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LE

PLAISIR

POEME.

A MONSIEUR L'ABBE ABEILLE.

M

USE, raconte-moi quelle prompte vangeance
Ne nous a du plaifir laiffé que l'apparence;
Comment le Ciel punit l'oubli de fes autels.
Les Dieux fe plaifent-ils aux tourmens des mortels?
Jadis par nos respects defarmé du tonnere,
Jupiter envoya le plaifir fur la terre,

A pleines mains fur nous il verfa fes bienfaits;
Nos defirs en naiffant se virent fatisfaits :
Les foins, les Paffions vainement mutinées
Etoient, loin de nos cœurs, à fes pieds enchaînées':
Et tant que Jupiter le laiffa dans ces lieux,
Les Mortels enchantez furent autant de Dieux.
Mais bien-tôt excitant la celeste colere,

Ce fut de ce bonheur que nâquit leur mifere;
Et déchûs aujourd'hui de leur felicité,

Ils feroient plus heureux, s'ils l'avoient moins été.
Jupiter oublié pour prix de nos délices,

Vit paffer au plaifir fes 'propres facrifices.
Par ce maître nouveau l'univers entraîné

Abandonna le Dieu qui nous l'avoit donné.
L'homme dans fon yvreffe ofant fe mèconnoître,
Si-tot qu'il fut heureux, fut indigne de l'être.
De l'auteur de fes biens les Temples font deferts;
Et le plaifir a feul l'encens de l'univers.

N'eft-ce donc plus à moi qu'obéit la nature,
S'écria Jupiter indigné de l'injure;

Les Mortels endormis dans le fein du bonheur,
Laiffent-ils mes autels & mon nom fans honneur
Et je le fouffrirois? Non, que plûtôt le monde
Dans fon premier cahos à jamais fe confonde.
Puniffons des ingrats; & retirant ma inain
Laiffons dans le néant rentrer le genre humain
Que dis-je le néant trahiroit ma juftice;
Ce feroit une grace & non pas un fuplice:
Qu'il vive
pour fentir mille tourmens nouveaux,
Et de tous fes defirs faifons-lui des boureaux.

Il dit ; & dans l'inftant le plaifir qu'il rappelle', Revolle pour jamais fur la voute éternelle;

Mais en le rapellant, pour troubler notre cœur,
Ce Dieu nous en laiffa le fantôme impofteur.
Sous les traits du plaifir la douleur déguisée,
Vint attirer les vœux de notre ame abusée.
Affife à fes côtez, & le fceptre à la main
La fiere Ambition tenta l'orgueil humain;
Plutus devant fon throne étalant les richeffes,
Alluma dans nos cœurs la foif de ses largesses;
Et l'amour auprès d'eux, jaloux de nos fouhaits,
Nous offrit fes liens & nous lança ses traits.

trop

avide
Helas! que peuvent-ils pour un cœur
Comblé de leurs faveurs, il se sent encor vuide;
De fes vœux exaucez il en naift de nouveaux,
Et leurs préfens font moins des biens que des fleaux.
L'un, qui fçait fur fes pas enchaîner la victoire,
Sent fon ambition s'accroiftre avec la gloire;
En vain tous les mortels gémiroient dans fes fers
Son orgueil eft plus vafte encor que l'univers.
L'autre, maiftre inquiet d'une richesse extrême,
Ne trouve dans fon or que la foif de l'or même.
L'amant pour qui l'amour choifit fes plus beaux
( nœuds
Aimé de ce qu'il aime, eft encor malheureux ;
Et nouvel Ixion, dans sa flame déçûe,

Pour le bien qu'il cherchoit, n'embasse qu'une nuë.
Mortel, que ton malheur defille enfin tes yeux!

Le plaifir loin de toi s'eft enfui dans les Cieux,
Jupiter l'a banni de ton cœur infidele;
Que s'il fe peut encor, ta vertu l'y rappelle.
Toi, que n'agitent point d'impetueux defirs,
Qui fçais de tes devoirs te faire des plaisirs,
Dans cette fiction pour nous trop veritable,
ABEILLE, puiffe-tu ne trouver qu'une fable.

OUVRAGES FAITS,

à l'occafion de ceux de
l'Autheur.

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