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Jerém. 23.30.

rité le talent de bien prononcer un Difcours, mais qui n'ont pas celui de le compofer. Si un Orateur habile leur en donne où il y ait de l'éloquence & de la fageffe, & qu'après l'avoir confié à leur mémoire, ils le récitent au peuple, cette conduite n'eft point à condamner. C'est ainsi que pour l'utilité publique plufieurs deviennent Prédicateurs de la vérité, fans être plus grands maîtres les uns que les autres pourvû qu'ils prêchent tous la même doctrine du véritable Maître, & qu'il n'y ait point entr'eux de divifion; qu'ils ne foient point intimidés par l'invective formidable que Jerémie fait contre ceux qui dérobent les fermons d'autrui. Car dérober, c'eft prendre le bien d'autrui. Or la parole de Dieu n'eft point un bien étranger pour ceux qui lui obéiffent. Celui-là feul dit ce qui ne lui appartient pas, qui parle bien, & qui vit mal: quoique les bonnes chofes qu'il dit, paroiffent conçues dans fon efprit, elles font cependant étrangeres à fon cœur. Ainfi le Seigneur a dir que ceux-là déroboient fes paroles, qui veulent paroître bons en parlant felon Dieu, mais qui font effectivement méchans en vivant felon leurs paffions. Il arrive quelquefois qu'un homme méchant & éloquent compofera un Difcours de la vérité pour

être prêché par un homme moins éloquent, mais meilleur que lui, Alors l'Orateur tire de chez lui pour donner ce qui ne lui appartient pas, & le faint hom me reçoit d'un autre ce qui lui appar tient véritablement. Quand de vrais Fi déles rendent ce fervice à des gens de bien, les uns & les autres difent ce qui eft à eux; parce que le Dieu à qui appartient ce qu'ils difent est à eux auffi, & ils fe rendent propre ce qu'ils n'ont pû faire eux-mêmes, en vivant conformément au Discours qu'on leur a fait.

On peut donc prêcher les Sermons d'autrui; mais ce n'eft qu'aux honnêtes gens que faint Augustin accorde cette permiffion. La probité du Miniftre ôte dans l'emprunt, le vol ou le plagiat en fait de Sermons, ce qu'il peut y avoir d'odieux.

Votre imagination eft inféconde & incapable de s'affujettir aux régles de l'Eloquence. Rien chez vous ne coule de fource, vous ne penfez que d'après les autres. Votre mémoire cependant eft trèsfidelle, vous avez de la vivacité dans le fentiment, de l'expreffion dans l'exterieur : ajoûtons que vous êtes obligé d'inftruire état. Sacrifiez donc votre par délicateffe en ce point à l'obligation de remplir les devoirs de votre miniftere;

ne rougiffez point de profiter des travaux des autres; entrez librement dans leur champ; choififfez dans leur moisson ce qui vous convient. Par la communion des Saints les richeffes fpirituelles appartiennent à tous les Fidéles. Vous perdriez inutilement à compofer très-mal un temps que vous pouvez ainfi employer plus utilement au bien de votre troupeau : en donnant du vôtre, vous femeriez en vain. Confultez vos forces, l'étendue de votre génie & de votre action: choififfez parmi nos Prédicateurs imprimés ceux dont la diction & le ftyle auront un rapport plus analogue à votre maniére de penfer, & au phyfique de votre conftitution, qui feront plus conformes à votre efprit comme à votre caractere, felon que le grand, le majestueux ou le fimple feront plus d'impreffion fur vous. Si vous n'avez ni l'élévation d'ame, ni l'étendue de la voix pour le fublime, pour les fujets patheti ques, ne prenez point de panégyriques chez Fléchier, de Difcours moraux chez Maffillon, d'Oraifons funébres chez Boffuet, ni les grands myfteres de la Religion chez Bourdaloue; contentez-vous de copier les Auteurs qui ont écrit dans le ftyle fimple & familier de l'inftruction. Les grands fujets traités dans un goût plus éloquent perdroient en paffant par

votre bouche, ce fublime, ce pathetique qui leur merite le refpect des Fidéles. Prenez-vous un Difcours plein de feu? Si votre tempérament eft froid, votre prononciation flegmatique décélera votre larcin. Vous avez le génie ardent, votre imagination impétueufe donne un nouveau degré de chaleur à la volubilité de votre langue; vous venez nous débiter. un Sermon d'un ftyle froid & pesant, fans délicateffe dans l'expreffion, fans vivacité dans la diction. Quel contraste! Votre poitrine eft foible, votre voix ne s'exprime que par fyncopes; vous débitez un Difcours d'un ftyle nombreux, plein de raifonnemens liés qui fe fuccedent & forment des phrases d'une étendue où votre respiration ne vous permet point d'atteindre y penfez-vous donc de vous expofer à bégayer un tel Difcours, de refpirer par incifes fur chaque phrase que votre voix décompofe: Et quelle grace peut avoir une prononciation semblable? Ne fçavez-vous point cette remarque faite par des hommes attentifs à étudier la nature, que la longueur ou la briéveté du ftyle de l'Orateur a une conformité avec l'étendue ou la précifion de fa pro

nonciation ?

Vous vous mêlez de peinture, vous voulez paroître dans votre profeffion,

vous êtes jaloux de la gloire de ces grands hommes dont les ouvrages font l'admiration de tous les fiécles; mais vous n'avez ni leur goût ni leurs talens: pourquoi donc vous mettre en tête de paffer pour un génie créateur? Vous copiez, je loue votre modeftie; mais fi vous êtes jaloux du fuccès, choififfez des modeles, des ouvrages proportionnés à votre connoiffance, à votre capacité. Votre pinceau eft foible, vous êtes peu verfé dans la teinte des couleurs, vous ne pouvez vatier un fajer : ne vous appliquez donc point aux grands objets, vous les défiguferiez, ils trahiroient votre foible. Čopiez un âne, fi c'eft votre talent; je ferai content, fi vous le rendez au naturel. Vous n'en ferez pas moins eftimé. Le goût fans l'efprit, ou l'efprit fans le goût. alternative redoutable pour tout homme qui le produit.

Ce que je crois ici permis aux hommes en place, c'est-à-dire obligés d'inftruire, je le regarderois comme un crime dans des Miniftres libres, & qui n'ont aucun engagement à remplir en ce point par la nature de la place qu'ils occupent. S'ils ne fe trouvent point capables dé compofer par eux-mêmes, qu'ils gardent le filence. Quelle témerité de fe parer comme le corbeau des plumes du pa on!

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