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des nations; les Grecs, fubjugués par les Turcs, ont perdu la liberté, mais ont ils confervé leur génie, s'ils étoient libres, on verroit renaître les beaux fiècles de la Grèce, des Historiens, des Philofophes, des Généraux; les hommes, de même que les plantes, ne dégénèrent que quand on ceffe de les cultiver. Je ne fais fi l'on doit s'en prende à l'influence du climat, ou aux effets qui réfultent des vices du Gouvernement, mais les Maures en général me paroiffent moins fufceptibles d'énergie & de vertu que les autres hommes.

Les Maures n'ont aucune idée des fciences fpéculatives; femblables aux anciens Arabes, ceux qui lifent parmi eux, & c'est le très-petit nombre ne lifent guères que les livres de leur religion. Leur éducation se borne à apprendre à lire & à écrire, &, comme c'eft prefque l'apanage des favans, les Prêtres & les Talbes parmi eux font les feuls dépofitaires des connoiffances humaines. Dans les écoles, les Maures occupent leurs enfans à lire & à réciter environ foixante leçons prifes de l'Alcoran, qui, pour plus d'économie, font écrites fur des petites planches; ces leçons, une fois dans la mémoire, l'écolier eft fenfé en savoir affez pour fortir de fes claffes. On le promène alors, dans la ville, à cheval, fuivi de fes camarades, qui chantent fes louanges; c'est

pour

lui

un jour de triomphe, pour les écoliers un motif d'émulation, pour le maître un jour de fête, & pour les parens une occafion de dépense; car, dans tous les pays, il n'eft point de fête fans proceffion, il n'en eft pas où l'on ne mange.

;

A Fez, où l'on a confervé quelques idées d'ur banité, on reçoit un peu plus d'inftruction dans les écoles ; & les Maures, un peu à leur aife, y envoyent leurs enfans pour s'inftruire dans l'arabe, & dans la connoiffance de la religion & des loix. Ils y prennent auffi quelque goût pour la poëfie, › que les anciens Arabes avoient non-feulement confacrée à célébrer les événemens, mais encore ils étoient en ufage de parler en vers dans leurs affemblées, ou dans les vifites de cérémonie. La langue Arabe, d'ailleurs, par fa fécondité, par fon énergie, & par les fens figurés dont elle eft fufceptible, eft peut-être plus propre à la poëfie qu'aucune langue vivante.

Les Maures font affez dans le goût de rimer & de chanter tous les événemens; on penfe en gé

néral

que cet ufage n'a été introduit parmi les

nations policées que par des motifs politiques, pour diftraire les peuples & les amufer; mais il eft plus naturel de penfer que, dans l'origine, on n'a eu d'autre but que d'inftruire, des événemens historiques, une multitude de citoyens qui

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ne favoient pas lire. Ceux d'entre les Maures qui font un peu lettrés, s'amufent entr'eux à se propofer des énigmesjoliment verfifiées; celui qui les devine doit employer les mêmes rimes dont s'eft fervi celui qui les compofe, comme fi c'étoit une réponse à une question.

De toutes les fciences qui ont été connues des Arabes, la médecine & l'aftronomie font celles qu'ils ont le plus cultivées; elles ont mérité cette préférence en raifon de leur utilité; l'art de conferver la fanté & de régler la culture des terres, felon l'ordre des faifons, ont dû déterminer partout les premières recherches de l'efprit humain. Les Maures, qui ont régné en Espagne, fe font appliqués à cultiver ces connoiffances, & ils y ont laiffé après eux bien des manufcrits qui font autant de monumens précieux de leur génie; ces trésors ne feront pas toujours enfouis, & peut-être parviendront-ils un jour à la postérité.

Les Maures modernes ont infiniment dégénéré, ils n'ont même aucune difpofition aux fciences; ils connoiffent la propriété de quelques fimples, mais comme ils n'agiffent pas par principes, & qu'ils ignorent les caufes & les effets des maladies, ils font prefque toujours de lents remèdes une fauffe application. Leurs Médecins ordinaires font leurs Talbes, leurs Fakirs, leurs Saints aux

quels ils ont une fuperftitieufe confiance. La fièvre, maladie habituelle des pays chauds, occafionnée par l'ufage des crudités, de la mauvaise nourriture, & par le contrafte journalier du chaud & de l'humide, eft mife, par ces ignorans, au nombre des maléfices ; le démon, selon eux, eft caufe de ces crifes de froid & de chaud; le délire, qui eft une fuite de l'agitation, ne fert qu'à confirmer leur erreur, & le malade meurt, parce qu'on ne lui donne que des fecours qu'on fuppole miraculeux, & qu'on ignore la marche de la nature. En parcourant l'hiftoire du monde, om voit par-tout l'influence des efprits, & le pouvoir qu'ils ont confervé fur les nations les moins éclairées; ce n'eft qu'à force de penfer & de perfectionner fes connoiffances, que l'Europe eft

enfin

Parvenue à éloigner ces idées superstitieuses

de forcellerie, de magie & d'enchantement; & ce

n'eft

guères que

dans les extrémités qu'elles con

fervent encore quelqu'empire fur l'imagination

des hommes.

La petite-vérole, qu'on dit nous être venue

Afie

enfin

ou d'Afrique, que l'on ne connoiffoit pas

avant les Croisades, eft la feule maladie

peut-être, pour laquelle les Maures n'invoquent pas les Saints; elle vient tout naturellement, & fait très-peu de ravages,

à caufe de la tempéra

ture du climat, & de la frugalité de ces peuples. On connoît l'inoculation dans l'intérieur du pays, mais on la pratique avec moins d'aprêt qu'on n'en met chez les Grecs modernes, qui l'ont adoptée, & d'où elle a paffé en Europe. On n'obferve cependant l'ufage de l'inoculation que dans les montagnes, parmi les Brebes, & du côté du fud parmi les Chellu (1), chez qui l'usage n'en eft pas fi général. On peut conclure, de-là, que la petite-vérole étoit connue en Afrique avant l'invafion des Arabes, & que la méthode de l'insertion (2) doit être plus ancienne dans ces climats que le mahométifme; parce que, quelque puiffant que foit l'afcendant de la religion, elle ne détruit que très-lentement les préjugés & les

(1) J'ai observé, en fon lieu, que les Brebes & les Chellu ont eu la même origine, puifqu'ils ont confervé la même langue; mais ces derniers, par leur communication avec les peuples du fud, peuvent avoir varié leurs usages.

(2) On affure que la petite-vérole n'étoit connue ni des Grecs, ni des Romains; & on croit, en général, qu'elle n'a été connue en Europe qu'après l'invasion des Arabes, d'où quelques Médecins ont conclu que, n'étant pas une maladie particulière à nos climats, on pourroit s'en délivrer en coupant toute communication avec les lieux infectés, & en purifiant les hardes qui auroient fervi aux malades.

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