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vant lefquelles ils croient devoir être gouvernés. Ils fe foumettent aux punitions qu'il leur impofe. Ils regardent comme une loi inviolable de fe fecourir, & de fe défendre mutuellement. Il fuffit d'en infulter un feul d'entr'eux, pour se rendre ennemi de toute la nation, qui emploïe toutes les reffources qui lui font connuës pour venger l'infulte qu'elle a reçuë dans la perfonne d'un de fes membres. En un mot, toute la nation concourt à maintenir les régles qu'elle a établies pour fa fûreté, pour fa tranquillité, & pour fes commodités; à protéger chacun de fes membres, quand il le mérite d'ailleurs, par fon exactitude à remplir les devoirs auxquels il eft obligé, par fa naiffance. Chaque particulier, de fon côté, contribuë, de tout fon pouvoir, au bien commun, & général.

Cet ordre, établi chez les peuples barbares & fauvages, fe maintient, avec bien plus d'harmonie, chez les nations civilifées. On peut donc définir la fociété, l'union de plufieurs perfonnes, pour leur avantage commun.

De ces réflexions, il fuit néceffairement que tout homme, en naiffant, contracte tacitement avec la fociété. Dès l'instant qu'il voit le jour, il fe trouve chargé de l'obligation, non-feulement de ne pas nuire au public, ni å aucun des particuliers, avec lesquels il fera en communication; mais même de leur faire tout le bien dont il fera capable.

Mais ce contrat n'eft pas gratuit de fa part. Cette obligation ne lui eft impofée, que parcequ'il eft en droit d'exiger, de la fociété, tous les fecours, & tous les avantages qu'elle pourra lui procurer, fans troubler l'ordre qui la maintient.

C'est elle qui remplit d'abord l'obligation qu'elle a contractée; & elle la remplit affez long-tems, fans aucune récompenfe. L'état de foibleffe, & d'imbécillité, dans lequel nous nous trouvons, pendant notre enfance, nous met dans le cas d'avoir befoin des fecours de tous ceux qui nous environnent, & de ne pouvoir leur être d'aucune utilité. Nous fommes à charge à l'état, qui ne retire nul avantage de nous, & que nous ne pouvons dédommager, en rien, des foins & des embarras que nous lui caufons. La reconnoiffance, dont nous fommes tenus envers lui, rend donc nos devoirs bien plus indispensables, à fon égard, que ne le font ceux dont il eft tenu envers nous; puisqu'il nous a païés d'avance, & fans retour de notre part.

Quand nous commençons à lui être utiles, nous ne faifons que lui rendre ce que nous lui devions, par reconnoiffance: mais nous ne laiffons pas d'être toujours en refte vis-à-vis de lui; puifqu'il

ne ceffe jamais, tant que nous vivons, de nous rendre des fervices continuels, en veillant à notre fûreté, & en nous procurant tous les avantages, toutes les commodités, & même tous les agrémens qui font compatibles avec le bon-ordre. Ainfi, tout particulier, qui trouble cet ordre, auquel il doit fa propre fûreté, qui nuit à la fociété, de laquelle il a retiré, & retire tous les jours tant d'avantages, eft un monftre d'ingratitude, qu'on ne peut trop fe hâter de priver des biens qu'il ne mérite pas, & dont il ne fe fert, que pour nuire à ceux de qui il les reçoit. C'est cette privation, qui fe nomme Mort civile.

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CHAPITRE I I.

En quoi confifte la Mort Civile.

OUTES les nations policées, outre les régles & les loix qu'elles ont puifées dans la nature, & qui font communes à tous les peuples du monde, en ont établi, chacune dans leur territoire, de particuliéres, tant pour fe défendre de leurs ennemis, & pour conferver la tranquillité & la fûreté publique, dans leur fein, que pour l'utilité & l'avantage de chacun de leurs membres.

Il y a donc un droit commun à toutes les nations de l'univers, que l'on nomme le droit des gens. Quod naturalis ratio inter omnes bomines conftituit, id apud omnes populos peræquè cuftoditur, vocaturque jus gentium, quafi quo jure omnes gentes utantur. Inftitut. de jure nat. Gent. & Civ. §. 1. Ce droit n'est ni François, ni Allemand, ni Turc. En un mot, il n'eft d'aucune nation en particulier : mais il eft de toutes les nations, en général.

