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CARACALLA. Cornaline.

IL Ly y a peu de Princes, quelque vicieux qu'ils aient été, dont l'histoire ne nous ait tranfmis quelques actions dignes de louanges; mais il n'en eft pas ainfi de Caracalla: toute sa vie n'est qu'un tiffu de crimes. Après avoir conçu le noir projet d'abréger les jours d'un père expirant, il fignala le commencement de fon règne par le meurtre de l'infortuné Géta, fon frère, qu'il assassina sur le fein de Julie leur mère ; & peu s'en fallut que Julie elle-même ne devînt la victime de la rage de ce furieux, parce que touchée également & de la mort d'un fils qu'elle aimoit, & des circonftances de cette mort, elle avoit laiffé échapper quelques larmes.

La mort de Géta fut fuivie de celle de tous fes amis : il fuffifoit d'avoir été attaché à ce Prince malheureux, pour être enveloppé dans la funefte profcription par laquelle Caracalla sembloit vouloir anéantir tout ce qui pouvoit lui rappeller fon crime. On compte jufqu'à vingt mille perfonnes de l'un & de l'autre fexe qui fubirent la mort fous le prétexte vague de leurs liaisons avec Géta (1) ; mais la plus illuftre de ces victimes eft fans contredit Papinien. Ce Préfet du Prétoire avoit reçu ordre, dit-on, d'employer toute fon éloquence pour faire l'apologie du meurtre de Géta; & en refufant d'obéir au tyran, il lui avoit répondu qu'il étoit plus aifé de commettre un parricide que de le juftifier (2).

(1) Dio. Lib. LXXVII.

(2) Il paroît conftant que le meurtre de Papinien a été ordonné par Caracalla: mais les Hiftoriens varient fur les circonftances de la mort de cet illuftre Romain. Voici ce qu'on en lit dans Spartien. Multi dicunt Baffianum (Baffien étoit le vrai nom de Caracalla) occifo fratre, illi ( Papiniano ) mandaffe, ut & in Senatu per

Caracalla n'avoit point de caractère; il étoit téméraire & lâche, fourbe & confiant, avare & prodigue; auffi faux que cruel, ses careffes étoient presque toujours un figne certain de disgrace ou de mort. Lorsqu'il vouloit porter un coup à quelque perfonnage important ou le faire mourir, il le combloit, la veille même, de plus d'amitiés qu'il n'eût jamais fait (1): perfidie atroce & baffe qui n'est pas fans exemple dans des hommes de fon rang.

Quand Augufte, Trajan, Hadrien, Marc-Aurèle vifitoient. en personne la vaste étendue de l'Empire, la bienfaisance accompagnoit par-tout leurs pas; la présence de Caracalla, au contraire, étoit devenue comme un fléau. De toutes les villes & provinces qu'il parcourut, il n'en eft aucune où il n'ait laiffé des traces de fon injuftice & de fa cruauté. Ainfi, dit Montesquieu en parlant de cet Empereur, on pourroit l'appeller non pas un tyran, mais le destructeur des hommes. Caligula, Néron & Domitien bornoient leur cruauté dans Rome, celui-ci alloit promener fa fureur dans tout l'Univers (2).

Comme prefque rien n'est indifférent dans la vie des Princes, l'Hiftoire peint fouvent leurs ridicules ainfi que leurs vices. On lit dans Hérodien (3), que Caracalla qui avoit très - peu de cheveux affectoit d'en avoir beaucoup : auffi remarque-t-on que fur fes médailles & dans fes portraits il paroît toujours avec des cheveux touffus & une barbe épaiffe. C'eft ainfi qu'on le voit fur notre Cornaline, quoiqu'il y foit représenté assez jeune

fe & apud populum facinus dilueret : illum autem refpondiffe: non tam facile parricidium excufari poffe, quam fieri. Eft etiam hæc fabella, quod dictare noluerit orationem qua invehendum erat in fratrem ut caufa ejus melior fieret qui occiderat : illum autem negantem refpondiffe, aliud eft parricidium, accufare innocentem occifum. Sed hoc omnino non convenit: nam neque præfectus poterat dictare orationem; & conftat eum quafi fautorem Getæ occifum.

(1) Dio. Lib. LXXVII.

(2) Grandeur & Décad. des Romains.

(3) Lib. IV. in Antonin.

encore. Quant à la barbe il ne feroit pas difficile de pénétrer le motif de l'Empereur à cet égard, & d'expliquer auffi pourquoi Géta lui-même, mort dès l'âge de vingt-trois ans, paroit également avoir une barbe très-épaiffe.

