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d'ingenu, rien de naturel. On aimeroit mieux des gens moins réguliers & plus imparfaits, qui fuffent moins compofés. Voilà le goût des hommes, & celui de Dieu même. Il veut des ames qui ne foient point ocupées d'elles-mêmes avec inquiétude, & comme toujours au miroir pour fe compofer.

Etre tout ocupé des créatures fans faire jamais aucune réfléxion fur foi, c'eft l'état d'aveuglement de certaines perfonnes étourdies, que le préfent & le fenfible entraînent toûjours. C'eft l'extrêmité opofée à la fimplicité. Etre toujours ocupé de foi dans tout ce qu'on a à faire, foit pour les créatures, foit pour Dieu, c'est l'autre extrêmité, qui rend l'ame fage à fes propres yeux, toujours réfervée, pleine d'elle-même, inquiéte fur les moindres chofes qui peuvent troubler la complaifance, qu' elle a en elle-même. Voilà la fauffe fageffe, qui n'eft avec toute fa gravité gueres moins vaine, & gueres moins folle que la folie des gens qui fe jettent rête baiffée dans tous les plaifirs. L'une cft enyvrée de tout ce qu'elle voit audehors; l'autre eft enyvrée de tout ce qu'elle s'imagine faire au-dedans. Mais enfin , ce font deux yvreffes.

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L'yvreffe de foi-même eft encore pire que celle des chofes extérieures ; parce qu'elle paroît une fageffe, & qu'elle ne l'eft pas. On fonge moins à s'en guérir; on s'en fait honneur; elle eft: aprouvée; on y met une force qui éleve au-deffus du refte des hommes. C'est une maladie femblable à la frénefie; on ne la fent pas; on eft à la mert ; & on dit, je me porte bien.

Quand on ne fait point de retour fur foi, à force d'être entraîné par les objets extérieurs, on eft étourdi: au contraire, quand on en fait trop, c'eft une conduite forcée, & contraire à la fimplicité.

La fimplicité confifte en un jufte mi lieu, où l'on n'eft ni étourdi, ni trop compofé. L'ame n'eft point entraînée par l'extérieur, en forte qu'elle ne puiffe pas faire les réfléxions qu'il faut faire; mais auffi elle retranche les retours fur foi, qu'un amour propre, inquiet & jaloux de fa propre excellence, multiplie à l'infini. Cette liberté d'une ame qui voit immédiatement devant elle, pendant qu'elle marche, mais qui ne perd point fow tems à trop raifonner fur fes pas, à les étudier, à regarder fans ceffe ceux

qu'elle a déja faits, eft la véritable fimplicité.

Voici donc le progrés de l'ame. Le premier dégré eft celui, où elle se déprend des chofes extérieures, pour rentrer au-dedans d'elle-même, & pour s'ocuper de fon état pour fon propre intérêt. Jufques-là, il n'y a encore rien de naturel : c'eft un amour propre fage, qui veut fortir de l'enyvrement

que

des chofes extérieures.

Dans le fecond dégré, l'ame joint à la vûë d'elle-même, celle de Dieu. qu'elle craint.

Voilà un foible commencement de la véritable fageffe; mais elle eft encore: enfoncée en elle-même : elle ne fe con-tente pas de craindre Dieu, elle veut être affurée qu'elle le craint; elle craint de ne le pas craindre; fans ceffe elle revient fur fes propres actes. Ces retours. fi inquiers,& fi multipliés fur foi-même, font encore bien éloignés de la paix & de la liberté qu'on goûte dans l'amour fimple: mais ce n'est pas encore le tems de goûter cette liberté; il faut que l'a me paffe par le trouble; & qui voudroit. d'abord la mettre dans la liberté de l'amour fimple, courroit rifque de l'é garer.

Le premier homme voulut d'abord fortir de lui-même; c'eft ce qui le fit tomber dans l'attachement aux créatures. L'homme revient d'ordinaire par le même chemin qu'il a fait en s'égarant; c'est-à-dire, qu'aïant paffé de Dieu aux objets extérieurs en rentrant d'abord en foi-même, il repaffe auffi des objets extérieurs en Dieu, en rentrant au fond de fon cœur.

Il faut donc, dans la conduite ordinaire,laiffer quelque tems une ame pénitente aux prifes avec elle-même dans une rigoureuse recherche de fes miferes, avant que de l'introduire dans la liberté des enfans de Dieu bien-aimés. Tant que l'attrait & le befoin dela crainte dure, il faut nourrir l'ame de ce pain de tribulation & d'angoiffe. Quand Dieu commence à ouvrir le cœur à quela que chofe de plus pur, il faut suivre fans perdre le tems, & comme pas à pas, l'opération de fa grace. Alors l'ame commence à entrer dans la fimplicité.

Dans le troifiéme dégré, elle n'a plus fes retours inquiets fur elle-même; elle commence à regarder Dieu plus souvent qu'elle ne fe regarde elle même, & infenfiblement elle tend à s'ocuper deDieu par un amour véritable & fince

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re. Ainfi l'ame qui ne penfoit point autrefois à elle-même, parce qu'elle étoit toujours entraînée par les objets extérieurs qui excitoient fes paffions, & qui dans la fuite a paffé par une fageffe qui la rapelloit fans ceffe à elle-même 'une maniere inquiéte, vient enfin peu à peu à un autre état, où Dieu fait fur elle ce que les objets extérieurs faifoient autrefois; c'eft-à-dire, qu'il l'entraîne, & la défocupe des foins exceffifs qu'elle avoit d'elle-même en l'ocupant de lui.

Plus l'ame eft docile & fouple pour fe laiffer entraîner fans réfiftance, ni retardement, plus elle avance dans la fimplicité. Ce n'eft pas qu'elle devienne aveugle fur fes défauts, & qu'elle ne fente fes infidélités : elle les fent

plus que jamais; elle a horreur des moindres fautes; fa lumiere augmente toujours pour découvrir fa corruption: mais cette connoiffance ne lui vient plus par des retours inquiets fur ellemême; c'est par la lumiere de Dieu préfent, qu'elle fe voit contraire à sa pureté infinie.

fe

Ainfi elle eft libre dans fa course, parce qu'elle ne s'arrête point pour compofer avec art. Encore une fois

P.

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