C'eft de ce droit que dérivent prefque tous les contrats; comme la vente, le louage, le dépôt, le prêt & une infinité d'autres. Et ex hoc jure gentium omnes penè contractus introducti funt, ut emptio & venditio, locatio & conductie, focietas, depofitum, mutuum & alii innumerabiles. Ibid. §. 2. C'est lui qui a préfidé à la féparation des peuples, à l'établiffement des fouverainetés, & à la divifion des biens, entre les particuliers. C'est lui qui fait encore le principal fondement de tout le commerce & de toutes les obligations. Ex boc jure gentium introducta bella, difcréta gentes, regna condita, dominia diftinéta, agris termini pofiti, aedificia collata, commercium, emptiomes, venditiones, locationes, conductiones, obligationes inftituta; excepois

quibufdam, qua à jure civili introducta funt. l. 5. ff. de juft. & jur.
Il est un autre droit, que chaque nation s'eft formé en particulier,
& qui ne régit que les perfonnes & les biens qui appartiennent
à cette nation. Il se nomme droit civil. Ainsi il différe du droit
des gens, en ce que tous les peuples, qui reconnoiffent quelques
loix, font foumis au droit des gens, & que chacun d'eux eft fou-
mis, en outre, à un droit qui lui eft particulier, & qui eft compofé
des loix qu'il a crû les plus propres pour fa fûreté, & pour la
commodité & l'avantage de chacun de ses membres. Jus autem ci-
vile à jure gentium diftinguitur, quòd omnes populi, qui legibus & mo-
ribus reguntur, partim fuo proprio, partim communi omnium hominum
jure utuntur. Nam quod quifque populus fibi jus conftituit, id ipfius pro-
prium civitatis eft, vocaturque jus civile, quafi jus proprium ipfius civi-
tatis. Inftitut. de jur. nat. gent. & civ. §. 1.

On doit donc diftinguer, chez chaque peuple, deux fortes de droit qui y font en ufage : fçavoir le droit des gens & le droit civil. Et populus itaque Romanus partim fuo proprio, partim communi omnium hominum jure utitur. Ibid.

Cependant, à proprement parler, le droit civil feul a force de loi dans chaque païs. C'eft lui qui régle les difpofitions du droit des gens, qui doivent être obfervées par les particuliers, & celles qui ne le doivent pas être ; enforte que rien n'a force de loi, qu'autant qu'il eft autorifé par le droit civil. Ainfi, en qualité de citoïens, c'est-à-dire, en qualité de membres de tel ou tel état, nous ne fommes tenus à aucune des régles du droit des gens, comme provenant du droit des gens: mais feulement, comme étant adoptée par le droit civil. Par exemple, fuivant le droit des gens, tout débiteur eft obligé de païer fes dettes. Suivant le droit civil, un créancier ne peut pas contraindre fon débiteur, quand il n'a point de titre contre lui. Le débiteur peut donc, en ce cas, s'exempter de païer, quand on ne peut prouver la dette.

Il faut donc diftinguer, dans le droit civil, deux fortes de difpofitions. Les unes font tirées du droit des gens, & adoptées par la nation. Tel eft le pouvoir d'acquérir & de pofféder des biens, de les aliéner, &c. Les autres ont été établies par le droit civil même & ne proviennent, en aucune façon, du droit des gens. Tel eft le pouvoir de teffer, d'exercer le retrait lignager, &c.

Pour participer aux difpofitions tirées du droit des gens, il n'eft pas néceffaire d'être membre de la fociété qui les a admifes. Tous les étrangers en peuvent profiter. C'eft pourquoi ils font capables, en France, de tous les actes entre-vifs, qui réfultent du droit des

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gens. Ils peuvent acquérir & pofféder des biens comme les François, s'ils veulent courir rifque du droit d'aubaine. C'est même fur cette faculté, dont les aubains jouïffent en France, que porte le droit d'aubaine, en entier. Le roi n'auroit rien à recueillir, après leur mort, s'ils étoient incapables d'acquérir & de pofféder, pendant leur vie.

A l'égard des facultés établies par le droit civil, les feuls naturels du roïaume font en droit d'en jouïr. Ce font ces facultés que l'on peut proprement appeller le droit de cité, lequel fe borne, par fa nature, à des perfonnes & à des objets régis par les feules loix Françoifes. Les François feuls jouiffent, par exemple, de la faculté de tefter; & ils n'ont cette faculté qu'à la charge de l'exercer, au profit d'autres François, parcequ'elle dérive de la loi seule. Teftamur jure legis, non jure dominii. D'où il réfulte que ceux, à qui la loi d'un païs ne l'a point accordée, n'en peuvent jouïr, dans ce païs.