Les premiers Empereurs représentés avec une barbe longue & épaiffe furent Antonin Pie & Marc-Aurele, qui la portèrent ainfi en qualité de philosophes (1). Ils furent imités par quelques-uns de leurs fucceffeurs qui voyant combien les Romains avoient conçu d'attachement & de vénération pour les Antonins, crurent apparemment qu'en prenant leur nom & portant la barbe comme eux, ils se rendroient également respectables fe par ces marques de reffemblance. Caracalla prit le nom facré d'Antonin, & laissa croître fa barbe auffitôt qu'il eut été déclaré Augufte, & Géta fuivit fon exemple. Il femble donc qu'une barbe épaiffe étoit regardée alors comme un attribut qui devoit concilier aux Empereurs le respect & la vénération des peuples; c'eft pourquoi l'on peut conjecturer que les monétaires affectoient de les repréfenter avec une barbe plus épaiffe & plus touffue qu'elle ne l'étoit en effet.

Cette conjecture eft fondée fur un autre exemple qui la confirme: c'est la manière dont Macrin, fucceffeur de Caracalla, eft représenté sur fes médailles, lui qui peut-être ne portoit point de barbe avant fon avénement à l'Empire. On le voit fans barbe fur quelques-unes : il n'en a qu'une très-courte fur la plupart des autres ; mais une longue & épaiffe fur plufieurs de grand bronze. Il n'eft cependant pas vraisemblable qu'elle ait pu prendre autant de croiffance pendant la courte durée de fon règne qui n'a pas été de quatorze mois entiers, & il n'y a pas lieu de douter que fon portrait n'ait été chargé en cette partie par les Artistes monétaires.

(1) Nous n'ignorons pas qu'Hadrien eft le premier des Empereurs qui ait laiffé croître fa barbe: mais Spartien, qui nous l'apprend, ajoute qu'Hadrien eut recours à ce moyen pour cacher des bleffures (peut-être des écrouelles) qu'il avoit au visage: ut vulnera, quæ in facie naturalia erant, tegeret. Ainfi le motif qui engagea cet Empereur à laiffer croître fa barbe étoit bien différent de celui des Antonins.

Nous avons remarqué plus d'une fois, dans les articles précédens, que malgré la décadence fenfible des Arts fous les Empereurs, leurs médailles & la plupart des pierres gravées qui les représentoient étoient néanmoins d'un deffin correct, d'une belle manière & d'un travail précieux & fini; & quand on fait dans quel état de dépériffement fe trouvoient ces mêmes Arts du temps de Caracalla, on doit être pareillement furpris de la pureté du deffin, de la beauté des formes & de l'élégance du travail de la tête de cet Empereur fur notre Cornaline, qui est vraiment digne du plus beau temps de l'Art chez les Grecs. Il est temps d'expofer les raifons de cette fingularité, & c'eft M. l'Abbé Winckelmann qui va nous les fournir. » Lorfque l'Art, dit-il, » avança de plus en plus vers fa décadence, & que le temps fut » venu où l'on fit infiniment moins de ftatues nouvelles, à cause » de la quantité d'anciennes, la principale occupation des Ar» tistes fut de faire des têtes & des buftes; c'est en quoi ce » dernier temps de l'Art s'eft fingulièrement diftingué. Il n'est » donc pas fi étrange que quelques-uns fe l'imaginent de trouver » non-feulement des bustes passables, mais encore de fort belles » têtes, telles que celles de Macrin, de Septime Sévère & de » Caracalla ... Peut-être que Lyfippe n'auroit pas mieux » fait la tête du Caracalla Farnese : toute la différence qu'il y a, » c'eft que le maître qui fit ce bufte n'auroit pas été capable de » faire une figure comme Lyfippe (1). »

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Ce que M. l'Abbé Winckelmann dit des buftes, doit s'appliquer aux médailles & aux pierres gravées ; & l'on est bien convaincu qu'il fe présentera mille Artifies capables d'exécuter avec fuccès des ouvrages de peu d'étendue, quand au contraire il fera difficile d'en trouver qui faffent un beau tableau ou une bonne ftatue. Quoi qu'il en foit, l'Antiquité pourra toujours se glorifier d'avoir encore confervé de la grandeur, même dans le temps de la décadence de l'Art.

(1) Hift. de l'Art. Liv. IV. chap. VI.

SOEMIAS.

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