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Il est un caractere d'impudence dans ces Orateurs plagiaires, d'enlever aux autres des Difcours entiers, ou de prononcer un Difcours formé de piéces rapportées comme un ouvrage de marqueterie. Ces fermons à la Molaïque ne font que trop communs dans ce fiécle, où l'efprit trouve dans l'argent un moyen fûr de fuppléer au génie quand il lui manque.

CHAPITRE X.

Seroit-il avantageux que tous les Prédi cateurs ayent une figure diftinguée, qui prévienne en leur faveur ? ou fuffit-il feulement qu'ils ayent l'exterieur exempt de toute difformité ? Doivent-ils à un certain age ne plus paroître en public ?

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Ette question furprendra plufieurs de mes Lecteurs. Je connois des homnies qui jugeant de tout par un faux efprit de Religion, & non par fentiment, la qualifieront d'indécente. Elle n'en fera pas moins fenfée, & du goût des hommes fçavans & judicieux, plus refpec. tables à tous égards que les bigors. La Loi de Dieu qui défendoit aux Juifs de choifit pour Miniftres ceux qui avoient le moindre défaut corporel, fait fentir

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les avantages d'une figure avantageuse, foit par rapport au miniftre, foit par rapport au peuple, à caufe du refpect qu'il doit au Prêtre & à fon miniftere.

Les vérités chrétiennes toutes refpectables qu'elles font par elles-mêmes, ont befoin du fecours des fens pour être connues: ce n'eft que par leur organe qu'elles entrent dans l'efprit & paffent dans le cœur. Le plus ou moins de grace & d'énergie extérieures avec lefquelles elles font énoncées, ne contribuent pas peu à les faire adopter dans toute leur féverité. L'homme eft un compofé : les fens font les canaux qui portent à l'ame les connoiffances extérieures; & la maniére la plus propre à les lui faire goûter, eft de les lui préfenter d'une façon qui affecte & qui charme les organes du corps. Les fens font donc les premiers juges que nous confultons. Un homme qui a l'air noble, la phyfionomie agréable, nous intereffe avant que de l'entendre : fa vue feule nous prévient: on eft déja difpofé à l'écouter favorablement, parce que nous nous croyons en droit d'attendre de l'efprit d'un homme qui a l'air & les maniéres fpirituelles. Nous ne penfons pas qu'une ame groffiére puiffe loger dans un beau corps. Ingenium Galba malè habitat, difoit Lollius de Galba que la

nature

nature avoit rendu difforme. Une belle phyfionomie fut toujours un titre de recommandation. * Telle eft notre maniére de penfer : nous fommes furpris de trouver à un homme laid, de l'efprit; & nous ne pardonnons pas à un beau vifage d'être fot & ftupide.

Quoique Trachallus ne fut point le premier Orateur de fon temps, il paroiffoit plus que tous les autres par la grandeur de fa taille, la vivacité de fes yeux, la majefté de fon vilage, & la beauté de fa voix. Un Prédicateur qui eft pénetré de la fainteté de fon miniftere, fçait faire fervir ces avantages extérieurs à la gloire de la Religion.

Rien ne fait mieux connoître combien nous eftimons un exterieur régulier & flateur, que le ridicule que nous prêtons à ceux qui font difgraciés en tout ou en partie de la nature. Un homme bossu, qui a le vifage d'un Gentilhomme campagnard, les yeux louches, ou la bouche trop fendue, &c. fe prefente-t'il dans quelque affemblée? Son exterieur inspire du premier coup d'œil un certain mépris pour fa perfonne les railleurs trouvent à plaifanter, & fa figure leur fournit plus d'une épigramme. Cette conduite eft injurieufe: j'avoue qu'il eft indigne d'un * Formofa facies, muta commendatio. Laberius.

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honnête homme d'infulter aux défauts de la nature; mais le plus grand nombre dans la fociété eft-il le plus raisonnable? Nous avons un fonds de malice & de corruption, qui nous porte à peindre en ridicule quiconque a quelque chofe de défectueux ou de comique dans la taille ; & fi les honnêtes gens ne font pas les premiers à plaifanter fur une phyfionomie trop bourgeoife, n'écoutent-ils pas quelquefois avec une joie fecrette les railleries que d'autres débitent 11 eft vrai que le miniftere qu'exerce le Prédicateur, l'autorité divine dont il est revêtu, exigent de notre part toute forte de refpect; mais le Chrétien, tout Chrétien qu'il foit, eft homme, c'eft-à-dire fulceptible de l'impreffion des fens : il refpectera le miniftere, & fera choqué de la figure du Miniftre. Je ne prétends pas qu'une figure noble & d'un ordre fupérieur foit abfolument néceffaire. Exiger la régularité de toutes les parties, la délicateffe des traits, & l'élégance de la taille dans tous les Prédicateurs, ce feroit être injufte & ne pas connoître nos propres interêts. Mais nous pouvons au moins exiger qu'ils ne déplaisent pas. Il est dés défauts naturels qu'on ne peut pardonner, & qui offenfent quelquefois la bienséance que la Religion exige de fes Miniftres.

La Chaire a un avantage fur le théatre. Si un exterieur agréable prévient beaucoup & contribue à concilier l'attention, il eft plus facile de trouver de tels hommes parmi les Miniftres dont la fphére eft plus étenduë que parmi les Acteurs. Ceux-ci n'ont qu'un temps. Sont-ils fur l'âge? on ne les voit plus qu'avec peine. Mais un Prédicateur dans un âge avancé, qui a blanchi à l'ombre du Sanctuaire, en eft plus refpectable; & la parole divine, en paffant par fa bouche, femble acquerir un plus grand poids. Il gagne pour la gloire de fon miniftere ce qu'il perd du côté de l'âge : la vieilleffe le rend plus vénerable à nos yeux on l'écoute avec flaifir, on le regarde comme un maître qu'un long exercice de fon miniftere a rendu plus habile, & plus capable de donner des confeils judicieux. Quand il a fçû dans le cours d'une longue carriére fe foûtenir avec gloire, il eft fûr de conserver jufques dans l'extrême vieilleffe l'eftime & le refpect du public. On aime à voir dans un vieillard de mérite & de nom ces reftes de vigueur, de fentiment & d'onction dont il ne prefente plus à la verité que de foibles lueurs, mais qui rappellent à l'auditeur les fuccès de fes premiers Difcours, & lui font oublier

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