De ces principes, fe tire une conféquence qu'il eft bien effentiel de ne pas perdre de vue; c'eft que la vie civile & les droits de cité font effentiellement différens. On ne peut jouïr des droits de cité, fans avoir la vie civile: mais on peut jouïr de la vie civile, fans avoir les droits de cité. Il fuffit, pour avoir la vie civile, d'être membre de quelque nation. Cette qualité donne la faculté de jouïr, dans toutes les fociétés policées, de l'effet des difpofitions qui font tirées du droit des gens. Ainfi, lorfque, par l'abdication de fa patrie on fe conftitue étranger, on ne fait qu'abdiquer les droits de cité, dont les étrangers font exclus: mais on conferve toujours la vie civile, à laquelle ils participent, ainfi que les régnicoles. Nous aurons occafion de développer cette matiére, avec étenduë, dans la fuite.

Mais, lorfqu'un homme a commis quelque crime qui mérite que la fociété le retranche de fon fein, la condamnation prononcée contre lui le prive non-feulement des droits de cité; mais même de la vie civile. En un mot, il eft mort civilement ; parcequ'il ne participe pas plus aux droits des François, que s'il étoit véritablement mort. La fociété regarde ceux qui fe trouvent dans ce cas, comme n'étant pas des êtres vivants, auxquels elle ne doit aucuns fecours, aucune commodité, & defquels elle n'en attend aucune.

On mérite d'être réduit à ce trifte état, quand, loin d'exécuter le contrat par lequel on eft lié avec la fociété, on en trouble l'ordre & l'harmonie, par des crimes contraires au bien des citoïens.

Cependant la fociété, quelqu'outragée qu'elle puiffe être, quand elle n'a pas crû devoir ôter la vie naturelle, & qu'elle s'eft

contentée de retrancher de fon fein le citoïen rebelle, ne laisse pas de veiller à la confervation de fon être. Elle ne lui refuse rien de tout ce qu'il peut attendre de l'humanité. On verra, dans la fuite de cet ouvrage, ce qu'il perd, & ce qu'il conferve.

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De ce qui tenoit lieu de Mort Civile chez les Romains.

OUTES les nations, qui ne font pas policées jufqu'à un certain point, font extrêmes en tout. Elles ne connoiffent point de dégrés dans le mérite & dans le démérite. Tous les crimes font égaux à leurs yeux. Les châtimens font auffi les mêmes, pour toutes les fautes. Tout homme coupable eft puni d'une mort accompagnée de tourmens cruels.

Cette lévérité produit, dans l'état qui l'exerce, de très-grands inconvéniens. Comme les fupplices font les mêmes pour les petits & pour les grands crimes, ceux, dont les inclinations font vicieufes, ne mettent aucunes bornes à leurs attentats. S'ils font arrêtés dans une entreprise qui les auroit placés fur le trône, en cas qu'elle eût réüffi, ils ne feront pas punis avec plus de rigueur, que s'ils n'avoient attenté qu'à la vie d'un particulier. C'eft-là, fans doute, la fource de ces fréquentes révolutions, qui affligent fans ceffe la plupart des états de l'Orient.

Les peuples policés ont prévenu ces inconvéniens, en proportionnant les fupplices aux crimes, dont ils font la fuite. Aux uns, ils ont attaché, pour punition, la mort naturelle; aux autres, ils n'ont attaché que certaines peines, qui laiffent la vie naturelle: mais qui privent de la vie civile. D'autres enfin ne font punis que par une peine légére, fans aucun changement dans l'état du coupable. Telles étoient les proportions obfervées chez les Romains. Comme les loix de ce peuple fage font la baze de la plupart des nôtres, nous croïons devoir nous arrêter ici un moment, pour examiner fa jurifprudence & fes ufages, à cet égard.

D'ailleurs les principes, qui fe trouvent dans les livres où ces loix font recueillies, ferviront beaucoup à éclaircir la matiére que nous entreprenons de traiter.

Avant que d'entrer dans ce détail, il paroît effentiel de fixer · ́l'idée que nous attachons au mot état de l'homme. Ces termes ne fignifient ici autre chofe que le rapport civil d'un homme avec lès

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