de théatre: il ne cherche qu'à briller; il énerve par la délicateffe de fa diction, par la molleffe ou le comique de fon action les plus grandes vérités ; il manque de fentiment: il ne cherche qu'à parler à l'efprit, & ne parle point au cœur. Les Chrétiens femblables à ces malades léthargiques fe réveillent peut-être pour un moment de l'affoupiffement fatal où les a plongés le peché, & retombent bientôt après le Difcours entendu dans leur premiére léthargie. C'est un éclair qui les a éblouis, furpris même; mais le tonnerre n'a point fuivi, leur frayeur s'eft diffipée : ils rient de leur crainte, & continuent à vivre dans leurs défordres. D'où vient ce foible effet Du Prédicateur. Il n'a point été jufqu'au cœur. Il devoit avoir le brillant de l'éclair, l'éclat & la force du tonnerre, s'énoncer dans tout le pathetique & la pompe de la voix de l'Éternel qui ébranle les cédres, fait trembler les montagnes & les déferts; de cette voix puiffante qui eft celle de ceux qui comme les Apôtres font les enfans du tonnerre: Filii tonitrui. Un Acteur joue un perfonnage feint, qui demande le fentiment de telle ou telle paffion, dont fon cœur n'éprouve peut-être pas le fentiment; il l'imite & il réuffit. Un Prédicateur ne presente que des fujets réels: il fait un personnage qui doit toujours lui être propre; parce qu'il doit connoître, être perfuadé le premier des vérités qu'il annonce. Le défaut de fentiment daus la maniére de les exprimer, pourroit le faire foupçonner du défaut de créance. Un air froid révolte dans certains fujets. Lorfqu'on parle d'un air languiffant des derniéres fins de l'homme; quoi ! pourroiton dire à ces Prédicateurs froids & tranquiles, fi ces tourmens étoient réels, en parleriez-vous d'un air fi peu ému ? * Il eft difficile de ne pas troubler un peu la fauffe fécurité d'un auditeur par l'expofé des jugemens de Dieu, quand on en eft effrayé le premier. L'ame donne alors le ton aux mouvemens extérieurs, tout eft perfuafif dans l'Orateur. C'eft par-là que certains Prédicateurs fans action nous perfuadent cependant, & nous intereffent par la vérité du fentiment que l'ame peint fur leur vifage, & qui anime la fimplicité de leur débit. Rien ne prouve mieux jufqu'à quel point l'Eloquence a dégéneré parmi nous, que le peu de fuccès que nous remportons de nos travaux. Elle brille, à la vé→ rité, dans la Chaire comme dans le Barreau; elle s'exprime avec légèreté, elle furprend, on l'admire: mais elle ne paroît plus avec cette beauté mâle & naturelle, cet air grave, cette démarche forte & nombreuse, qu'elle avoit chez les Anciens. Nous donnons à l'Eloquence notre air & nos manières. C'eft une aiinable coquette qui aime le fard, la légéreté & le défordre. Contente de plaire, volage dans fes maniéres, elle ignore la route du cœur. Un Prédicateur habile apperçoit par une même opération les * An ifta fi vera effent, fic à te dicerentur ? Cic. in Brut. fentimens fentimens qui doivent fucceder à ceux Si jamais nulle ardeur pathétique m'étaler ces petits traits fleuris Et je ne vois dans votre air emprunté D Cic. Ore Rouffeau, Epit. f. M. Greffet. Ce n'eft pas tout d'agencer des paroles, Votre voix a de la tendreffe & de l'agrément, votre gefte eft fin, poli, peut-on dire à plufieurs; mais vous avez la voix d'une femme, l'air & le gefte d'un Comédien: l'art corrompt chez vous la nature. Le défaut de feu, la foibleffe des expreffions, nuifent également à la perfuafion, & defignent un défaut de fentiment, un flegme dans les paffions: l'efprit feul débite ce qu'il a écrit. Quand le Prédicateur n'a que le mafque des paffions, il eft rare que l'art qui les fait agir en lui, fe foûtienne long-temps: il fe décele tôt ou tard. Un air de vifage, un coup d'œil, mal ménagés peuvent le trahir. L'art ne connoît point affez la voix de la nature. Ce ne font pas des fentimens fins, mais réels que demande Ciceron. * Le goût par-tout divers marche fans régle fûre: On s'attendrit fans impofture; Le fuffrage de la nature L'emporte fur celui de l'art. Le cœur ne penfe point par art. * Nor fimulachra neque incitamenta, fed luctus veraso & lamenta vera & fpirantia |