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qui fait passer des grains de millet par le trou d'une aiguille; il ajoute que toutes ces puérilités n'ont d'autre mérite que celui de la diffieulté surmontée. J'avoue que les mauvais vers sont à peu près dans ce cas; ils ne diffèrent de la mauvaise prose que par la rime : et la rime seule ne fait ni le mérite du poëte, ni le plaisir du lecteur. Ce ne sont point seulement des dactyles et des spondées qui plaisent dans Homère et dans Virgile : ce qui enchante toute la terre, c'est l'harmonie charmante qui naît de cette mesure difficile. Quiconque se borne à vaincre une difficulté pour le mérite seul de la vaincre, est un fou; mais celui qui tire du fond de ces obstacles mêmes des beautés qui plaisent à tout le monde, est un homme très sage et presque unique. Il est très difficile de faire de beaux tablcaux, de belles statues, de bonne musique, de bons vers ; aussi les noms des hommes supérieurs qui ont vaincu ces obstacles dureront-ils beaucoup plus peut-être que les royaumes où ils sont nés,

Je pourrais prendre encore la liberté de disputer avec M. de la Motte sur quelques autres points; mais ce serait peut-être marquer un dessein de l'attaquer personnellement, et faire soupçonner une malignité dont je suis aussi

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éloigné que de ses sentiments. J'aime beaucoup mieux profiter des réflexions judicieuses et fines qu'il a répandues dans son livre, que de m'engager à en réfuter quelques-unes qui me paraissent moins vraies que les autres. C'est assez pour moi d'avoir tâché de défendre un art que j'aime, et qu'il eût dû défendre lui-même.

Je dirai seulement un mot, si M. de la Faye veut bien me le permettre, a l'occasion de l'ode en faveur de l'harmonie, dans laquelle il combat en beaux vers le système de M. de la Motte, et à laquelle ce dernier n'a répondu qu'en prose. Voici une stance dans laquelle M. de la Faye a rassemblé en vers harmonieux et pleins d'imagination presque toutes les raisons que j'ai alléguées.

De la contrainte rigoureuse
Où l'esprit semble rosserré,
Il reçoit cette force heureuse
Qui l'élève au plus haut degré.
Telle, dans des canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L'onde s'élève dans les airs;
Et la règle, qui semble austère,
N'est qu'un art plus certain de plaire-,

Inséparable des beaux vers. Je n'ai jamais vu de comparaison plus juste, plus gracieusc, ni mieux exprimée. M. de la

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Motte, qui n'eût dû y répondre qu'en l'imitant seulement, examine si ce sont les canaux qui font que l'eau s'élève, ou si c'est la hauteur dont elle tombe qui fait la mesure de son élévation. << Or où trouvera-t-on, continue-t-il, dans les !« vers plutôt que dans la prose, cette première « hauteur de pensées ? etc.).

Je crois que M. de la Motte se trompe comme physicien, puisqu'il est certain que, sans la gêne des canaux dont il s'agit , l'eau ne s'élèverait point du tout, de quelque hauteur qu'elle tombât. Mais ne se trompe-t-il pas encore plus comme poëte ? Comment n'a-t-il

pas
senti

que, comme la gêne de la mesure des vers produit une harmonie agréable à l'oreille, ainsi cette prison où l'eau coule renfermée produit un jet d'eau qui plaît à la vue ? La comparaison n'est-elle pas aussi juste que riante ? M. de la Faye a pris sans doute un meilleur parti que moi; il s'est conduit comme ce philosophe qui, pour toute réponse à un sophiste qui niait le mouvement, so contenta de marcher en sa présence. M. de la Motte nie l'harmonie des vers; M. de la Faye lui envoie des vers harmonieux : cela seul doit m'avertir de finir ma prose.

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FEMME DU RÉGENT.

MADAME,

Si l'usage de dédier ses ouvrages à cerix qui en jugent le mieux n'était pas établi, il commencerait par votre altesse royale. La protection éclairée dont vous honorez les succès ou les efforts des auteurs met en droit ceux même qui réussissent le moins d'oser mettre sous votre nom des ouvrages qu'ils ne composent que dans le dessein de vous plaire. Pour moi, dont le zèle tient lieu de mérite auprès de vous, souffrez que je prenne la liberté de vous offrir les faibles essais de ma plume. Heureux si, encouragé par vos bontés, je puis travailler long-temps pour votre altesse royale, dont la conservation n'est pas moins précieuse à ceuxquicultivent les beaux arts, qu'à toute la France, dont elle est les délices et l'exemple.

Je suis avec un profond respect,

MADAME,

De votre altesse royale

le très humble et très obéissant serviteur,

AROUET DE VOLTAIRE.

Voltaire. Théâtre. I.

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