Quand quelque Vénus, quelque Aurore, Toute vérité sera dite, Puisque je viens de commencer. Une condition maudite : Aussi, lorsque je me dépite, A une demoiselle de Suède, dont j'avois vu un très-agréable portrait chez M. Envoyé de Suède, qui de plus m'en avoit dit des merveilles. MADEMOISELLE, Je ne sais si en me donnant l'honneur de vous écrire, j'écris à quelqu'un. Sur votre nom, qui est fort illustre, il faut que je vous croie Suédoise ; sur les grands yeux noirs que j'ai vus dans votre portrait, et qui devoient être pleins de feu dans l'original, je vous croirois Espagnole; sur de jolis vers françois qu'on m'a montrés de vous, je vous crois Françoise; sur les vers italiens qu'on dit que vous savez faire, vous devez être Italienne; sur tout cela ensemble, vous n'êtes d'aucun pays. N Pour rendre le miracle encór plus achevé, Dix-sept ans à-peu-près, c'est l'âge qu'on vous donne ; Pour vous ils vous font tort. L'esprit si cultivé, De n'être, Dieu me le pardonne, Que quelque objet en l'air qu'un poëte.a. rêvé...... Cependant il est certain que M. l'envoyé de Suède prend l'affaire fort sérieusement; et si l'on a à croire des prodiges, ce doit être plutôt sur son autorité que sur celle d'un autre. Il soutient que vous êtes à Stockholm; que mille gens vous y ont vue et vous y ont parlé; il dit même que votre portrait, qui représente le plus charmant visage du monde, ne représente pas le vôtre dans toute sa beauté, et que les peintres de Suède ne flattent pas comme les nôtres. Mais pourquoi, nous qui sommes dans le pays de la beauté, de l'esprit des agrémens, n'aurons-nous jamais rien vu de pareil à une personne si accomplie ? Voilà ce que la vanité françoise nous fait dire aussi-tôt. A cela, je ne sais qu'une réponse qui puisse nous aider à croire tout ce qu'on dit de vous. et L'Amour, ailleurs si redoutable, Ne trouve pas sans doute un climat favorable Les cœurs y sont glacés, et pour fondre leurs glaces, Si nos climats n'ont rien qui ne vous cède, C'est qu'Amour y soumet les cœurs à moins de frais, C'est-là, MADEMOISELLE, tout ce que j'ai pu imaginer de plus vraisemblable. Tirez-moi d'embarras, je vous en conjure, et ayez la bonté de faire savoir si vous êtes. Que votre modestie ne vous empêche point de me l'avouer naturellement, je vous promets de n'en parler à personne; je ne voudrois intelligence avec une étrangère, qui triompheroit de toutes nos françoises, et effaceroit l'honneur de la nation. Ce seroit là un trop grand crime contre ma patrie : cependant je m'accoutume à en faire un peut-être encore plus grand. Tous mes soupirs, à l'heure qu'il est, sortent de France, et vont du côté du nord. pas qu'on sût que j'eusse quelque Lieux désolés, où l'hiver tient son siège Où les aquilons violens, Où les frimats et les ours blancs C'est après vous que je soupire. Les lieux où règne un éternel zéphire, Le séjour de Vénus, Cypre, ne vous vaut pas. Vous voyez, MADIMOISELLE, que mon cœur a déjà bien fait du chemin. Je me flatte que mes hommages, qui ne seroient pas dignes de vous à Stockholm, deviendront de quelque prix en traversant cinq cent lieues de pays pour aller jusqu'à vous; et que s'il est triste de vous écrire de si loin, ce me sera du moins auprès de vous une espèce de mérite. Je n'en ai point d'autre à vous faire valoir, et je ne crois pas même que vous puissiez savoir qui je suis A moins qu'un coup de la fortune Le nom de l'enchanteur qui fait parler les morts, POEM E Présenté pour le prix de l'Académie françoise de 1675. La gloire des armes et des lettres sous Louis XIV. |